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Quand l’aménagement du territoire perd du terrain. Par Laurent Bessonneau, Fiscaliste.
Parution : lundi 28 octobre 2013
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Les réformes de décentralisation font reposer l’essentiel des politiques foncières et d’urbanisme sur les municipalités, devenues de fait un maillon essentiel de l’administration des sols. Mais cette atomisation institutionnelle se heurte à des marchés de l’immobilier globalisés, dont l’équilibre fragile est menacé par la raréfaction des ressources foncières.

Prix de l’immobilier, usage du mètre carré et fiscalité

L’envolée continue des prix a fait de l’immobilier l’un des placements financiers les plus performants sur la décennie écoulée, mais qui ne profite pas à tous. Cette flambée des coûts de l’immobilier a dans la plupart des cas pour origine un déséquilibre prononcé entre offre et demande de logements : l’immobilier est cher parce que rare. La ressource immobilière ne suit pas, particulièrement à Paris et en banlieue parisienne. Dans des zones fortement urbanisées, les programmes neufs supposent dans l’immense majorité des cas la destruction de l’existant, mais encore faut–il avoir des opportunités. Cédric Audenis, Chef du département de la conjoncture de l’Insee, précédemment sous-directeur des finances de la ville de Paris, fait remarquer ainsi qu’à Paris, « si l’on met de côté les espaces verts, il est facile de se rendre compte que le principal gisement de foncier disponible consiste essentiellement dans les emprises ferroviaires  ». L’autre solution consiste, pour les villes qui en ont encore la possibilité, à s’étaler horizontalement. Mais plusieurs lois récentes, notamment celles relatives au Grenelle de l’environnement, ont privilégié la préservation des zones de cultures et la lutte contre l’étalement urbain.

Ces lois, pour légitimes qu’elles soient concernant la préservation des terres arables, ont par contre encore accentué la pression foncière. Aymeric Poujol, expert en fiscalité locale à la tête du cabinet EIF, explique que « cette pression sur le foncier est renforcée par une faible rentabilisation, en termes d’usage, des mètres carrées construits récemment (bâtiments de faible hauteur, à usage exclusif de bureaux ou de commerces ou d’habitations…) et par l’épuisement de la ressource en friches industrielles urbaines, qui occupaient de vastes espaces aujourd’hui quasiment tous utilisés ». A cette difficulté de la ressource foncière s’ajoute le projet de loi de révision des valeurs locatives, « une réforme attendue par le secteur, mais mal conduite aussi bien sur la forme que sur le fond. Elle risque de fragiliser un des rares secteurs qui tient malgré la crise avec la possibilité par endroit d’un doublement de la fiscalité locale sans préavis » précise Aymeric Poujol. Les marchés n’aimant rien moins que l’incertitude, ce projet de loi, prévu pour entrer en vigueur en 2015, ne les rassure pas. De quoi très certainement geler une partie de l’activité normale des marchés fonciers, en accentuant encore les déséquilibres en faveur de la demande.

Les équilibres fragiles des politiques foncières

Ces évolutions du marché de l’immobilier vont avoir une influence notable sur les politiques foncières des communes, et donc sur leur attractivité. Cette question de l’attractivité territoriale a été illustrée par l’exemple de la ville d’Avignon, ville pilote en termes d’analyse de l’attractivité depuis une étude de l’INSEE de 2012. Avignon est un exemple de déséquilibre territorial, malgré tous les atouts dont elle dispose : fractures sociales croissantes entre le centre-ville et la périphérie, solde migratoire négatifs des jeunes et des étudiants et étalement urbain non contrôlé au détriment des campagnes. Ce ne sont que quelques conséquences d’une politique foncière perfectible : Avignon grandit et attire, mais de façon déséquilibrée, ce qui ne sera pas tenable à long terme.

L’attractivité territoriale y est pourtant définie à la fois comme le moyen et l’objectif des politiques foncières, qui reposent pour partie sur la fiscalité locale. Une position partagée par Yann Milton, senior manager pour Kurt Salmon, cabinet de conseil en transformation des entreprises : «  la politique foncière est un moyen au service de l’aménagement du territoire. Elle doit permettre d’assurer la mobilisation des terrains permettant la vie de la cité et doit donc à ce titre, servir différentes finalités : l’hébergement (foncier dédié à l’habitat), les équipements de la population (éducation, loisirs, espaces verts, voirie, …), mais également le développement économique  ». Toute modification de cette fiscalité aura des conséquences sur l’attractivité des communes, et donc sur leurs recettes fiscales, dans un contexte de raréfaction du foncier. De quoi sérieusement ralentir pendant plusieurs années les projets de développement économique. Ces derniers passent par une alchimie subtile d’optimisation des ressources et des politiques foncières, à l’opposé des écueils de la cité dortoir ou du technopôle déserté la nuit. Sur la base d’une fiscalité équilibrée et équitable et d’une utilisation raisonnée des ressources foncières, tout l’enjeu consiste à préserver l’écosystème social : proposer une saine articulation entre logements, commerces, bureaux, et services de proximité comme les administrations ou les transports.

Cela ne suppose pas tant de se lancer dans des programmes de grands travaux que de parfois simplement valoriser un patrimoine ancien, voire obsolète : « le développement urbain neuf ne représente jamais qu’un maigre pourcentage, souvent de l’ordre de 1% du parc de logements. C’est donc évidemment du côté du parc existant que les plus gros efforts devront être faits dans un premier temps » explique Vincent Renard, directeur de recherche au CNRS, qui déplore par ailleurs que « dans la pratique, beaucoup de communes n’ont pas véritablement de politique foncière active, et leur politique d’urbanisme se limite principalement à la réglementation de l’urbanisme et à la délivrance des autorisations  ». Cette utilisation de l’existant doit être planifiée et pensée dans une logique de développement global, articulant l’ensemble des besoins de la cité. Cela impose désormais de dépasser les clivages entre les fonctions de bâti et de concevoir des bâtiments intégrant sur des hauteurs vraisemblablement plus importantes l’ensemble des possibilités : commerce, bureaux, services de proximité et habitats sur une même surface disponible, à l’exemple de ce que la ville de Versailles réalise en réhabilitant l’ancien hôpital Richaud. « Pour pallier le manque de ressources constructibles, le but est désormais de proposer, à la place ou au sein de bâtiment anciens, des constructions plus écologiques, plus fonctionnelles, plus intégrées et répondant à tous les besoins simultanément », résume Aymeric Poujol.

Les politiques foncières sont des réalisations du temps long, qui doivent s’inscrire dans un projet global et une perspective de développement à horizon de 10 ou 20 ans. « La mise en œuvre d’une politique foncière est souvent ingrate pour des élus locaux car elle ne porte ses fruits que sur la durée, une durée qui excède assez largement celle d’un mandat électoral. […] Les politiques foncières ont besoin de constance et de durée », rappelle Joseph Comby, Directeur de l’Association des études foncières. Les aléas du marché de l’immobilier, en termes de prix et de ressources en diminution, et les évolutions législatives ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité, pour les administrations locales en charge de ces politiques, de proposer et porter la vision de ce que sera notre environnement urbain de demain.

Laurent Bessonneau Fiscaliste, spécialisé en droit administratif