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L’arbitrage devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Par Pascaline Mélinon, Elève-Avocate.
Parution : mercredi 14 mai 2014
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Les articles 272 et 273 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) donnent compétence à la Cour de justice de l’Union Européenne pour « statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte », ainsi que pour « statuer sur tout différend en connexité avec l’objet des traités, si ce différend lui est soumis en vertu d’un compromis ».

L’arbitrage devant la CJUE n’est pas une procédure nouvelle. Dès le Traité de Rome de 1957, les articles 181 et 182 étaient libellés en des termes quasiment identiques à ceux articles 272 et 273 TFUE. Par la suite, ces articles ont été reproduits dans le Traité d’Amsterdam de 1997 avant d’être repris par le Traité de Lisbonne de 2009 avec des modifications mineures.

Cet article examinera si l’arbitrage devant la CJUE présente des avantages similaires à ceux traditionnellement attribués à l’arbitrage.

I. Introduction

Comme toute procédure de règlement des litiges, l’arbitrage présente de nombreux avantages et inconvénients en comparaison à la justice étatique. Néanmoins, la multiplication des centres d’arbitrage régionaux, et la compétition inter partes qu’engendre cette multiplication témoignent d’une appétence des acteurs économiques pour ce mode de règlements des conflits. De la même façon, les tribunaux arbitraux ad hoc ont fleuri présentant entre autre les avantages de confidentialité et neutralité du forum.

Mais avant tout, le succès de l’arbitrage réside en ce qu’il repose sur une base contractuelle. Cette liberté contractuelle mise en œuvre au travers de la convention d’arbitrage, permet aux parties de convenir de la procédure arbitrale, tant en amont d’un litige qu’à la suite de sa survenance. Les parties s’accordent ainsi préalablement sur l’encadrement de la procédure arbitrale quelle soit ad hoc ou institutionnelle. Elles sont libres de soumettre leur litige sous réserve qu’il soit arbitrable, à un arbitre unique ou à un panel d’arbitres nommés selon une procédure qu’elles sont convenues. Le siège de l’arbitrage, la langue de la procédure, ainsi que les règles relatives à l’admission de la preuve sont autant d’aspects procéduraux que les parties peuvent contractuellement déterminer qui contribuent dans une mesure indéniable à l’attractivité de l’arbitrage.

Parallèlement, la possibilité d’obtenir l’exécution forcée de la sentence arbitrale à l’étranger a renforcé considérablement l’efficacité de l’arbitrage tant commercial que d’investissement. Aujourd’hui, 149 pays sont signataires de la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères de 1958. Par ailleurs, 159 pays sont signataires de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États de 1965. Au vue de la prolifération des traités bilatéraux et multilatéraux d’investissement soumettant la résolution des litiges au CIRDI, certains auteurs ont pu évoquer un « babyboom » [1] des arbitrages d’investissement- un phénomène qui laisse présager un bel avenir pour l’arbitrage. De plus, il ressort des quelques 1 400 décisions judiciaires signalées dans l’annuaire Yearbook : Commercial Arbitration, qu’il est fait droit aux demandes d’exécution d’une sentence arbitrale dans près de 90 % des cas.

II. La CJUE érigée en tribunal arbitral ?

Cependant, les articles 272 et 273 TFUE emploient une terminologie ambiguë quant à la nature même de la procédure devant la CJUE. Se pose en particulier la question de savoir si nous sommes en présence d’une procédure arbitrale ou judiciaire ?

En effet, tandis que les articles 272 et 273 TFUE se réfèrent à « une clause compromissoire » et un « compromis », la CJUE n’en est pas pour autant érigée en tribunal arbitral puisqu’elle est compétente pour «  statuer » et que dans la pratique elle rend des « arrêts » et non des sentences arbitrales [2].

De plus, conformément à l’article 13 Traité sur l’Union Européenne chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les Traités. La Cour est aussi gouvernée par le Statut de la CJUE, et aucune provision ne permet expressément aux parties de déroger aux règles de procédure de la CJUE. Par conséquent, la compétence de la Cour telle qu’établie par les articles 272 et 273 TFUE ne peut être modifiée du fait de l’accord des parties. Pourtant d’aucun argue que les parties pourraient déroger aux règles de procédures si ces dernières ne sont pas d’ordre public [3]. Mais, dans la mesure où la Cour n’a pas eu à connaître de litiges où les parties prévoyaient une procédure alternative, la question reste entière. Néanmoins, compte tenu du nombre important d’affaires dont la CJUE doit connaître, il est peu probable que celle-ci permette aux parties d’établir une procédure à la carte en matière d’arbitrage. Ainsi, en vertu de l’article 44(5) du règlement de procédure Tribunal de l’Union, ce dernier est compétent pour connaître des affaires relevant de l’article 272 TFUE.

De ce fait, nonobstant la volonté des rédacteurs du Traité d’instaurer une procédure arbitrale en faisant expressément usage du vocable de la procédure, d’aucun considère que l’arbitrage devant la CJUE n’est en réalité qu’une clause attributive de compétence, ou encore, que cette procédure est dotée d’un caractère hybride à mi-chemin entre l’arbitrage et la prorogation de compétence [4]. Au contraire, puisque la CJUE est compétente pour statuer sur un litige en vertu d’une clause compromissoire, cela doit être en principe interprété comme conférant à la Cour une mission d’arbitrage [5].

Ainsi, compte tenu du fait que les parties ne peuvent modifier la composition de la CJUE [6] dans le cadre d’une procédure d’arbitrage car limitée par les Traités, au-delà du libellé ambigu des articles 272 et 273 TFUE, la procédure d’arbitrage devant la CJUE présente-t-telle les avantages de flexibilité et d’efficacité procédurale reconnus à l’arbitrage ?

III. La procédure d’arbitrage devant la CJUE

Devant la CJUE, l’article 272 TFUE impose le respect de trois conditions afin d’emporter la compétence de la CJUE :
- le recours doit être fondé sur la clause compromissoire
- la clause compromissoire doit être contenue dans le contrat
- le contrat doit avoir été conclu par l’Union ou pour son compte.

Quant à l’article 273 TFUE, il impose que :
- le litige oppose des États membres
- le litige soit en connexité avec l’objet des traités
- le différend soit soumis à la compétence de la Cour en vertu d’un compromis.
A ce jour aucune décision n’a été rendue sur le fondement de l’article 273 TFUE.

En droit français de l’arbitrage « les arbitres règlent la procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux, sauf si les parties en ont autrement décidé dans la convention d’arbitrage [7] » . Seul le tribunal, conformément au principe de Kompetenz-Kompetenz, détermine sa compétence [8]. De la même manière, dans le cadre d’une procédure d’arbitrage devant la CJUE fondée sur l’article 272 TFUE, seule la Cour est compétente pour déterminer sa compétence au vu des seules dispositions de l’article 272 TFUE et des stipulations de la clause compromissoire, sans que puissent lui être opposées des dispositions du droit national qui feraient prétendument obstacle à sa compétence [9].

En l’absence de définition du terme « clause compromissoire » dans les Traités, la Cour interprète extensivement ce que constitue une clause compromissoire. De plus, le traité ne prescrivant aucune formule particulière à utiliser dans une clause compromissoire, toute formule qui indique que les parties ont l’intention de soustraire leurs éventuels différends aux juridictions nationales pour les soumettre aux juridictions communautaires doit être considérée comme suffisante pour entraîner la compétence [10]]. Ainsi, la Cour a estimé que rien ne s’oppose à ce que l’existence d’une telle clause soit examinée en prenant en compte les principes généraux du droit des contrats émanant des ordres juridiques des États membres [11].

Puis, la Cour détermine conformément au principe de l’autonomie de la clause compromissoire -principe cardinal de la procédural arbitrale- la validité de cette dernière, avant de procéder à la détermination de la validité du contrat en question [12].

Ensuite, la Cour s’attachera à déterminer si le litige est arbitrable. A ce propos, elle estime que sa compétence, fondée sur une clause compromissoire, est dérogatoire au droit commun, et, doit être interprétée restrictivement. Ainsi, la Cour ne peut connaître que des seules demandes qui dérivent du contrat et qui ont un rapport direct avec les obligations qui découlent de ce contrat [13]]. Il s’agit ici des demandes relevant de la responsabilité contractuelle. Dès lors, tout moyen dont le fondement serait non-contractuel, échappera au champ d’application de la clause compromissoire, et, son examen ne relèvera alors pas de la compétence de la Cour [14].

En revanche, il est possible de rajouter des conditions supplémentaires à celles prévues par les articles 272 et 273 TFUE. Dans l’arrêt Bauer une disposition d’une loi nationale, applicable au litige relevant de la compétence de la Cour en vertu d’une clause compromissoire, qui exigeait qu’avant toute action contentieuse soit présentée devant la juridiction compétente une demande de conciliation, est d’application devant la Cour, et a rendu irrecevable le recours introduit sans que ce préalable ait été respecté.

S’agissant des règles de recevabilité de la preuve dans la procédure d’arbitrage devant la CJUE celles-ci sont gouvernées par règlement de procédure Tribunal de l’Union. Ce dernier fixe les règles de procédure dans le cadre d’une requête déposée sur le fondement de l’article 272 TFUE et ces règles de procédure ne peuvent donc être modifiées contractuellement par les parties au litige [15]. En effet, la Cour a rappelé que les demandes subsidiaires tendant à la désignation d’un expert doivent être examinées par le Tribunal au regard des dispositions des articles 65 à 67 du règlement de procédure, consacrés aux mesures d’instruction [16].

Enfin, s’agissant des arrêts du Tribunal rendus sous l’article 272 TFUE, ils sont rendus en première instance et peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de Justice limité aux questions de droit dans un délai de 2 mois. Ils ont force exécutoire dans les conditions fixées à l’article 280 et 299 TFUE.

IV. Remarques conclusives

La procédure d’arbitrage devant la CJUE ne possède pas les caractéristiques proéminentes de l’arbitrage. Notamment, les parties au litige ne peuvent convenir de la procédure d’arbitrage per se en la modulant à leurs guises. Elles ne peuvent non plus nommer des arbitres et sont en réalité en présence d’une juridiction exerçant une mission d’arbitrage.

Cependant, en dépit de l’apparente rigidité de la procédure devant la CJUE, il y a de nombreuses raisons qui poussent des parties à soumettre leur litige à la compétence de la Cour. Tout d’abord, l’Union rassemble de nombreuses cultures juridiques et la Cour peut apparaître comme un forum plus adapté pour statuer sur des litiges afférents à des contrats internationaux. De plus, la clause compromissoire et le compromis permettent aux parties d’éviter la justice étatique et les inconvénients qui lui sont attachés. Enfin, la procédure devant la CJUE est gratuite.

De plus, la Cour jouit du pouvoir de déterminer sa propre compétence sans l’intervention d’un juge d’appui. Ses jugements ont force exécutoire et ne peuvent être frappé d’un pourvoi uniquement devant la Cour de Justice, ainsi en aucune façon la justice étatique interfère avec la mission d’arbitrage confiée à la CJUE rendant indéniablement efficace la résolution des litiges.

A l’avenir, il est à prévoir que cette procédure d’arbitrage institutionnel sui generis continue de gagner en importance notamment s’agissant des recours fondés sur l’article 273 TFUE. En effet, le Traité instituant le Mécanisme Européen de Stabilité mais aussi le Pacte Budgétaire entre autre prévoient la compétence de la CJUE en application de l’article 273 TFUE.

Pascaline Mélinon Elève avocate - LL.M (University of Bristol) - LL.B (UWE Bristol)

[1Alexandrov, Stanimir A. , ‘ “The “Baby Boom” of Treaty based Arbitrations and the Jurisdiction of ICSID Tribunals : Shareholders as “Investors” and Jurisdiction Ratione Temporis’ , Law and Practice of International Courts and Tribunals, (2005) Vol. 4, p. 19

[2Voir par exemple : Arrêt T-168/10 and T-572/10 Commission c/ SEMEA et Commune de Millau [2012]

[3Barav, in Constantinesco et al. (eds), Traité instituant la CEE (Paris, 1992), art.181(4).

[4Schmitthoff, "Arbitration and EEC Law" (1987) 24 C.M.L. Rev. 156

[5C. Jarrosson et L. Idot, “Arbitrage” , Encyclopédie Dalloz de Droit Communautaire (1992) Vol 1, p. 9

[6Article 14 (2) règlement du Tribunal de l’Union

[7Article 1460 Code de Procédure Civile

[8Article 1448 Code de Procédure Civile

[9(C-209/90) Feilhauer [1992] E.C.R. I-261, [13]

[10Arrêt (C-294/02) Commission / AMI [2005] (Rec p I-2175) [49-50

[11Ibid n° 10, [134].

[12(C-209/90) Feilhauer [1992] E.C.R. I-261, [12]–[23]

[13Arrêt 426/85 Commission c/ Zoubek [1986] E.C.R. 4057 [11

[14(C-330/88) Grifoni v Euratom (No.2) [1991] E.C.R. I-1045 [20]

[15T-428/07 et T-455/07, CEVA c/ Commission [2010] [108]

[16Ibid n°15

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