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L’intention de l’auteur en matière de harcèlement moral. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : mardi 15 juillet 2014
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L’intention de l’auteur n’est pas requise pour caractériser des faits de harcèlement moral.

En l’espèce, un agent de la Commune de Béziers s’est suicidé le 12 mars 2003 après avoir donné la mort à son épouse et leurs deux enfants dans la nuit du 27 au 28 février 2003.

Estimant que le suicide de leur fils trouvait son origine dans les faits de harcèlement moral dont ce dernier avait fait l’objet au travail, ses parents, agissant à titre personnel et en qualité d’ayant droit de leur fils, ont formé une demande indemnitaire tendant à ce que la Commune indemnise le préjudice qu’ils ont subi et de celui de leur fils.

La Commune ayant rejeté cette demande, ces derniers ont alors formé un recours contentieux à l’encontre de la collectivité.

Par jugement en date du 2 février 2011, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur requête.

Les intéressés ont interjeté appel de ce jugement.

Les juges administratifs d’appel marseillais ont tout d’abord rappelé qu’en application des dispositions de l’article 6 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement [1].

En outre l’arrêt rappel que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établi, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile [2].

De manière générale, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent, quand ils sont reprochés à la hiérarchie de l’agent, excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique dans le cadre du pouvoir d’organisation du service [3].

La Cour a tout d’abord indiqué que les dispositions de l’article 6 quinquies dans leur rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, transposant la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ne sont pas applicables à des faits qui se sont produits antérieurement à leur entrée en vigueur, le 19 janvier 2002 [4].

Cette dernière a ensuite écarté l’argumentaire de la Commune de Béziers qui pour démontrer que les faits de harcèlement reprochés n’étaient pas constitués se prévalait de l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 10 décembre 2010 qui avait confirmé l’ordonnance de non-lieu rendu par le juge d’instruction.

En effet, une telle ordonnance en raison de son objet est dépourvue de l’autorité absolue de la chose jugée, seule qui s’impose au juge administratif.

Sur ce point, le Conseil d‘Etat avait notamment pu indiquer en 2012 que si, en principe, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux autorités et juridictions administratives qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenu et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, il en est autrement lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale [5].

Les parents de l’agent se sont notamment prévalus pour justifier l’existence de faits constitutifs de harcèlement à l’encontre de leur fils, d’une détérioration générale des conditions de travail et de l’absence d’avancement dont ce dernier avait fait l’objet.

La Cour d’appel marseillaise a retenu sur ce point que deux agents n’ayant pas réussi un concours obtenu par la victime s’était vu attribuer des promotions et que le maire de la Commune pour justifier l’absence de promotion de l’agent avait indiqué dans un courrier était fondée sur le nombre d’absences en raison de son état de santé.

Les juges d’appel ont alors logiquement censuré un tel comportement en indiquant qu’une telle règle qui exclut par principe l’examen des mérites professionnels en raison d’une durée d’absence pour raison de santé est entachée d’illégalité.

Une telle motivation pour refuser l’avancement de l’agent constitue un élément de nature à renforcer la présomption d’un harcèlement moral à l’encontre de ce dernier.

De même, la demande de mutation qui avait été formée par ce dernier avait été traitée dans un délai anormalement long.

Précisons sur ce point que la médecine du travail avait prescrit un changement de poste ou de lieu d’affectation. Son lieu d’affectation actuelle étant nuisible à son état de santé.

Ce bilan étant dressé, la Cour a examiné les justifications apportées par la Commune sur ces faits.

C’est sur ce point que la présente décision innove.

En effet, la Commune de Béziers pour tenter d’écarter sa responsabilité a entendu se prévaloir de l’absence d’intention malveillante de ses services envers l’agent et que les faits qui lui sont reprochés sont consécutifs au comportement de ce dernier et à sa personnalité.

Les juges d’appel marseillais ont alors indiqué que l’intention de leur auteur n’est pas requise pour caractériser les agissements de harcèlement moral.

Ainsi, pour le juge administratif la matérialité des faits suffit à constituer un harcèlement moral, la volonté de l’auteur, l’élément moral de l’infraction en somme, pour reprendre une terminologie empreinte au droit pénal, n’est pas exigée.

Précisons que la jurisprudence administrative s’aligne sur ce point sur la jurisprudence judiciaire. En effet, la Cour de cassation a déjà considéré par le passé que [6].

La chambre sociale avait alors indiqué que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Tirant les conséquences du principe qu’elle venait de dégager, la Cour à censurer le jugement attaqué en ce que ce dernier avait tenu compte de cet élément dans l’appréciation portée sur les faits litigieux.

In fine, la Cour a estimé que les agissements répétés analysés plus haut ont tous excédé l’exercice normal du pouvoir hiérarchique et que ces derniers avaient eu pour effet une dégradation des conditions de travail de l’agent de nature à porter atteinte cumulativement à ses droits et à sa dignité, à altérer sa santé physique et mentale et à compromettre son avenir professionnel.

La Cour a donc retenu la faute commise par la Commune en raison de faits constitutifs de harcèlement moral de l’agent et l’a condamné à verser aux parents de la victime une somme totale de 30 000 €.

Références : CAA Marseille, 4 avril 2014, n°11MA01254 ; CE, 11 juillet 2011, n° 321225 ; CE, 12 février 2014, n°352878 ; CE, 18 juin 2014, Chambre des métiers et de l’artisanat de l’Hérault, n°368512 ; CE, 14 décembre 2012, n°350396 ; CE, 10 octobre 2012, SARL Le Madison, n°345903 ; Soc, 10 novembre 2009, n°08-41497

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1voir notamment en ce sens CE, 11 juillet 2011, n° 321225

[2voir notamment en ce sens pour un exemple récent CE, 12 février 2014, n°352878

[3CE, 18 juin 2014, Chambre des métiers et de l’artisanat de l’Hérault, n°368512

[4CE, 14 décembre 2012, n°350396

[5CE, 10 octobre 2012, SARL Le Madison, n°345903

[6voir notamment en ce sens Soc, 10 novembre 2009, n°08-41497

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