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Le Droit et les devoirs du traducteur juridique.
Parution : mercredi 21 mai 2014
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Comment répondre au défi du langage juridique et aux évolutions du droit ? Quel est le rôle du traducteur juridique ? On le connait tous, ou tout du moins on devrait tous le connaître : traduire des textes de droit d’une langue à une autre. Mais, qu’en est-il de ses devoirs ?

En effet, en raison de sa grande complexité, la traduction juridique impose non seulement la maîtrise de différentes langues, mais aussi la connaissance des différents systèmes juridiques concernés, de la terminologie et du jargon des disciplines abordées. À ces éléments, qui constituent la pointe de l’iceberg, viennent s’ajouter deux obligations additionnelles pour le traducteur, et non des moindres, qui se cachent derrière toute traduction de qualité : l’adoption d’une approche pluridisciplinaire et différente de toute autre forme de traduction et une obligation de veille et de formation permanente aux évolutions législatives.

Relever le défi du langage juridique – vers une nouvelle approche

D’abord, il convient de signaler que le langage juridique est l’un des plus complexes et par conséquent, sa traduction l’est aussi. Tout comme la langue, le droit est un phénomène social, ce qui explique les principales difficultés liées à la traduction juridique : la spécificité du langage juridique (son discours, son jargon, ses techniques, la phraséologie spécifique au droit exprimé) et celle des concepts et des notions de droit (liée à la diversité des systèmes juridiques). Afin de prendre en compte ces spécificités, communes à tous les textes juridiques, il est devenu indispensable pour tout traducteur juridique, en plus de posséder une double formation (juriste et linguiste), d’adopter une approche pluridisciplinaire de la traduction des textes de droit.

Même si sa spécificité a été largement reconnue, beaucoup sont ceux qui soutiennent encore que le processus de traduction juridique est le même que celui d’autres types de traduction. Or, comme il a été précédemment signalé, la traduction juridique a des caractéristiques très spécifiques qui la distinguent de toutes les autres formes de traduction. Dans le cadre de toute traduction juridique, le traducteur doit adopter premièrement une approche juridique pour pouvoir tenir compte, en plus des deux spécificités signalées, de la complexité liée à l’absence de correspondance exacte et systématique des concepts et des notions juridiques des différents systèmes juridiques, donnant lieu à l’usage de termes différents suivant le contexte, le type de texte à traduire et de sa fonction ultime. Dans ce contexte, la compréhension des concepts juridiques de la source et de leur signification dans la langue cible devient la base structurelle préalable à toute traduction, ce qui explique l’intérêt de la fonction du droit comparé dans toute traduction juridique et le besoin d’un rapprochement entre les professionnels du droit comparé et ceux de la traduction juridique. En effet, le droit comparé et la traduction juridique sont des disciplines complémentaires qui peuvent « partager leurs savoirs afin de comprendre les concepts du droit étranger et de pouvoir les décrire par une terminologie transparente » [1]. Des initiatives sont nées de plusieurs colloques dans ce sens, afin d’encourager la collaboration de chercheurs linguistes et traductologues au sein des groupes de recherche juridique sur des thématiques croisées.

D’autre part, comme il a été soulevé à plusieurs occasions, en raison de la pluralité des contextes juridiques dans lesquels naît le besoin en traduction et de la diversité des textes juridiques à traduire, l’augmentation des besoins en traduction juridique a fait que les domaines du droit faisant objet des traductions soient de plus en plus diversifiés. Dans ce contexte, les traducteurs juridiques se spécialisent dans des disciplines bien précises, en adoptant en même temps une approche pluridisciplinaire (par exemple, un traducteur travaillant dans le domaine du droit commercial n’échappera pas à des notions en matière de fiscalité).

Formation et veille permanente

Le droit n’est pas statique, il évolue dans le temps. De même, les traducteurs juridiques doivent suivre ces évolutions par le biais de formations et d’une veille permanente.

Même si pour exercer le métier, la formation continue n’est pas une condition indispensable, elle est pourtant obligatoire pour les traducteurs assermentés et recommandée à tous. En effet, conformément au décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, les experts traducteurs ont une obligation de formation continue en droit et/ou traduction, devant justifier la réalisation de ces formations pour pouvoir maintenir leur qualité d’expert. De même, de nombreux traducteurs spécialisés suivent des formations organisées par des associations professionnelles comme la SFT ou l’UNETICA en France.

D’autre part, dans l’exercice de sa profession, chaque traducteur juridique doit également se tenir informé des dernières évolutions législatives et/ou réglementaires ayant un impact sur les textes qu’il traduit, le pays où il exerce et les disciplines couvertes dans son travail. À titre d’exemple, il convient de signaler le cas du Mexique et sa récente adoption du nouveau Code de procédure pénale (Código Nacional de Procedimientos Penales), qui se rapproche du droit anglo-saxon en s’éloignant du droit romain, droit traditionnel dans les pays hispanophones. Quelles sont les conséquences pour les traducteurs ? Tout d’abord et surtout, ceci marque le début d’un élargissement du corpus terminologique et du vocabulaire de l’espagnol juridique, auquel aucun traducteur hispanophone ne peut échapper et d’autre part, le nouveau système entraînera une augmentation de la demande des services d’interprétation judiciaire au Mexique, pays ayant le plus grand nombre d’hispanophones au monde.

L’ensemble des éléments ci-dessus cités se cachent derrière toute traduction professionnelle. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, les conséquences peuvent s’avérer catastrophiques en fonction du type de texte traduit et de l’erreur commise.

Patricia Huertos Puerta Cabinet Huertos & Associés www.cabinet-huertos.com

[1S. POMMER, « Droit comparé et traduction juridique – Réflexions jurilinguistiques sur les principes communs », op. cit., p. 27