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Formez-vous, formons-nous ! Par Pierre Robillard, Avocat.
Parution : lundi 7 avril 2014
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La réforme de la formation professionnelle, issue de l’Accord National Interprofessionnel du 14 décembre 2013 et promulguée avec la loi du 5 mars 2014, modernise un système qui s’essoufflait. Plus que jamais, la formation apparaît comme un investissement rentable pour l’employeur comme pour le salarié.

Jusqu’à présent, les salariés avaient accès à la formation professionnelle continue principalement soit sur décision de leur employeur ou, à leur initiative, dans le cadre d’un CIF (Congé Individuel de Formation) ou du DIF (Droit Individuel à la Formation) ; plus marginalement, les périodes de professionnalisation et la validation des acquis de l’expérience jouaient également un rôle dans cet édifice.

La réforme légale renforce droits et devoirs des employeurs comme des salariés.

Plan de formation, CIF, DIF …

Contrairement à une idée largement répandue, la mise en place d’un plan de formation n’est pas légalement obligatoire pour les employeurs. Simplement, cela permet de servir de support aux obligations pensant sur les entreprises en matière d’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois (on parle aussi de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences sous les initiales « GPEC »).

Bien entendu, comme dans d’autres domaines, les entreprises d’au moins 50 salariés sont assujetties à des règles plus contraignantes que les autres et doivent pouvoir justifier auprès de l’inspection du travail d’avoir consulté les représentants du personnel sur les orientations de la formation mise en place dans l’entreprise.

Le plan annuel permet de donner de la visibilité aux acteurs et de maitriser le budget alloué aux différentes actions envisagées.

En dehors du plan de formation, le salarié peut bénéficier du congé spécifique : il s’agit principalement du Congé Individuel de Formation (CIF). A partir de deux ans d’ancienneté (trois ans dans les entreprises artisanales de moins de 10 salariés), un salarié peut solliciter une autorisation d’absence pour un maximum d’un an, auquel l’employeur doit répondre dans les trente jours, étant précisé qu’un refus peut exceptionnellement être opposé. Plus fréquemment, il pourrait en imposer le report, en cas d’absences simultanées de salariés bénéficiant déjà d’un tel congé ou en cas de conséquences préjudiciables au bon fonctionnement de l’entreprise.

Au terme du congé, le salarié retrouve son poste de travail où l’équivalent en fonction de la nouvelle organisation de l’entreprise au moment donné.

La troisième voie d’accès à la formation réside dans les « périodes de professionnalisation » qui ont pour objet de favoriser le maintien dans l’emploi de salarié potentiellement en difficulté. Elles se déroulent en dehors du temps de travail et visent à permettre l’acquisition, par la voie de l’alternance, d’une qualification professionnelle dont les intéressés sont dépourvus.

Enfin, la quatrième voie d’accès correspond au fameux DIF (Droit Individuel à la Formation) ouvert aux salariés disposant d’une ancienneté d’au moins un an dans l’entreprise. Il permet la constitution d’un capital de temps de formation, utilisable à l’initiative du salarié mais avec l’accord de l’employeur, à hauteur de 20 heures par an et dans la limite de 6 ans, soit 120 h au total.

Ici, contrairement au CIF, l’employeur peut opposer un refus et, quoiqu’il en soit, la formation se déroule en principe en dehors du temps de travail.

Un mécanisme de « portabilité » permet aux salariés dont le contrat de travail est rompu (en dehors d’une faute lourde ou d’un départ à la retraite) d’utiliser leur capital pendant le préavis ou après lorsqu’il est pris en charge par le Pôle Emploi (voire auprès de son nouvel employeur au cours de deux ans suivant la nouvelle embauche).

Du DIF au CPF

Le successeur du DIF, le CPF (Compte Personnel de Formation) se situe au cœur de la réforme : ouvert aux salariés dès l’âge de 16 ans, il augmente le capital jusqu’à 150 heures et sera intégralement transférable, attaché à la personne du salarié (non plus à l’emploi) jusqu’à sa retraite.

Des formations financées par ce compte ne seront soumises à l’accord de l’employeur que si elles empiètent sur le temps de travail.

Il s’agit donc d’un pas vers la simplification des obligations pour les entreprises et d’une plus grande liberté pour les salariés.

Les demandeurs d’emploi n’ont pas été oubliés puisque ils disposeront d’un choix dans une liste de formations accessibles avec le CPF, lequel sera d’ailleurs alimenté également en cas d’enchaînements de courtes missions en CDD ou en intérim.

Le Compte se substituera au Droit à compter du 1er janvier 2015.

Incitation au dialogue.

Par ailleurs, la réforme instaure un entretien professionnel obligatoire pour l’ensemble des salariés, au minimum tous les deux ans. Attention : cet entretien est en principe distinct de celui que beaucoup d’entreprises appliquent déjà (entretien annuel d’évaluation, qui permet de faire le point sur l’année écoulée et de fixer des perspectives, voire les objectifs pour l’exercice à venir). Les employeurs auraient tort d’y voir seulement une nouvelle contrainte : il s’agira d’une occasion de se poser, individuellement, et d’anticiper, au-delà même du dialogue avec le salarié en question, une évolution de carrière ou tout obstacle latent qui pourrait s’y dresser. Il va donc falloir former le « middle management » à la conduite de ces entretiens ...

Cet entretien devra être formalisé par écrit, d’autant plus que l’employeur devra procéder à un récapitulatif du parcours du salarié tous les 6 ans.

Qui paie quoi ?

Le financement du nouveau système a donné lieu à des échanges approfondis, et pour tout dire des désaccords, entre les partenaires sociaux. Toujours est-il que l’ANI transposé par la loi simplifie là aussi le système : désormais, une contribution « unique et obligatoire » sera versée à un seul OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé) : 0.55 % de la masse salariale pour les entreprises de moins de 10 salariés, 1 % pour les plus de 10 salariés (avec la fin de l’obligation légale de 0,9 %).

A noter que de nombreuses dispositions légales seront modulables puisque des négociations complémentaires s’ouvrent dans les branches professionnelles.

Ce texte a été signé, pour les employeurs par le MEDEF et l’UPA (et pas par la CGPME) et, côté salariés, par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC (et pas par la CGT). Avec la promulgation de la loi, il est applicable pour tous.

Ardente obligation de formation.

On le voit, la réforme se veut largement incitative, en simplifiant le système et en lui donnant une envergure universelle. Si toutefois les employeurs n’adhéraient pas assez rapidement, la Cour de cassation est venue rappeler que, nouvelle loi ou pas, la formation demeure bien une obligation légale et, à ce titre, ses manquements sont susceptible d’être sanctionnés.

Sanctions directes d’abord : un employeur n’ayant pas formé (ni même proposé de former) un salarié tout au long de sa carrière a ainsi été condamné à des dommages-intérêts [1]. Peu importe que le salarié n’ait jamais rien réclamé dans la mesure où la responsabilité pèse uniquement sur l’employeur. Certes, cette obligation de formation ne saurait aller jusqu’à la fourniture de compétence initiale dont le salarié serait dépourvu, mais elle s’inscrit plus généralement dans le cadre de l’exécution de bonne foi du contrat de travail.

Sanctions indirectes également : au-delà du préjudice dont le salarié peut revendiquer l’indemnisation, l’absence de formation peut impacter le motif même du licenciement : ainsi, en cas de motif économique, le Code du travail impose à l’employeur de tenter de reclasser le salarié préalablement dans un poste compatible avec ses compétences, au besoin en lui faisant dispenser une formation complémentaire « simple et de courte durée, permettant à l’intéressé d’être rapidement opérationnel  » [2] ; par conséquent, faute de formation, le reclassement n’aura pas été tenté valablement et c’est le licenciement lui-même qui pourrait être remis en cause. De la même façon, en cas de licenciement pour insuffisance professionnelle, le salarié pourrait arguer de l’absence de formation si l’employeur ne l’a pas mis en mesure de se former aux nouvelles méthodes de travail exigées [3] ou de s’adapter au nouveau poste auquel l’employeur l’a affecté [4]. Autrement dit, le salarié pourrait reprocher à l’employeur d’avoir provoqué les conditions de l’insuffisance en ne le formant pas ou pas assez.

La formation comme une opportunité.

Dans ces conditions, un employeur n’a aucun intérêt à considérer la formation de ses salariés comme une contrainte ou une perte de temps ; non seulement il devra alors se battre contre des règles juridiques qui finiront par l’encercler, mais de surcroît, une telle attitude sera contre-productive.

La réforme de 2013-2014 insiste d’ailleurs sur la nécessaire qualité de l’offre de formations, afin que les employeurs puissent trouver les compétences correspondant aux besoins réels des entreprises.

Plus largement, la formation constitue bien un investissement dans l’intérêt de l’entreprise : permettant l’acquisition de nouvelles compétences (ou la mise à jour de compétences acquises), elle accroît le potentiel de l’entreprise toute entière en faisant grandir celui des salariés qui la compose. Ainsi, de la même manière qu’il investit dans les machines, l’informatique ou les bâtiments, l’entrepreneur doit miser sur la formation des forces vives de son personnel. Pour aller au bout du raisonnement, il aurait d’ailleurs tout aussi intérêt à investir dans sa propre formation car, si à la différence de celle des salariés, elle est rarement obligatoire pour les employeurs, elle constitue un atout indispensable pour celui/celle qui doit concevoir une vision globale de sa boîte.

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.

[1Cass. Soc. 5 juin 2013, n°11-21255

[2Cass. Soc. n°04-43022

[3Cass. Soc. 8 mars 1984 n°81-48105 ; 22 octobre 1991, n°91-43412

[4Cass Soc. 16 février 1977, n°76-40020

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