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De la requalification d’un contrat commercial en contrat de travail. Par Frédérique Meslay-Caloni.
Parution : jeudi 19 juin 2014
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En ce contexte de crise, la tentation d’introduire une demande en requalification d’un contrat commercial en contrat de travail, est à son apogée.

Il est vrai que si une telle action prospère, elle peut ouvrir droit à des rappels de salaire, de congés payés et, en cas de rupture de la relation, aux indemnités de licenciement, préavis, congés payés, ainsi qu’à des dommages et intérêts pour licenciement injustifié.

Certains demandeurs n’hésitent pas également à mettre en avant les risques au pénal, de travail dissimulé, prêt de main-d’œuvre illicite ou délit de marchandage qui se traduisent, le plus souvent, par une demande supplémentaire d’indemnité de six mois de salaire pour travail dissimulé devant le Conseil de prud’hommes.

L’on sait qu’un contrat peut parfois en cacher un autre et le statut des auto-entrepreneurs est d’ailleurs dans la ligne de mire du gouvernement, précisément parce qu’il recèlerait des situations de salariat déguisé. Cette même problématique affecte un certain nombre de relations de travail, notamment avec des travailleurs indépendants, dans le cadre de contrats de prestations de service, d’entreprise, de consultant, distribution, franchise, agence commerciale, courtage, commissionnaire, mandataire, locataire-gérant, loueur d’ouvrage, etc…

N’est cependant pas salarié qui veut et l’obtention d’un contrat de travail est loin d’être chose acquise. Encore faut-il que ce statut de salarié revendiqué, corresponde à une réalité et ne soit pas invoqué uniquement en riposte à une rupture des relations.
Pour forger sa conviction, le juge va procéder par faisceaux d’indices.

Le demandeur inscrit ou immatriculé à l’un des registres énumérés à l’article L 8221-6. I du Code du travail ne bénéficiera ainsi pas d’office de la présomption de non salariat prévue à cet article, d’autant que le point II ajoute que « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci  ».

Le juge va aller au-delà de la dénomination que les parties ont voulu donner au contrat ou des formes qu’elles auraient entendu exclure et va se livrer à un examen minutieux des conditions de fait dans lesquelles a été exercée l’activité en cause [1].
Le critère essentiel de requalification est l’existence d’un lien de subordination permanent, impliquant un travail sous l’autorité et le contrôle d’un cocontractant à même de sanctionner tout manquement éventuel.

L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît.

Les indices les plus fréquemment invoqués à l’appui d’une demande en requalification : la longue durée des relations, l’absence d’autonomie dans l’exercice des missions, l’exigence de comptes rendus trop réguliers, l’imposition d’horaires de travail, l’absence de liberté dans l’organisation du travail, l’absence de savoir-faire distinct de celui des salariés du cocontractant, des modes de rémunération traduisant un prêt de main-d’œuvre, l’intégration aux équipes du cocontractant à travers des organigrammes, la mise à disposition de moyens matériels, d’un bureau, d’une carte de visite, de papiers à entête, d’une ligne téléphonique, d’une adresse électronique, la validation des congés.

Cependant, un indice pouvant traduire un manque d’indépendance et alimenter ainsi l’existence d’un lien de subordination dans une affaire, ne sera pas nécessairement, dans une autre, un indice de requalification.

Ainsi, par exemple, dans les contrats de prestations de service, une confusion est-elle régulièrement entretenue entre les ordres au sens du droit du travail et les communications adressées par le client au prestataire sur ses besoins ou contraintes (cahier des charges), lesquelles sont indispensables à la bonne exécution des prestations commandées. Si le prestataire doit apporter au client son savoir-faire en toute autonomie, ce dernier est légitiment en droit de maîtriser les paramètres de sa commande (délais, prix, résultat attendu...) et de s’exprimer sur ces sujets sans que cela ne constitue pour autant une immixtion anormale [2].

De même, la réalisation d’un travail dans le cadre d’horaires n’est pas nécessairement, à elle seule, l’illustration d’un lien de subordination, mais répond bien souvent à des soucis d’organisation ou de sécurité.

Dans le même ordre d’idées, si l’inscription du nom du travailleur indépendant ou d’un de ses salariés dans les organigrammes ou cartes de visite, papier à entête ou plannings de son cocontractant, ou plus généralement son intégration à un service est souvent qualifiée d’indice, elle peut ne correspondre qu’à une logique organisationnelle et ne pas traduire, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination [3] .

L’envoi de comptes rendus par le travailleur indépendant ou sa présence à des réunions n’est pas non plus nécessairement le reflet d’un contrôle et peut au contraire s’inscrire dans le cadre de l’obligation d’informer et de coopérer essentielle aux mandats et contrats d’intérêt commun (agent commercial, distribution, franchise etc.) ainsi qu’aux contrats de prestations de service dans le cadre desquels le client doit être informé des conditions d’avancement des prestations.
Tout dépend en réalité de la forme, de la périodicité, du contenu et de l’indépendance dans la réalisation du travail [4].

Quant à la clause d’exclusivité par laquelle une personne physique ou morale s’engage à ne pas travailler avec d’autres sociétés que son cocontractant, elle n’anéantit pas à elle seule la possibilité pour cette dernière de travailler de manière autonome en apportant son savoir-faire. Il en va de même pour celle qui, bien que non liée par une telle clause, ne concentre ses activités que sur un client.

L’appréciation de l’existence ou non d’une relation salariale est ainsi particulièrement complexe [5], [6].

Il est donc fondamental, avant se lancer dans une relation, de bien en déterminer le mode de fonctionnement, les besoins, exigences et contraintes et de fixer ensuite le cadre contractuel juridique approprié afin qu’il soit en adéquation avec le projet envisagé. Il reste ensuite à surveiller de près les conditions réelles et factuelles d’exécution du contrat.

Frédérique Meslay-Caloni

[1Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-26325 ; CA Paris, 31 janvier 2013, n° 11/04541 ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548 ; CA Paris, 6 mars 2014, n° 13/08784.

[2CA Paris 30 janvier 2014, n° 13/05587 ; 19 mars 2014, n° 11/00949

[3Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-26325 ; CA Paris, 31 janvier 2013, n°11-04541 ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548 ; CA Paris 30 janvier 2014, n° 13/05587 et 6 mars 2014, n° 13/08784 ; CA Bordeaux, 18 février 2014, n° 13/01919.

[4Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548 ; Cass. soc., 12 avril 2012, n° 10-27075 et 10-27076

[5cf. notamment Cass. soc., 12 avril 2012, n° 10-27075 et 10-27076 ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548.

[6A noter que les gérants de succursale au sens de l’article L 7321-2 du code du travail bénéficient de l’application automatique des dispositions du code du travail leurs relations en contrat de travail, dès que lors que les conditions sans avoir à démontrer l’existence d’un lien de subordination (les distributeurs et tout particulièrement les franchisés peuvent être qualifiés de gérant de succursale si les conditions de l’article L 7321-2 précité sont réunies)

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