Village de la Justice www.village-justice.com

Précisions sur le régime de suspension de fonctions et de retenues sur traitements d’un agent public. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : lundi 7 avril 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Precisions-sur-regime-suspension,16637.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le régime juridique permettant à l’administration de suspendre de ses fonctions un agent public est distinct et plus souple que celui d’une procédure disciplinaire. Il est en de même de la décision de diminution de la rémunération de l’agent durant cette période de suspension de fonctions.

En l’espèce, un inspecteur des impôts avait été mis en examen en septembre 2009 pour corruption passive par personne chargée d’une mission de service public et placé sous contrôle justice pour avoir sollicité en avril 2009, le versement d’une somme de 40 000 € pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction, et plus particulièrement modifier les conséquences financières d’opérations de contrôle fiscal.

L’intéressé a été suspendu de ses fonctions par arrêté du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat en date du 28 septembre 2009 et a vu sa rémunération divisée de moitié par arrêt en date du 3 février 2010 du même ministre.

Ce dernier a formé un recours en annulation à l’encontre de ces deux arrêtés.

Par jugement en date du 10 décembre 2010, le Tribunal administratif de Toulon a rejeté ses requêtes.

L’agent a alors interjeté appel de ce jugement.

Ce récent arrêt permet de mettre en lumière le régime juridique des décisions de suspension de ses fonctions d’un agent public et de diminution de la rémunération de ce dernier durant cette suspension de fonctions.

La Cour marseillaise a tout d’abord écarté le moyen tiré du vice de procédure tenant à l’absence de communication par le ministre du rapport de la commission d’enquête interne qui a été diligentée au sein de la direction des services fiscaux.

En effet, aucune obligation de communication ne pèse sur l’autorité hiérarchique en matière de suspension et plus généralement de poursuite disciplinaire.

Le Conseil d’Etat a jugé de longue date qu’un rapport d’enquête étranger aux griefs ayant motivé l’ouverture d’une procédure disciplinaire n’avait pas à être obligatoirement communiqué à la commission de disciplinaire ni à l’intéressé [1].

A contrario, la Haute Assemblée a récemment considéré que la communication du dossier administratif d’un agent dans le cadre d’une procédure disciplinaire constituée une formalité substantielle [2].

De même, la saisine du conseil de discipline ne constitue pas une condition de régularité de la décision de suspension. Ainsi, le ministre pouvait parfaitement suspendre l’agent sans avoir préalablement saisi le conseil de discipline ou sans saisir in fine ce dernier.

En effet, la jurisprudence considère que la saisine tardive du conseil de discipline, l’absence de respect par ledit conseil du délai pour statuer sur la situation de l’agent sont sans incidence sur la légalité de la décision de suspension [3].

Ainsi, si l’article 30 précité de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires invite expressément l’autorité ayant pouvoir disciplinaire à saisir le conseil de discipline sans délai, le respect de cette formalité ne conditionne pas la légalité de la décision éventuelle par laquelle cette autorité prononce une retenue sur le traitement d’un agent qui n’a pas été rétabli dans ses fonctions à l’expiration d’un délai de suspension de quatre mois.

Les juges administratifs d’appel marseillais ont ensuite rappelé que la décision par laquelle un agent est suspendu de ses fonctions est une mesure conservatoire, prise dans l’intérêt du service qui ne présente pas le caractère d’une sanction disciplinaire et ne peut ainsi porter atteinte au principe de présomption d’innocence [4].

Ce caractère préparatoire justifie un régime plus souple que celui de la procédure disciplinaire, dans l’intérêt du service et donc général, qui autorise des atteintes au droit de la défense et principe du contradictoire.

Les juges ajoutent et considèrent que la gravité des faits reprochés à l’intéressé est suffisante pour justifier une mesure de suspension.

Ces derniers rappellent également que la décision qui réduit la rémunération de l’agent constitue également une mesure conservatoire, et qu’en application des dispositions de l’article 30 de la loi de 1983, si l’agent n’a fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire ou pénale à l’issue d’un délai de 4 mois suivants cette décision cette dernière est suspendue d’office et l’agent à droit au paiement de sa rémunération pour la période correspondante à la durée de sa suspension.

En outre s’agissant d’une mesure conservatoire et non d’une sanction au sens des dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ou une décision individuelle défavorable envisagées par cette loi, cette dernière n’a donc pas à être motivée.

Au fond, les juges marseillais ont considéré que la circonstance qu’à la date à laquelle la décision de diminution de rémunération de l’agent avait été prise aucune sanction pénale ou disciplinaire n’avait été prononcée à son encontre ne faisait pas obstacle à ce que le ministre prenne, en application des dispositions de l’article 30 de la loi de 1983, est sans incidence sur la légalité de cette décision.

Enfin, la situation personnelle de l’agent ne faisait pas, en l’espèce, obstacle à ce que ce dernier ne soit pas rétablit dans ses fonctions au regard de la gravité des faits reproches et de la vraisemblance de ces derniers.

La Cour marseillaise a donc rejeté la requête formée par l’intéressé.

Références : CAA Marseille, 17 décembre 2013, n°11MA00383 ; CE, 21 février 1968, n°68170 ; CE, 31 janvier 2014, n°369718 ; CAA Bordeaux, 8 juillet 2009, n°06BX00316 ; CE, 11 mars 1991, n°92396

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1voir notamment en ce sens CE, 21 février 1968, n°68170

[2CE, 31 janvier 2014, n°369718

[3voir notamment en ce sens CAA Bordeaux, 8 juillet 2009, n°06BX00316

[4voir notamment en ce sens CE, 11 mars 1991, n°92396