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La procédure de recouvrement de créances en Turquie. Par Belgin Özdilmen, Avocate.
Parution : lundi 21 juillet 2014
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Alors que l’Europe est fortement touchée par la crise économique, la Turquie continue sa croissance et est ainsi un des marchés les plus attrayants pour les investissements étrangers. En effet, la Turquie a connu un taux de croissance moyen du PIB annuel de 5% ces dix dernières années et son PIB a atteint 820 milliards de dollars US en 2013 contre 305 milliards de dollars US en 2003. Dans un tel contexte, les sociétés étrangères n’hésitent pas à faire des affaires avec les sociétés turques soit en leurs vendant leurs produits, soit en s’associant avec celles-ci ou encore en s’établissant directement sur le territoire turc afin d’avoir également leur part du marché. Or, il s’avère que les Turcs ne sont pas toujours de bons payeurs et c’est alors qu’une action en recouvrement de créances devient indispensable.

En Turquie, la procédure de recouvrement de créances est strictement réglementée par la loi n° 2004 datée du 09 juin 1932 et par le décret d’application daté du 11 avril 2005. Cette procédure de recouvrement de créances commence par une saisine de la direction d’exécution rattachée à la juridiction de premier degré (I) et en cas de contestation de la dette par le débiteur, se poursuit devant le Tribunal de première instance ou le Tribunal d’exécution (II). Enfin, en cas de non-paiement de la dette par le débiteur, une vente aux enchères de ses biens aura lieu (III).

I. La procédure de recouvrement de créances devant la direction d’exécution

Contrairement à la France où le recouvrement de créances est réalisé soit par un huissier de justice soit par une société de recouvrement, en Turquie ce sont les directions d’exécution qui sont compétentes. Ainsi, le créancier dont la créance est certaine, liquide et exigible et qui est dans l’impossibilité de recouvrer sa créance, peut saisir la direction d’exécution rattachée à la juridiction de premier degré pour obliger le débiteur à s’exécuter. La direction d’exécution compétente est celle où se situe le domicile ou le siège social du débiteur.

Il faut alors constituer un dossier composé d’un certain nombre de documents tels que la requête d’exécution, l’ordre de paiement, les documents attestant l’existence de la créance (factures, contrat de vente etc.) etc. et soumettre celui-ci à la direction d’exécution compétente. Il faut savoir que les documents justifiants l’existence de la créance ne sont pas requis pour engager l’action. Toutefois, il est préférable de constituer le dossier avec un maximum de preuves pour minimiser les possibilités de contestation de la créance par le débiteur. Des droits juridictionnels proportionnels au montant de la créance doivent également être versés. Aussi, lorsque le créancier est étranger il faut que celui-ci présente une garantie à la direction d’exécution tel qu’un cautionnement bancaire ou le dépôt d’une somme pouvant aller jusque 20% de la somme à recouvrer sauf si la condition de réciprocité est remplie . En effet, s’il existe une convention bilatérale entre les pays exonérant les parties d’une telle obligation ou si le créancier est ressortissant d’un Etat partie à la Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la Procédure civile, cette garantie n’est pas requise. La France étant partie à cette convention, les Français sont exonérés de cette obligation pour introduire une action en recouvrement de créance en Turquie.

Une fois saisie, la direction d’exécution envoie un ordre de paiement, en principe dans un délai de 3 jours, au débiteur qui dispose alors d’un délai de 7 jours (5 jours pour les effets de commerce) pour réagir.

Ainsi, le débiteur ayant été notifié de l’ordre de paiement peut, dans le délai de 7 jours :

(i) payer sa dette,
(ii) contester la dette (partiellement ou intégralement), ou
(iii) déclarer ses biens.

Si le débiteur conteste sa dette, le créancier doit alors intenter une action en justice devant la juridiction compétente.

II. Contestation de la dette par le débiteur

A ce stade, le créancier a à sa disposition deux procédures plus ou moins rapides selon les conditions réunies ; il peut demander soit la levée soit l’annulation de la contestation du débiteur.

Ainsi, lorsque l’action en recouvrement de créance repose sur une lettre de change, un document authentifié par le notaire ou un document délivré par les administrations compétentes, le créancier peut introduire dans un délai de six mois à compter de la date de contestation une action tendant à la levée de la contestation devant le Tribunal d’exécution et ainsi obtenir une décision judiciaire assez rapidement. Il s’agit d’une procédure plus prisée que celle tendant à l’annulation de la contestation en raison de sa rapidité. Par conséquent, dès lors que les conditions sont remplies, il faut opter pour cette voie de recours.

La Haute juridiction turque a également admis que si le débiteur conteste sa dette dans le délai de 7 jours au motif de l’avoir déjà payé, il est également possible d’intenter l’action rapide en levée de contestation. En effet, par une telle déclaration, le débiteur accepte l’existence de la relation « créancier-débiteur ».

Si les conditions requises pour l’action en levée de contestation ne sont pas réunies, le créancier doit alors intenter une action en annulation de contestation, procédure longue pouvant durer plusieurs années et qui doit être intentée devant le Tribunal de commerce compétent (si la relation établie entre le débiteur et le créancier est de nature commerciale). Dans ce cas, le créancier dispose d’un délai de un an pour introduire une telle action devant le juge compétent.

Si le juge rend une décision en faveur du créancier, autrement dit s’il lève ou annule la contestation injustifiée du débiteur, dans ce cas le débiteur est également condamné à payer des dommages et intérêts au créancier pouvant aller jusque 20% du montant total de la créance. Cette disposition a ainsi pour effet de dissuader les débiteurs à contester injustement leur dette. Au-delà des dommages et intérêts qui seront dus au créancier, ce dernier va pouvoir poursuivre la procédure de recouvrement de créance.

Une fois la réalité de la créance établie, si le débiteur refuse de payer volontairement sa dette, le créancier peut alors requérir de la direction d’exécution la saisine des biens du débiteur.

III. La procédure de saisine et de vente aux enchères

La saisine des biens du débiteur doit être requise dans un délai de un an à compter de la signification de l’ordre de paiement ou du jugement. Puis, la direction d’exécution doit en principe réaliser la saisine des biens du débiteur dans un délai de 3 jours à compter de la requête. Un officier de la direction d’exécution accompagné de l’avocat du créancier se rend sur le lieu où se situent les biens mobiliers devant être saisis pour réaliser ensemble la saisine des biens en question. S’agissant des véhicules enregistrés sur un registre, ceux-ci sont saisis à distance depuis la direction d’exécution grâce à un système informatisé. Pour ce qui est des biens immeubles, la saisine de ceux-ci se fait auprès du registre foncier. Il est également possible de saisir les comptes bancaires du débiteur.

Les biens meubles saisis sont vendus aux enchères dans un délai de un mois suite à leur saisine et les biens immeubles dans un délai de deux mois suite à leur saisine.

Si le débiteur ne possède aucun bien pouvant être saisi, la direction d’exécution établi alors un certificat d’insolvabilité.

Belgin ÖZDILMEN Avocat aux barreaux de Paris et Istanbul GÜRHAN LAW FIRM
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