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Elections locales : rien ne justifie la « prime à l’ancienneté ». Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : mercredi 16 avril 2014
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Les élections municipales sont fréquemment l’occasion de situations cocasses et pittoresques (que l’on pense par exemple, à la désormais célèbre « fraude à la chaussette », à Perpignan en 2008). Si l’édition 2014 de ce scrutin n’a pas dérogé à la règle, elle a surtout mis en lumière l’existence d’une règle électorale qui ne manque pas de surprendre.

En effet, le Code Electoral prévoit une prime à l’ancienneté pour départager les candidats ayant obtenus le même nombre de voix lors de ce scrutin : « en cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus » (Article L262 alinéa 5 du Code Electoral). Des dispositions similaires sont prévues par le Code Electoral s’agissant des élections régionales (Article L338-1) et départementales (Article L193, instituant l’étrange concept de « binôme qui comporte le candidat le plus âgé »).

Certes, cette règle électorale n’a trouvé application que dans un nombre très restreint de communes pour le présent scrutin municipal. Ainsi des communes de Saint-Loup-sur-Semouse (Haute-Saône), Lescun (Pyrénées-Atlantiques), Saint-Front-de-Pradoux (Dordogne), Saint-Pierre-Avez (Hautes-Alpes) ou encore Canari (Haute-Corse). Par ailleurs, l’esprit de cette disposition électorale peut se comprendre, sur le plan philosophique.

Il n’en demeure pas moins que cette primauté donnée au candidat le plus âgée doit être dénoncée par le juriste comme discriminatoire, et inconstitutionnelle, en tant qu’elle heurte directement le principe d’égalité des citoyens devant la loi, protégé par l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

En effet, le Conseil Constitutionnel n’admet de modulations au principe d’égalité que lorsque celles-ci reposent sur des critères objectifs et rationnels au regard de l’objectif recherché par le législateur et quand cet objectif n’est lui-même ni contraire à la Constitution, ni entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Au cas présent, aucun(s) critère(s) objectif(s) et rationnel(s) ne permet toutefois de fonder en droit la règle selon laquelle, en cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus. De surcroit, l’objectif poursuivi par le législateur en la matière, tendant à favoriser l’élection des candidats les plus âgés, paraît contraire à la Constitution, et entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Il convient de rappeler que la discrimination fondée sur l’âge concerne en effet aussi bien les jeunes que les personnes âgées.

Une telle prime à l’ancienneté ne peut ainsi qu’être dénoncée. Que l’on fasse le parallèle avec le Code du Travail, prohibant toute discrimination fondée sur l’âge (Article L1132-1 du Code du Travail), ou que l’on se réfère au rapport parlementaire d’information sur le statut de l’élu du 19 juin 2013, préconisant un renouvellement de la classe politique française, pour s’en convaincre davantage.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’occasion d’un litige sur les résultats d’un scrutin municipal, le Conseil Constitutionnel devrait censurer cette disposition législative, qui ne peut qu’être dénoncée comme datée. Une intervention du Défenseur des Droits serait également opportune en la matière. Le législateur s’honorerait toutefois à corriger spontanément cette discrimination, sans attendre la censure du juge constitutionnel.

Une alternative crédible et raisonnable pourrait consister à donner la primauté au candidat ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages lors du premier tour de scrutin, ou à organiser, si nécessaire, un nouveau tour de scrutin pour départager les candidats concernés. Le droit des élections locales n’en serait que plus en phase avec l’évolution de la société française.

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Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] 07 80 99 23 28 http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic