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Game of Drones : condamné pour vol. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : jeudi 22 mai 2014
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La responsabilité civile demeure un champ d’immense dynamisme. Les innovations, les nouvelles organisations et la technologie sollicitent l’analyse des risques, de leurs imputations et de leurs couvertures financières. Un domaine où la société court sans cesse, avec avidité, après des normes claires, tant sont fortes les implications sociales du droit de la responsabilité civile.

C’était inévitable : la diffusion massive d’engins volants télécommandés, notamment utilisés dans une optique professionnelle, ouvre un nouveau champ de ce droit. Il est, à la fois réglementaire, de responsabilité civile et de responsabilité pénale.

En prononçant la première condamnation pénale pour infraction à la réglementation aérienne et mise en danger de la vie d’autrui, le Tribunal correctionnel de Nancy, le 20 mai 2014, fait entrer le drone au Tribunal.

Premier survol d’un sujet qui ne fait que décoller judiciairement.

Vol stationnaire : la réglementation aérienne englobe désormais celle des drones.

S’il n’est pas rare de fréquenter le Tribunal correctionnel pour vol, en revanche, les pilotes y étaient encore assez peu convoqués.

Les « drones », sémantiquement associés, en anglais, au mâle de l’abeille (le french Faux-Bourdon fait, sans doute, fait moins techno), sont apparus en France, en 1923, à la suite de recherches de l’Armée de l’air française. Mais ce sont les progrès technologiques des dernières années, stimulés de nouveau par les besoins de la guerre aérienne, qui permettent aujourd’hui l’exploitation, à des fins pacifiquement civiles, d’aéronefs miniaturisés dépourvus de pilote embarqué.

Convoqué au Tribunal correctionnel de Nancy, le 20 mai 2014, le jeune (et talentueux) pilote lorrain a écopé d’une raisonnable amende de 400 euros, pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui » [1], ainsi que pour violation de la réglementation relative au pilotage des aéronefs.

De quoi avoir le bourdon pour de bon, surtout que la vidéo réalisée par le pilote est unanimement reconnue pour sa belle qualité.

Les deux arrêtés du 11 avril 2012 amorcent l’encadrement de cette nouvelle forme de vol : conception des aéronefs, conditions d’utilisation et capacité de pilotage. Un triptyque règlementaire basique. Celui relatif à la circulation dans l’espace aérien « sans personne à bord » [2] embarque les drones (civils) dans les règles de la circulation aérienne générale. En une dizaine d’articles plutôt clairs, il les soumet en effet aux « règles de l’air » [3].

Quatre principaux critères sont pris en considération : le vol à vue, le vol hors vue, le vol au-dessus des zones peuplées, près des infrastructures aériennes. En particulier, le survol des zones peuplées et le vol au-dessus de 150 mètres de la surface est soumis à autorisation du Préfet de Département.

L’infraction à ces normes réglementaires est passible d’une peine d’emprisonnement d’une année et/ou de 75.000 euros d’amende (hors atteinte à la vie privée).

Vol dynamique : la responsabilité civile du pilote de drone.

Cette matière est toute nouvelle et devrait connaître une expansion corrélée au développement de cette nouvelle forme, pleine de promesses, de travail aérien.

Avec sept catégories d’appareils (de A à G), trois types de pilotage, quatre sortes de missions (S1 à S4), la responsabilité du pilote de drone ou « télépilote » nécessite une formation non seulement aérienne, mais également juridique. Car les deux matières, le droit et l’air, doivent être mixées correctement par le pilote.

Les pilotes de drones doivent posséder l’une des formations de pilote (PPL ou privé, planeur ou ULM), avec leur volet théorique.

La responsabilité civile des aéronefs distingue celle du pilote et celle de l’exploitant de l’appareil [4], fonctions qui peuvent s’appliquer sans difficulté aux drones. L’exploitant, commettant du pilote, lui-même gardien de l’aéronef, est responsable de plein droit des dommages causés en cas de survol, même en cas de force majeure. Seule la faute de la victime peut atténuer cette responsabilité [5].

Les collisions entre aéronefs sont réglées selon le régime de droit commun, entre deux gardiens des deux (ou davantage) choses impliquées dans le dommage [6].

La preuve du franchissement du mur du son incombe à la victime, mais n’est sans doute pas (techniquement) prête d’être invitée aux débats judiciaires portant sur les drones.

Dommages aux personnes, dommages aux biens, collisions entre aéronefs, nuisances sonores, collectes d’informations intrusives de la vie privée [7], mais également nouvelles formes de piraterie et de malveillance… figurent parmi les nombreux risques auxquels s’expose le pilote de drone.

Avec 400 entreprises, une Fédération professionnelle, peut-être près de 2 000 aéronefs de ce type en circulation, pesant parfois une dizaine de kilos, ces risques devraient se matérialiser assez rapidement.

La couverture des risques en responsabilité civile est devenue incontournable.

L’entrée du drone au Tribunal ôte certainement une part de liberté à ce mode de vol. Mais elle est indispensable. L’Histoire aérienne a montré, avec relief, la grande capacité des générations de pilotes à pratiquer leur art avec une grande responsabilité et indépendance, à l’intérieur de règles juridiques de plus en plus précises et strictes.

Laurent Denis Juriste

[1article 121-3 du Code pénal

[2NOR DEVA1207595A

[3article 1 de cet arrêté

[4articles R. 141-1 et R.141-2 du Code de l’aviation civile

[5Jurisprudence au visa de l’article 1384 alinéa 1 et alinéa 5 du Code civil

[6article 1384 alinéa 1 du Code civil

[7CNIL, lettre n°6, décembre 2013

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