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Vers la généralisation de l’obligation de conseil en crédits ? Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : vendredi 14 février 2014
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En matière de crédit, l’établissement de crédit est, principalement, débiteur d’une obligation d’information et d’une obligation de mise en garde de l’emprunteur non averti (article 1147 du Code civil et Cour de cassation, Ch. mixtes, 27 juin 2007).

L’Intermédiaire en Opérations de Banque (IOBSP) avec le statut de mandataire est débiteur des mêmes obligations (articles R. 519-19 et R. 519-26 du Code monétaire et financier et Conseil d’Etat, 24 juin 2013, n° 363 544).

L’intermédiaire en opérations de banque (IOBSP) avec le statut de Courtier en crédits est débiteur des mêmes obligations, à laquelle s’ajoute sa toute nouvelle obligation de conseil (articles R. 519-27 à R. 519-31 du Code monétaire et financier et même décision du Conseil d’Etat).

La coexistence de régimes aussi différents, pour la distribution d’un même service financier, le crédit, dans le cadre d’un même objectif, la protection du consommateur, est intenable.

D’autant que pour les courtiers en crédits, cette coexistence est tout sauf pacifique : possiblement, la banque peut se trouver en parfaite situation de respecter son obligation de mise en garde, tandis que tel pourrait ne pas être le cas du courtier pour son obligation de conseil. Cette configuration doit particulièrement être regardée pour les emprunteurs avertis (pas d’obligation de mise en garde, sauf informations détenues de la seule banque, mais obligation de conseil du courtier).

La gestion juridique de cette incohérence et les poussées vers la convergence sont intéressantes à observer.

Petit aperçu rapide de la jurisprudence récente.

1. La banque doit délivrer des conseils adaptés à la situation de l’emprunteur profane (Cour d’Appel d’Aix en Provence, Chambre 11 A, 28 janvier 2014 n°2014/73).

"La banque ne peut au titre de son devoir de mise en garde de l’emprunteur profane, se contenter de recueillir des informations sur sa situation personnelle et financière, mais doit expressément lui délivrer des conseils adaptés à sa situation".

L’établissement de crédit octroie un prêt de 4.000 euros : 1.848 euros de mensualité s’enclenchent ainsi, à la charge d’un couple sans emploi, aux ressources de moins de 1.700 euros par mois.

La banque a ainsi failli à son obligation de mise en garde et a aggravé la situation d’endettement. Elle est condamnée à 1.000 euros de dommages et intérêts.

"Les établissements de crédit sont tenus à un devoir de mise en garde [...]. Ce devoir de conseil oblige le prêteur à se renseigner sur les capacités de remboursement de l’emprunteur".

Cette idée est semblable à l’obligation commune à tous les IOBSP (art. R. 519-21 du Code monétaire et financier). Elle n’est pas très loin de l’une des dimensions du devoir du conseil du courtier en crédits : la motivation de la proposition de crédit (article R. 519-29 du même Code). Et furieusement proche de l’obligation de proposer de manière claire et précise les services (art. R. 519-28 du Code monétaire).

2. La banque doit une obligation de conseil aux emprunteurs sollicitant le report de leurs échéances (Cour d’Appel de Grenoble, Ch. Civ. 1, 16 décembre 2013, n°11/01006).

Les emprunteurs -non avertis- sollicitent la pause, contractuellement prévue, de remboursement des mensualités du crédit immobilier. La banque ne les informe pas du montant supplémentaire d’intérêts, produits en l’absence d’amortissement du capital pendant cette suspension. Leur perte de chance de ne pas opter pour la suspension est évaluée comme faible, conduisant à 1.500 euros de dommages et intérêts à leur profit.

"Il appartenait [à la banque] au titre de son obligation de conseil, de leur délivrer une information complète sur les effets du report des échéances".

3. Le devoir de mise en garde contre un possible endettement excessif s’apprécie individuellement, pour chacun des co-emprunteur non mariés (Cour d’Appel de Paris, Pôle 4, Chambre 9, 16 janvier 2014, n°12/23571).

Un prêt de restructuration, ou de regroupement de crédits, est consenti par la banque à deux conjoints non mariés. Le caractère disproportionné de l’endettement ne s’apprécie pas en cumulant les ressources et la solvabilité des deux emprunteurs, mais sur base individuelle (comme si chacun avait à rembourser, seul, la totalité de la mensualité).

Les ressources de l’un des deux co-emprunteurs sont inférieures à la mensualité du prêt. Le préjudice de perte de chance est constaté et la banque est condamnée à verser 30.000 euros de dommages et intérêts (environ la moitié du nominal du crédit), au seul co-emprunteur n’ayant pas bénéficié de l’obligation de mise en garde pourtant due.

Le caractère disproportionné d’un prêt s’apprécie pour chacun des deux co-emprunteurs, s’ils vivent en union libre.

4. Un taux d’endettement de 55 % n’est pas abusif (Cour d’Appel de Versailles, Chambre 1, Section 2, 14 janvier 2014 n°13/01147).

Le crédit octroyé provoque un taux d’endettement de 55 %. La nature, avertie ou non, des emprunteurs, n’est pas précisée. Mais les époux sont considérés comme parfaitement informés de leur situation, notamment d’endettement. Ils n’ont pas usé de leur faculté de rétractation. L’offre préalable, contestée, est conforme à l’article L. 311-33 du Code de la consommation.

Ils doivent rembourser le crédit.

En revanche, point notable, la Cour fait usage du droit du Juge de revoir les clauses pénales (article 1152 du Code civil) : l’indemnité de remboursement anticipée fixée contractuellement à 8 % est ainsi ramenée à 10 euros.

5. L’information, comme le conseil, doivent faire l’objet d’une présentation personnalisée et tracée.

En complément, bien qu’elle soit ici absente, rappelons le gros potentiel juridique, voire, judiciaire, contenu par l’Avis de la commission des clauses abusives, n°13-01, du 6 juin 2013. Cet avis pose qu’une clause rédigée de de manière abstraite et générale, ne permet pas d’apprécier le caractère personnalisé des explications fournies à l’emprunteur concernant les conséquences du crédit sur sa situation financière.

L’emprunteur ne peut donc valablement reconnaître, au moyen d’un document pré-imprimé, qu’il a bien reçu toutes les obligations énoncées plus haut, et qui sont destinées à sa protection, autant qu’à un marché équilibré des crédits.

Pour les banques, comme pour les courtiers en crédit, alors que se poursuit la mise en place de procédures internes visant à les doter d’une conformité de haut niveau, ces enseignements détaillés de jurisprudence sont autant d’éléments précieux pour éclairer leurs activités et sécuriser leurs opérations commerciales.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier www.isfi.fr www.droit-distribution-bancaire.fr