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Action en réduction de prix pour erreur de surface Carrez : la bonne ou mauvaise foi est sans conséquence. Par Harry Orhon, Avocat.
Parution : mercredi 6 août 2014
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Dans le cadre des ventes de biens immobiliers concernant des lots en copropriété, le contentieux de la surface Carrez des lots de copropriété vendus est fréquent.

Ce contentieux est principalement régi par l’article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, tel que créé par la loi n° 96-1107 du 18 décembre 1996 et modifié par l’article 54 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, qui dispose que :

« Toute promesse unilatérale de vente ou d’achat, tout contrat réalisant ou constatant la vente d’un lot ou d’une fraction de lot mentionne la superficie de la partie privative de ce lot ou de cette fraction de lot ainsi que sa surface habitable. La nullité de l’acte peut être invoquée sur le fondement de l’absence de toute mention de la superficie de la partie privative.

La superficie de la partie privative et la surface habitable sont définies par décret en Conseil d’Etat.

Pour la superficie de la partie privative, les dispositions du premier alinéa ci-dessus ne sont pas applicables aux caves, garages, emplacements de stationnement ni aux lots ou fractions de lots d’une superficie inférieure à un seuil fixé par le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article 47.

Le bénéficiaire en cas de promesse de vente, le promettant en cas de promesse d’achat ou l’acquéreur peut intenter l’action en nullité, au plus tard à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente.

La signature de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente mentionnant la superficie de la partie privative du lot ou de la fraction de lot entraîne la déchéance du droit à engager ou à poursuivre une action en nullité de la promesse ou du contrat qui l’a précédé, fondée sur l’absence de mention de cette superficie.

Si la superficie de la partie privative est supérieure à celle exprimée dans l’acte, l’excédent de mesure ne donne lieu à aucun supplément de prix.

Si la superficie de la partie privative est inférieure de plus d’un vingtième à celle exprimée dans l’acte, le vendeur, à la demande de l’acquéreur, supporte une diminution du prix proportionnelle à la moindre mesure.

L’action en diminution du prix doit être intentée par l’acquéreur dans un délai d’un an à compter de l’acte authentique constatant la réalisation de la vente, à peine de déchéance ».

Certaines dispositions du Code civil rappellent également les obligations qui sont à la charge du vendeur d’un bien immobilier et particulièrement son obligation de délivrance.

Il est à noter que les dispositions du Code civil s’appliquent à toute vente immobilière à la différence des dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 qui ne s’appliquent exclusivement qu’aux ventes immobilières portant sur des lots de copropriété.

Ainsi, l’article 1616 du Code civil dispose en effet que « le vendeur est tenu de délivrer la contenance telle qu’elle est portée au contrat ».

De même, l’article 1617 du Code civil oblige le vendeur, si la vente d’un immeuble a été faite avec indication de la contenance, à raison de tant la mesure, de délivrer à l’acquéreur, s’il l’exige, la quantité indiquée au contrat.

A défaut, le vendeur est obligé de souffrir une diminution proportionnelle du prix.

Enfin, l’article 1622 du Code civil rappelle que l’action en supplément de prix de la part du vendeur, et celle en diminution de prix ou en résiliation du contrat de la part de l’acquéreur, doivent être également intentées dans l’année, à compter du jour du contrat, à peine de déchéance.

L’action en réduction de prix pour erreur sur la surface Carrez n’est pas à confondre avec l’action fondée sur l’absence de mention de la superficie.

Au-delà du fait que ces deux actions ne visent pas le même cas d’espèce, ces deux actions divergent également quant à leur régime et la sanction prévue.

En effet, l’action fondée sur l’absence de mention de la superficie doit être intentée dans le délai d’un mois à compter de l’acte authentique de vente et non dans le délai d’un an comme dans le cadre d’une action en réduction de prix.

Qui plus est, la sanction de l’absence de mention de la superficie est la nullité du contrat et non un droit à réduction du prix.

Par ailleurs, contrairement aux dispositions de l’article 1622 du Code civil, l’action en réduction de prix pour erreur sur la surface Carrez n’est ouverte qu’à l’acquéreur puisque les dispositions spécifiques de l’article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 excluent toute action en supplément de prix au bénéfice du vendeur.

Quant à l’action en réduction de prix, il convient de souligner que l’acquéreur doit impérativement, et au plus tard, introduire son action en Justice dans le délai d’un an à compter de l’acte authentique de vente.

Aucune disposition légale ou réglementaire ne permet de déroger à ce délai et il n’existe pas de cas d’interruption ou de suspension de ce délai.

Aussi, cette action est ouverte à l’acquéreur si, et seulement si, la superficie privative est inférieure à plus d’un vingtième à celle exprimée dans l’acte de vente.

Si tel est bien le cas, l’acquéreur dispose donc d’une action en réduction de prix lui permettant d’obtenir la condamnation du vendeur à lui restituer le montant proportionnel du prix de vente à la moindre mesure.

Sur l’étendue de cette condamnation, les Juridictions n’ont pas manqué de préciser que cette condition, tenant à ce que la superficie privative soit inférieure à plus d’un vingtième, ne signifiait nullement que l’acquéreur avait uniquement droit à la restitution du prix correspondant aux mètres carrés faisant défaut au-delà du vingtième mais, au contraire, que l’acquéreur était dès lors en droit d’obtenir la restitution de la totalité du prix correspondant à tout mètre carré manquant [1]

Plus intéressant, les Juridictions ont également été contraintes de se prononcer sur l’éventuelle conséquence, quant au succès des actions intentées par des acquéreurs, de la bonne ou mauvaise foi de ces derniers ou de celle des vendeurs.

Il est possible de distinguer notamment deux cas dans lesquels la bonne ou mauvaise foi des vendeurs et acquéreurs ait pu conditionner la solution du litige.

Dans un premier temps, il était possible de douter du succès d’une action en réduction de prix intentée par un acquéreur qui, avant même ou concomitamment à la réitération du consentement à l’acte authentique de vente, soupçonnait une inexactitude de la superficie mentionnée dans ledit acte.

Dans cette hypothèse, il est possible de considérer que l’acquéreur a acquis le bien en toute « bonne foi ».

En effet, il n’avait pas connaissance de la superficie réelle du bien mais avait tout de même un doute sur l’exactitude de la surface mentionnée dans l’acte de vente.

Les Juridictions, dans ces cas d’espèce, ont toujours accueilli favorablement les actions des acquéreurs et condamné les vendeurs à restituer le prix de vente à moindre mesure. [2]

Dans un second temps, il pouvait être d’autant plus illusoire de croire au bien fondé d’actions intentées par des acquéreurs qui avaient cette fois-ci :

- connaissance du fait que la surface mentionnée dans l’acte de vente était supérieure à la surface réelle (sans avoir connaissance de la surface exacte pour autant),

- ou, mieux encore, connaissance du fait que la surface indiquée était supérieure à la surface réelle et connaissaient en outre la surface exacte avant même la réitération des consentements à l’acte authentique de vente.

Par conséquent, ces actions concernaient des acquéreurs qui pouvaient être considérés de « mauvaise foi » puisque, dans un cas comme dans l’autre, ils avaient parfaitement conscience de la réalité, à savoir que la surface réelle du bien qu’ils étaient en train d’acquérir était inférieure à celle mentionnée dans l’acte authentique.

De plus, dans la seconde hypothèse, les acquéreurs savaient quelle était la surface exacte et donc l’étendue de la différence entre celle-ci et celle indiquée dans l’acte de vente.

Comme précédemment, les Juridictions civiles ont toujours jugé bien fondées les actions de ces acquéreurs.

En effet, dans ces litiges, les Juridictions ont condamné les vendeurs à restituer le prix proportionnel à la moindre mesure, et ce, quand bien même les vendeurs prouvaient que l’acquéreur avait connaissance de l’erreur sur la superficie mentionnée.

De la même manière, concernant les litiges dans lesquels les acquéreurs avaient connaissance, avant la vente, de la superficie exacte du bien vendu, les Juridictions ont pu affirmer que cette connaissance ne les privait pas de leur droit à diminution de prix [3].

Pour motiver ces décisions, les Juridictions ont en réalité affirmé que la régularisation d’un acte de vente immobilière n’emporte pas renonciation à l’action en réduction du prix, et ce, même lorsque l’acquéreur a acquis en toute connaissance de cause.

Pour autant, et quand bien même ces décisions puissent laisser dubitatif, il convient de souligner qu’elles sont conformes à la nature même de l’action en réduction de prix.

Comme la Cour d’appel de Paris a pu le rappeler à différentes reprises, les dispositions de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965 sont d’ordre public.

De cette manière, elles doivent impérativement s’appliquer nonobstant toute éventuelle « mauvaise foi » des acquéreurs quant à la connaissance, même avant la vente, de la superficie réelle du bien vendu.

Une telle connaissance ne peut donc pas priver les acquéreurs de leur droit à la diminution du prix, laquelle n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice, la jurisprudence considérant, à juste titre, que l’action en réduction de prix (et donc la garantie qu’elle permet) est une action objective et ainsi indépendante de toute éventuelle faute ou tromperie commise par l’une ou l’autre des parties.

Harry ORHON, Avocat au Barreau du VAL DE MARNE Cabinet MAKOSSO ORHON FERNANDES-BENCHETRIT

[1Cour d’Appel de PARIS, 2ème Chambre section A, 3 juillet 2001, FANTINO / BEURET.

[2Cour d’Appel de PARIS, 2ème Chambre section A, 3 juillet 2001, FANTINO / BEURET, Cour de Cassation, 3ème Civ., 24 janvier 2012.

[3Cour d’Appel de Paris, 1er juillet 2010, Cour d’Appel de PARIS, 6 janvier 2011

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