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Analyse de l’arrêt Vartic c. Roumanie rendue le 17 décembre 2013 par la CEDH. Par Pierre-Olivier Koubi-Flotte et Florence Lescure, Avocats.
Parution : lundi 17 février 2014
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Dans une décision Vartic c. Roumanie rendue le 17 décembre 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé que les restrictions alimentaires devaient être considérées comme des actes à caractère religieux protégés par l’article 9 de la Convention. Si ce point n’est pas nouveau, cette décision présente ceci de pertinent que la Cour applique en l’espèce à la fois les critères de « préjudice important » (I) et d’ « équilibre raisonnable entre l’intérêt général et les intérêts particuliers » (II).

I. L’intérêt de la précision du critère de « préjudice important »

Monsieur Vartic était détenu à la prison de Rahova en Roumanie. De confession bouddhiste, il a demandé à l’administration pénitentiaire de cet établissement un régime alimentaire en accord avec ses convictions ; ce qui lui fut refusé.

Après avoir été débouté devant les juridictions nationales roumaines, il a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une violation de l’article 9 sur le respect dû à sa liberté de religion.

L’Etat roumain soutenait que l’article 9 de la Convention n’incluait aucun régime d’origine alimentaire. Il demanda à la Cour de déclarer la requête incompatible rationae materiae avec la Convention. Sur ce point, la Cour a tout d’abord retenu que la liberté de religion s’applique à des vues qui atteignent un certain degré de gravité, de cohésion et d’importance (Leela Förderkreis et autres c. Allemagne, no 58911/00). Dans ce cas, la Cour, comme elle l’avait déjà statué, a retenu que le fait de respecter un régime alimentaire particulier peut être considéré comme un acte motivé par des considérations religieuses (Cha’are Shalom c. France, no 27417/95).

Mais, bien qu’intéressant, ce premier point n’a rien de très surprenant.

Dans une affirmation subsidiaire, l’Etat roumain soutenait que la requête était irrecevable car aucun « préjudice important » n’avait été démontré.

Sur cette question de « préjudice important », la Cour a retenu que « la gravité d’une infraction devait être évaluée en tenant compte à la fois des critères subjectifs du demandeur et de ce qui est objectivement en jeu dans un cas particulier (cf Eon c. France, no 26118/10) ».

Malgré le fait qu’il ne soit pas nouveau, cet avis apporte une précision utile sur le critère éventuellement incertain de « préjudice important » lequel, s’il était retenu, permettrait à la Cour de déclarer une requête irrecevable.

Le véritable intérêt de cette décision trouve son origine dans la référence faite par la Cour aux aspects subjectifs de l’infraction en cause :
« Dans cette espèce, la Cour retient que le requérant attache une particulière importance au fait qu’il n’a pas reçu d’alimentation conforme aux exigences de sa religion. Il a réitéré sa demande devant les autorités nationales et introduit plusieurs actions devant les juridictions internes  » (§39).

A cet égard, tout aussi bien les aspects objectifs que subjectifs de n’importe quelle situation sont très liés et pourraient déterminer ensemble l’appréciation du critère de « préjudice important ».

Cette jurisprudence apparaît ainsi très utile pour préciser un critère incertain. Mais cet élément, bien que précieux, demeure encore assez imprécis pour autoriser une interprétation sans danger de ce critère.

II. L’approche très pragmatique des critères fondamentaux d’ « équilibre raisonnable » entre les intérêts en présence

Tout d’abord, la Cour affirme que « la plainte doit être examinée du point de vue des obligations positives de l’État répondant ».

Sur ce point précis, il est intéressant de remarquer que la Cour explique ne pas faire de différence majeure dans la manière de reconnaître une transgression à la Convention «  selon que l’on aborde le cas sous l’angle d’une obligation absolue de l’État à adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu en vertu des dispositions de l’article 9 §1 ou sous celui d’une ingérence d’une autorité publique à justifier selon le §2, les principes applicables étant assez voisins (§45) ».

Cela prouve que chaque article de la Convention, tout comme la Convention elle-même, devraient être interprétés de manière intégrale.

Dans les deux cas d’éventuelle infraction, la Cour démontre qu’il faut « ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et ceux de la société dans son ensemble » ; Elle ajoute que « dans les deux cas, l’État dispose d’une marge d’appréciation pour déterminer les dispositions à prendre afin d’assurer le respect de la Convention ».

Ainsi, les deux principes juridiques-clés d’appréciation de la Cour sont :

-  l’équilibre raisonnable entre l’intérêt général et l’intérêt particulier
-  la marge d’appréciation existante attribuée aux états pour apprécier les mesures les plus appropriées et les plus équilibrées.

Au moins, la Cour n’exerce qu’un contrôle subsidiaire.

Cependant, ce contrôle est réel. Et, dans la décision Vartic c. Roumanie, elle a considéré que l’état roumain n’avait pas trouvé un juste équilibre entre les intérêts de l’institution pénitentiaire et ceux du requérant.

La Cour procède ainsi à une analyse très concrète de la situation : « la Cour remarque que les repas du requérant n’avaient pas à être préparés, cuisinés ou servis de quelque façon particulière que ce soit, ni que le requérant avait exigé une nourriture particulière. Elle n’est pas persuadée que la fourniture d’un régime végétarien au requérant aurait entrainé une perturbation de l’administration pénitentiaire ou une diminution de la qualité des repas servis aux autres détenus d’autant plus qu’un régime similaire, exempt de produit d’origine animale était déjà fourni à des détenus observant les règles du jeûne chrétien orthodoxe (…). Même s’il a été possible de recevoir des colis de visiteurs familiaux, la Cour estime que cela a eu des effets limités dans la mesure où cela dépendait des possibilités financières de la famille et de sa situation géographique ». (§§49-50).

L’ensemble de ces éléments de faits permet à la Cour européenne de conclure que :
« Au regard de tous les facteurs évoqués, et nonobstant la marge d’appréciation de l’état défendeur, la Cour constate que les autorités roumaines n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts de l’administration pénitentiaire et ceux du requérant ; à savoir son droit à manifester sa religion à travers l’observance des règles de la religion bouddhiste (§54) ».

D’après cette décision, les états, malgré leur marge d’appréciation toujours existante, doivent définir concrètement la manière dont ils mettent en œuvre les droits et libertés imposés par la Convention européenne des droits de l’homme.

Analyse de la décision en version anglaise :

In the case of Vartic v. Romania (judgement in date of 17 December 2013) the European Court of Human Rights has ruled that dietary restrictions have to be regarded as religiously motivated acts covered by Article 9 of the Convention. If this point is not new, this decision is very worthy in the way the Court applies the both criteria of “significant disadvantage” (I) and “fair balance between the competing interests of the individual and of the community as a whole” (II).

I. The useful precision of the “significant disadvantage” criterion

Mr. Vartic is detained in Rahova prison (Romania). Because of his Buddhist convictions he asked the administration for a vegetarian diet in accordance with his beliefs.

He had not succeeded to obtain the vegetarian diet he wished. After being dismissed by Romanian national Courts, he lodged an application before the European Court of Human Rights arguing an infringement to his right to freedom of religion (Article 9).

Romanian Government argued that Article 9 of the Convention did not cover any dietary prescriptions and asked the Court to declare the application incompatible rationae materiae with the Convention. On that point, the Court has first held that freedom of religion denotes views that attain a certain level of seriousness, cohesion and importance (Leela Förderkreis and Others v. Germany, no. 58911/00). In respect to that, the Court -as it had already ruled- has held that respecting dietary restrictions can be regarded as a religious motivated act (Cha’are Shalom v. France, no. 27417/95).

However interesting, that first point in not very surprising.

As a subsidiary contention, the Government asserted that the application was inadmissible because no “significant disadvantage” does exist.

On that question of “Significant disadvantage” the Court has held that “the severity of a violation should be assessed taking account of both the applicant’s subjective perceptions and what is objectively at stake in a particular case (see Eon v. France, no. 26118/10)”.

Despite not new, that assessment constitutes a useful precision of the potentially uncertain criterion of “significant disadvantage” which, if retained, allows the Court to declare an application inadmissible.

What is particularly interesting in that decision is the reference done by the Court to the subjective aspects of the violation argued : “In the instant case, the Court takes the view that the applicant attached high importance to his complaint that he has not being provided with food in accordance with the requirements of his religion. He repeated his request before the domestic authorities and lodged several actions before the courts” (§ 39).

In that way, both objective and subjective aspects of any case are very linked and may determine together the appreciation of the “significant disadvantage” criterion.

This case law appears very useful to precise a rather uncertain criterion. This precision, despite useful, appears nevertheless not precise enough to assure an always safe interpretation of that criterion !

II. The very practical appreciation of the fundamental criteria of “fair balance” between the two competing interests in balance

First of all, the Court asserts that : “the applicant’s complaint must be examined from that standpoint of the respondent State’s positive obligations”.

But on that particular point, the most interesting thing is that the Court explains making no fundamental differences in the way it may recognize an infringement of the Convention “whether the case is analysed in terms of a positive duty on the State to take reasonable and appropriate measures to secure the applicant’s rights under paragraph 1 of Article 9, or in terms of an interference by a public authority to be justified in accordance with paragraph 2, the applicable principles are broadly similar” (45 §).

This proves that each article of the Convention –as the Convention itself- shall be interpreted as “a whole”.

In both cases of possible infringement, the Court explains that “regard must be had to the fair balance that has to be struck between the competing interests of the individual and of the community as a whole” ; the Court also adds that : “in both contexts the State enjoys a margin of appreciation in determining the steps to be taken to ensure compliance with the Convention”.

The two key concepts of the Court appreciation are so :

1. The fair balance between the interests of individuals on the one side and those of the whole community on the other side ;
2. The existing margin of appreciation assigned to States to appreciate the most appropriated well balanced measures ;

At least, the Court’s control is just a subsidiary one.

Nevertheless that control still exists truly ! And in this particular VARTIC case, the Court has considered that the State had not struck a fair balance between the interests of the prison institution and those of the applicant.

The Court realises a very concrete analysis of the situation : “The Court notes that the applicant’s meals did not have to be prepared, cooked and served in any special way, nor did he require any special food. The Court is not persuaded that the provision of a vegetarian diet to the applicant would have entailed any disruption to the management of the prison or any decline in the standards of meal served to other prisoners, all the more so as a similar diet free of animal product was already provided for detainees observing the Christian Orthodox fasting requirements” (…) “Even if it had still been possible to receive parcels from the family when they visited the prison, the Court takes the view that this would have only limited effects, since it would have been dependant on the financial and geographical situation of the family” (§§ 49-50).
All that very concrete factual elements determine the European Court to conclude that : “Having regard to all the foregoing factors, and despite the margin of appreciation left to the respondent State, the Court finds that the authorities failed to strike a fair balance between the interests of the prison authorities and those of the applicant, namely the right to manifest his religion through observance of the rules of the Buddhist religion” (§54).

According to this judgement, States -despite their margin of appreciation that still exists- have always to concretely measure the way they implement all the rights and freedom enforced by the European Convention for the protection of Human Rights.

Maître Pierre-Olivier Koubi-Flotte - Docteur en Droit, Avocat au Barreau de Marseille - http://avocats-koubiflotte.com/ https://www.linkedin.com/in/pierre-olivier-koubi-flotte-79830623/