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Discriminations : réflexions et perspectives. Par Alain-Christian Monkam, Avocat.
Parution : lundi 23 décembre 2013
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Les discriminations constituent un sujet majeur d’actualité en France, tout particulièrement, en matière de droit du travail.

L’article L. 1132-1 du Code du travail interdit dans ce domaine toute discrimination fondée sur « l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation ou l’identité sexuelle, l’âge, la situation de famille ou de grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le nom de famille, état de santé ou le handicap ».

Le législateur français a voulu accorder une protection juridique à tout le monde en créant une catégorie ’fourre-tout’ où toutes les discriminations se valent en dépit de la réalité des situations : le syndicaliste côtoie l’immigré, la femme enceinte est mélangée avec celui qui est perçu comme laid ou gros. Et pourtant, qui pourrait nier que toutes ces différentes sous-catégories de « discriminé(e)s potentiel(les) » ne se sont jamais senties aussi peu protégées par la loi ? Il suffit juste d’observer la multiplication des revendications des différentes associations catégorielles nées ces dernières années.

Tout d’abord, on peut constater que les sanctions des discriminations en matière de droit du travail sont particulièrement modestes et peu dissuasives (nonobstant par ailleurs les sanctions pénales). L’article L. 1132-4 du Code du travail se contente de prévoir que « toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul ». En d’autres termes, on efface la décision incriminée. Bien qu’il existe des sanctions spécifiques concernant des situations particulières (ex : situation de maternité), quel employeur pourrait avoir la crainte de la simple annulation judiciaire de sa décision ? Il serait bien plus efficace de doter les Conseils de Prud’hommes du pouvoir d’octroyer une forte indemnisation en faveur de la victime comme nous pouvons le constater en droit du travail anglais où des exemples de discrimination ont valu à l’employeur une condamnation par l’Employment Tribunal à €350.000.

Par ailleurs et plus grave, les plaignants français ne jouissent pas d’un système probatoire aisée. Certes, plusieurs articles du Code du travail (dont l’article L. 1134-1) prévoit une charge de la preuve renversée : il appartient à l’employeur d’apporter toute explication fondée sur des éléments objectifs après la dénonciation des faits par la victime. S’il apparaît louable, un simple renversement de la charge de la preuve est très insuffisant car un acte discriminatoire est rarement un fait isolé mais s’insère généralement dans une « politique d’entreprise, de département ou de service » dont la victime ne dispose pas la preuve. Exemple concret : comment une victime peut-elle prouver qu’une entreprise exclue systématiquement une catégorie particulière d’individus en cas de promotion interne à des groupes particuliers de postes ?

C’est tenant compte de ces difficultés que le droit du travail anglais (The Equality Act 2010) prévoit, au début d’une procédure prud’homale pour discrimination, la possibilité d’adresser à l’employeur un Questionnaire. Ce document permet d’interroger l’employeur (qui est tenu de répondre) sur les faits de discriminations eux-mêmes, mais plus généralement sur sa politique d’entreprise sur des points précis (et obtenir tout document afférent) : combien d’asiatiques ont-ils été promus au cours de ces 3 dernières années ? Combien de femmes faisaient partie des derniers licenciements économiques ? Combien de procédures pour discrimination y a t-il eu dans le passé ? Les réponses apportées par l’employeur (dans un délai de 8 semaines) seront retenues conte lui pendant la procédure prud’homale anglaise.

En France, le rapport annuel dans les grandes entreprises ou les rapports sur la situation économiques peuvent être sources d’information par exemple en matière d’égalité homme-femme. Cependant, l’adoption du Questionnaire anglais pourrait être très efficace dans la lutte contre les discriminations même s’il doit être adapté à notre Ordre juridique français qui par exemple interdit ou empêche pour l’heure de dénombrer précisément dans l’entreprise certaines catégories d’individus par exemple en raison de leurs origines ou de leurs orientations sexuelles. Toujours est-il qu’il apparait urgent de prendre enfin les mesures sérieuses pour réduire substantiellement les pratiques discriminatoires qui polluent en France les relations collectives de travail et menacent plus globalement la cohésion sociale.

Alain-Christian Monkam Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris https://monkam.uk/