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Reconnaître l’enfant d’un autre, risques et conséquences. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : vendredi 20 juin 2014
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Il est fréquent que le concubin de la mère décide, souvent en accord avec elle, de reconnaître l’enfant qu’elle porte (ou qui est déjà né depuis parfois plusieurs années).

Toutefois l’expérience prouve que tant la mère que son concubin sont souvent inconscients des conséquences et des risques qu’entraînent cet acte, apparemment simple.

Reconnaître un enfant n’est pas un acte anodin et cette reconnaissance a des conséquences juridiques importantes.

De ce fait, les reconnaissances de complaisances, bien qu’illégales, sont courantes.

Trois cas de figures se présentent en pratique le plus souvent :

La différence tient ici dans la connaissance de la fraude et dans sa cause.

Dans tous les cas, cette reconnaissance prend effet immédiatement et tant qu’elle n’est pas annulée elle reste valide.

Il est important de rappeler que pour qu’une paternité soit annulée, il faut faire une procédure judiciaire complexe, longue et coûteuse, ce n’est donc pas simple de revenir sur une reconnaissance de paternité.

1°) Les risques de poursuites

La reconnaissance frauduleuse n’est pas en soi un délit, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation dans un arrêt du 8 mars 1988 l’a précisé.

Toutefois attention, il en va différemment si la reconnaissance a été faite pour bénéficier frauduleusement d’un droit (par exemple obtenir un titre de séjour), il y a alors une tentative de fraude à la loi et risque de poursuites pénales (variables en fonction de la fraude).

2°) Les conséquences de la reconnaissance de paternité

Tant qu’une décision ne l’a pas annulée, la reconnaissance de paternité perdure.

Une fois la paternité fixée, les liens juridiques existent entre le père et l’enfant et s’ensuivent donc des conséquences importantes tant en terme de droits que de devoirs.

LES DEVOIRS :

Le père a le devoir de participer à l’entretien et l’éducation de l’enfant en payant une pension alimentaire et l’enfant devient son héritier au même titre que ses autres enfants.

En outre l’enfant aura également une fois adulte un devoir d’aide financière à l’encontre de son père s’il est dans le besoin. Et ce père sera son héritier au même titre que sa mère.

LES DROITS :

Si cette paternité entraîne des devoirs, elle donne aussi au père un certains nombre de droits : le père pourra exercer l’autorité parentale conjointe, un droit à résidence, un droit de visite et d’hébergement.

Le père a en effet les mêmes droits que la mère. La mère ne peut donc absolument pas interdire au père d’avoir des relations normales avec l’enfant hormis bien entendu dans les cas où le comportement du père mettrait en danger l’enfant.

Elle ne peut pas non plus régenter librement ces relations. En effet s’il n’obtient pas les droits qu’il considère comme normaux, le père peut saisir le juge aux affaires familiales du lieu ou demeure l’enfant pour obtenir la fixation de ses droits.

Attention cependant, il s’agit d’un droit et non d’une obligation. Il n’est pas possible d’obliger le père à prendre son enfant. Si un père ne veut aucune relation avec son enfant, c’est son droit, de même s’il se contente de relations épisodiques. Ni la mère, ni l’enfant ne peuvent le forcer à plus qu’il ne souhaite à ce sujet.

Il est important de distinguer les cas où l’enfant a été reconnu par le père dans l’année suivant sa naissance ou non.

En effet, dans le cas où le père a reconnu l’enfant avant ses un an, il est automatiquement investi de l’autorité parentale conjointe avec la mère.

Si ce n’est pas le cas, seule la mère est investie de l’autorité parentale et le père pour que cette autorité soit conjointe doit soit faire une déclaration commune avec la mère devant le greffier du tribunal de grande instance (mais il faut son accord), soit saisir le juge aux affaires familiales d’une demande en ce sens.

La seule obligation du père est le versement d’une pension alimentaire pour l’entretien et l’éducation de l’enfant. S’il ne verse pas une somme de lui-même, ou si la mère considère le montant comme insuffisant, la mère pourra saisir le juge aux affaires familiales du lieu ou demeure l’enfant pour obtenir la fixation du montant de la pension alimentaire.

3°) La remise en question de cette reconnaissance de paternité

En fonction de l’existence ou non d’une possession d’état conforme à l’acte de naissance, les personnes ayant le droit d’agir et les délais de prescription varient.

La possession d’état conforme à l’acte de naissance est le fait que l’enfant soit traité par son père légal (c’est à dire celui qui l’a reconnu) comme s’il était réellement son enfant.

Si la possession d’état conforme à l’acte de naissance existe, la prescription de l’action en contestation est de 5 ans à compter de la cessation de ladite possession d’état.

Seuls peuvent engager une procédure en contestation le père légal, le père génétique, l’enfant lui-même (à compter de sa majorité) et le Ministère Public.

Si il n’y a pas possession d’état conforme à l’acte de naissance, alors la prescription est de 10 ans à compter de la déclaration de reconnaissance de paternité.

Dans ce cas la procédure est ouverte à toute personne y ayant intérêt c’est à dire, outre le père légal, le père génétique, l’enfant lui-même (à compter de sa majorité) et le Ministère Public, les héritiers par exemple.

ATTENTION, pour les enfants mineurs la prescription ne court qu’à compter de leur majorité. Ainsi le délai pour agir est il souvent différent pour les adultes concernés (les pères légal et génétique, la mère) et pour l’enfant mineurs.
En effet si les délais courent immédiatement pour les adultes, ils ne commencent à courir qu’à compter de sa majorité pour l’enfant.

En pratique cela a pour conséquence qu’une procédure peut être engagée jusqu’au 23 voire 28 ans de l’enfant selon les cas.

Les conséquences de cette contestation sont une disparition de la filiation et ce rétroactivement.

L’enfant et le père n’ont donc plus aucun lien légal, ils n’héritent plus l’un de l’autre et ne se doivent plus de pension alimentaire ni aide d’aucune sorte.

L’annulation de cette reconnaissance entraîne notamment des conséquences quant au nom que porte l’enfant puisqu’il perd tout droit au nom de son père légal.

En outre, des dommages intérêts peuvent être demandés à ce stade. Soit à l’encontre du père auteur de la reconnaissance frauduleuse qui a agit en toute connaissance de cause, soit à l’encontre de la mère qui a caché la vérité.

Enfin le père légal qui n’aurait pas connu la vérité et aurait reconnu l’enfant en toute innocence peut exiger de se voir rembourser les frais dépensés pour l’enfant.

Il faut être donc particulièrement attentif car trop de couples se séparent et trop de parents regrettent ensuite les choix faits au début de leur vie de couple ce qui entraîne des procédures de contestation de paternité lourdes de conséquences non seulement juridiques et financières mais aussi morales pour l’enfant.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com
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