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Le délai de prescription des crédits immobiliers court a compter du premier incident de paiement non régularisé. Par François Déat, Avocat.
Parution : mercredi 30 juillet 2014
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Avec l’arrêt rendu le 10 juillet dernier (Civ. 1re, 10 juill. 2014, n°13-15.511) à paraître au Bulletin, la Cour de cassation a clarifié les règles en matière de prescription des créances résultant d’un crédit immobilier. Faisant un emprunt au régime de la forclusion biennale des crédits à la consommation, elle fixe le point de départ du délai au premier incident de paiement non régularisé.

La solution emporte deux conséquences majeures : le prêteur perd la maîtrise du point de départ du délai de prescription qui ne résulte plus du mécanisme conventionnel de la déchéance du terme et les versements de l’emprunteur défaillant n’ont plus d’effet interruptif mais retardent seulement le point de départ de ce délai.

Un emprunteur faisant l’objet d’une saisie immobilière oppose à l’établissement prêteur une fin de non-recevoir tirée de la prescription. En appel, il soutient que le délai de prescription court à compter d’une lettre dans laquelle la banque a simplement constaté sa défaillance.

La saisie immobilière est annulée par les juges du fond, pour des raisons liées au titre fondant les poursuites, mais ils refusent de déclarer la créance prescrite, considérant que le point de départ de la prescription ne peut qu’être la déchéance du terme du prêt, notifiée à l’emprunteur deux mois plus tard.

Au visa des articles L. 137-2 du code de la consommation et de l’article 2224 du Code civil, la Cour de cassation censure l’arrêt, jugeant que la prescription de la créance court à compter du premier incident de paiement non régularisé.

I. LE POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION BIENNALE ÉCHAPPE AU PRÊTEUR

A n’en pas douter, la décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel de renforcement de la protection des consommateurs. Le 28 novembre 2012 [1] , la même chambre avait jugé que les crédits immobiliers relevaient du champ d’application de l’article L. 137-2 du code de la consommation, qui dispose que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».

L’incertitude régnait quant au délai applicable depuis l’intervention du législateur en 2008 [2], qui avait inséré cet article dans le code de la consommation. Le débat s’était même invité au parlement faisant l’objet d’une réponse ministérielle se prononçant en faveur d’une prescription biennale [3].

L’application des dispositions de l’article L. 137-2 étant admise, les praticiens s’interrogeaient légitimement sur le point de départ du délai .

En faisant appel aux principes du droit commun, on pouvait considérer que le délai de prescription courait à compter de l’exigibilité de la créance. En matière de prêt, un tel raisonnement avait pour conséquence de faire courir autant de délais que d’échéances échues.

C’était encore la position de la Cour de cassation en 2012 [4] qui avait censuré une cour d’appel refusant d’opérer la distinction selon la date d’exigibilité de chaque fraction de la créance : « Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Suivant ce raisonnement, on peut admettre que le capital non remboursé et non échu qui ne devient exigible qu’en cas de déchéance du terme, se prescrit à compter de cette exigibilité. Or, la plupart des conventions de prêt réservent au prêteur la possibilité de révoquer le terme de l’obligation de l’emprunteur.

Les plaideurs se plaçant tantôt sur le terrain potestatif ou léonin, tantôt sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, ne manquent pas de critiquer le pouvoir de résolution du préteur, avec une réussite variable [5].

La révocation du terme dans un contrat de prêt n’est pas une simple modification des modalités de l’exécution de la convention. De par la nature de l’obligation de l’emprunteur, rembourser le prêteur selon un terme convenu, et de par sa contrepartie, disposer des sommes jusqu’à ce terme, la sanction de la déchéance du terme peut s’analyser comme une résolution du contrat dont la conséquence est de remettre les parties au statu quo ante.

On peut donc d’interroger sur le pouvoir du prêteur de le révoquer unilatéralement sans passer par la constatation judiciaire prévu par l’article 1184 du code civil.

Indirectement, le législateur a pourtant reconnu ce pouvoir au prêteur puisque selon l’article L. 312-22 du code de la consommation : « en cas de défaillance de l’emprunteur et lorsque le prêteur n’exige pas le remboursement immédiat du capital restant dû, il peut majorer, dans des limites fixées par décret, le taux d’intérêt que l’emprunteur aura à payer jusqu’à ce qu’il ait repris le cours normal des échéances contractuelles ».

Il semblait donc admis que le préteur disposait non seulement de la possibilité de réclamer par anticipation le capital restant dû, mais aussi de fixer la date de cette exigibilité et, partant, le point de départ de la prescription du capital dû par anticipation.

Avec cette décision, les juges lui ont ôté cette seconde latitude. En pratique, la conséquence est importante puisque souvent, plusieurs échéances demeurent impayées avant que le prêteur n’adresse à l’emprunteur une lettre de mise en demeure de régler les sommes, sous peine de déchéance du terme à défaut de règlement.

On comprend néanmoins la volonté des juges de faire une application stricte de l’article 2224, qui impose au créancier un délai pour agir à partir du jour où il a connaissance de son action. Encore faut-t-il qu’il dispose d’une action. Or, dans la mesure où le capital n’est pas dû par anticipation, le prêteur reste lié par le terme. C’est la faiblesse théorique majeure de cet arrêt qui élude toute distinction quant aux dates successives d’exigibilité des sommes, préférant concentrer le point de départ de l’action du prêteur en un dies a quo unique, englobant jusqu’aux sommes non encore exigibles.

A l’instar de la cour qui a été censurée, l’établissement prêteur pouvait être enclin à considérer qu’il disposait d’un délai de deux ans à compter de cette mise en demeure restée vaine pour agir en recouvrement.

Il devra désormais veiller à déterminer la date du premier incident de paiement non régularisé pour la bonne computation du délai de prescription de son action.

Préteurs et emprunteurs apprendront également de cette décision que les paiements pourraient avoir perdu leur effet interruptif, comme laisse le penser la formule retenue.

II. L’EFFET DES VERSEMENTS DE L’EMPRUNTEUR DURANT LE COURS DU DÉLAI

Aux termes de l’article 2240 : « La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ».

Le paiement effectué par le débiteur, en cela qu’il est une reconnaissance manifeste des droits de son créancier, est interruptif de prescription par application des dispositions citées. L’effet interruptif est entier même lorsque le paiement ne porte que sur les intérêts [6].

En faisant référence au « premier incident de paiement non régularisé », la Cour fait directement allusion aux dispositions de l’article L. 311-52 du code de la consommation, relatif au délai de forclusion biennale des crédits à la consommation.

Dès lors, il est permis de s’interroger sur les effets attachés aux versements de l’emprunteur défaillant.

En effet, en matière de forclusion biennale, chaque paiement s’impute en priorité sur les échéances les plus anciennes, par application de l’article 1256 du code civil. Ainsi, les versements qu’accomplit le débiteur défaillant n’ont pas pour effet d’interrompre le délai mais, en régularisant une partie de l’arriéré, de retarder son point de départ à la première échéance impayée après imputation des paiements.

La Haute Juridiction, dont on peut penser qu’elle est animée par un souci de protection de l’emprunteur et d’unification des règles en matière de crédit, marque sa préférence pour un glissement du point de départ du délai par l’effet de l’imputation des paiements postérieurs à la défaillance plutôt que pour un effet interruptif classique qui fait courir un nouveau délai à chaque paiement.

Sur un plan théorique, la solution est critiquable car elle introduit une confusion supplémentaire entre les notions de prescription et forclusion, dont la frontière est de plus en plus ténue.

En employant un vocable propre à la forclusion des crédits à la consommation pour le superposer à celui de la prescription des crédits immobiliers, elle semble oublier que leurs causes de suspension et d’interruption diffèrent.

En pratique, les conséquences de l’arrêt vont nécessairement se faire ressentir sur certains prêts dont le recouvrement contentieux est en cours.

Les établissements prêteurs qui jusqu’en 2008 étaient habitués à une prescription décennale en matière de financement immobilier ont dû composer depuis avec un délai biennal. Ceux qui ne l’avaient pas anticipé découvrent aujourd’hui que ce délai court non pas à compter de la délivrance de la lettre de déchéance du terme, mais à compter de la défaillance non régularisée du prêteur, nécessairement antérieure à la première.

L’organisation légale du répit à l’emprunteur défaillant prévue par l’article L. 312-22 du code de la consommation, qui permet en contrepartie au prêteur de majorer le taux d’intérêt, pèse peu face au risque d’extinction de la créance. Ces dispositions risquent donc de tomber en déshérence au profit d’un recouvrement rapide, seul à prémunir contre la prescription.

L’arrêt connaîtra sans doute une notoriété certaine. Ce n’est d’ailleurs pas son seul apport puisque la Haute Cour n’a pas contredit les juges du fond qui ont dénié tout effet interruptif de prescription aux commandements de payer valant saisie immobilière au motif qu’ils avaient été annulés par même décision.

La sanction est sévère pour les créanciers poursuivants car en cas d’annulation du commandement postérieurement à l’expiration du délai de prescription, ils ne bénéficieront pas d’une seconde chance, sauf à avoir accompli d’autres actes interruptifs par ailleurs.

François Déat Avocat au Barreau de Bordeaux

[1Civ. 1re . 28 nov 2012, JCP N 2012, n° 50, act. 1078.

[2L. n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

[3Rép. min., JO AN, 21 avril 2009, p.3875.

[4Civ. 1re . 28 juin 2012, n°11-17.744

[5Amiens, 3 nov. 2011, JurisData n°2011-03008 : où les juges ont reconnu le caractère abusif de la clause « qui permet à la banque de se prévaloir de l’exigibilité immédiate de la totalité de sa créance en cas de non-paiement des sommes exigibles, concernant quelque dette que ce soit de l’emprunteur vis à vis du prêteur » ;
Douai, 8 sept. 201,1 JurisData n°2011-018383 : où il a été jugé que la clause de déchéance du terme ne caractérise pas une condition purement potestative au sens de l’article 1170 du code civil.

[6Req. 15 juill. 1875 : DP 1877. 1. 323.

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