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La France condamnée par la CEDH pour la computation du délai de pourvoi en cassation. Par Thierry Vallat, Avocat.
Parution : vendredi 10 janvier 2014
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L’arrêt Viard c/ France rendu lei 9 janvier 2014 ( Requête no 71658/10) par la Cour Européenne des Droits de l’Homme est une nouvelle illustration des difficultés de computation des délais de pourvoi en cassation en application de l’article 568 de notre Code de procédure pénale.

Rappelons que selon les dispositions de l’article 568 du Code de procédure pénale :
« le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation.

Toutefois, le délai de pourvoi ne court qu’à compter de la signification de l’arrêt, quel qu’en soit le mode :

1o Pour la partie qui, après débat contradictoire, n’était pas présente ou représentée à l’audience où l’arrêt a été prononcé, si elle n’avait pas été informée ainsi qu’il est dit à l’article 462, alinéa 2 ;

2o Pour le prévenu qui a été jugé en son absence, mais après audition d’un avocat qui s’est présenté pour assurer sa défense, sans cependant être titulaire d’un mandat de représentation signé du prévenu ;

3o Pour le prévenu qui n’a pas comparu, soit dans les cas prévus par l’article 410, soit dans le cas prévu par le cinquième alinéa de l’article 411, lorsque son avocat n’était pas présent ;

4o Pour le prévenu qui a été jugé par itératif défaut. »

Dans cette affaire, le requérant, M. Gilbert Viard, est un ressortissant français, résidant à Saint-Nazaire qui exerce la profession de psychothérapeute. Le 17 juin 2008, une information judiciaire fut ouverte à son encontre des chefs d’abus de faiblesse et d’agression sexuelle. Le même jour, un juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Nantes le mit en examen pour agressions sexuelles sur quatre patientes, ainsi que pour abus de faiblesse sur l’une d’entre elles. Il fut placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’exercer les professions de psychothérapeute et de psychanalyste. Le 24 décembre 2009, le juge d’instruction rejeta la demande de mainlevée partielle de son contrôle judiciaire proposant d’autoriser l’exercice de son activité auprès des seules personnes de sexe masculin.

Par un arrêt du 12 février 2010, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes confirma l’ordonnance de rejet du juge d’instruction, aux motifs notamment de l’existence d’indices d’abus de sa fonction de thérapeute sur des « esprits fragiles », lesquels peuvent être de sexe masculin. Le 16 février 2010, d’après le cachet de la Poste, la Cour d’appel de Rennes adressa au requérant un courrier recommandé portant la mention « Aud. 12/02/2010 Ch. Instr. 2010/00028 ». Le 19 février 2010, le requérant formait un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre de l’instruction. Le 30 avril 2010, le conseiller rapporteur de la Cour de cassation conclut à la non-admission du pourvoi comme ayant été formé hors délai, à savoir plus de cinq jours francs suivant la notification de l’arrêt d’appel le 12 février 2010. Le 4 mai 2010, le plaignant était informé par courrier du procureur général près la Cour de cassation qu’un avis tendant à la non-admission du pourvoi avait été pris par un avocat général. Mr Viard fut informé de son droit de formuler des observations, ce qu’il fit par courrier du 14 mai 2010. Le 19 mai 2010, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis, pour absence de « moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi  ».

Il forme alors un recours devant la CEDH et soutient qu’il a été privé de son droit d’accès à un tribunal, compte tenu de la non-admission de son pourvoi en cassation pour non-respect du délai prévu par l’article 568 du Code de procédure pénale. Il prétendait que le point de départ de ce délai avait été fixé de manière erronée à la date de l’arrêt de la Cour d’appel et non à celle du dépôt à la poste de la notification. Il faisait valoir que cette erreur de computation avait eu pour effet de réduire le délai en cause de cinq à un seul jour.

La Cour rappelle en conséquence dans son arrêt du 9 janvier 2014 que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, les règles en question, ou l’application qui en est faite, ne devraient pas empêcher le justiciable d’utiliser une voie de recours disponible (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, §§ 44-45, Recueil 1998 VIII, Tricard c. France, no 40472/98, § 29, 10 juillet 2001, et Gruais et Bousquet, § 27 10 janvier 2006).

Or, en l’espèce, la Cour de cassation a également retenu la date de notification inscrite sur l’arrêt et non celle de l’envoi effectif de cette notification telle qu’attestée par le cachet de la poste. A l’instar de son constat dans l’affaire Gruais et Bousquet, la Cour relève que cela a eu pour effet de réduire à un ou deux jours le délai dont disposait le requérant pour former son pourvoi, selon les modalités de computation. La CEDH note d’ailleurs que le Gouvernement ne contestait pas qu’une telle interprétation du droit interne porte atteinte au droit d’accès des justiciables à la Cour de cassation.

La CEDH considère donc que le plaignant s’est vu refuser son droit d’accès à un tribunal dans les circonstances de l’espèce et que, partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. La France est ainsi condamnée à régler 5.000 € pour préjudice moral et 5.000 € pour les frais de justice engagés.

Espérons que cette décision contribuera à remettre rapidement un peu d’ordre dans le maquis procédural des règles de computation de délais.

Thierry Vallat, Avocat www.thierryvallatavocat.com