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Mandat apparent : une nécessaire croyance légitime. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : mercredi 3 septembre 2014
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Pour qu’une société soit engagée, il ne suffit pas que l’acte entre dans l’objet social, il faut aussi qu’il ait été conclu au nom de la société par son représentant légal. Néanmoins, l’application de la théorie du mandat apparent permet de tenir la société pour engagée même si l’acte a été passé par un tiers.

La question du mandat apparent se pose souvent dans le cadre de commandes ou de transactions commerciales passées par un employé ou un dirigeant d’une société, alors qu’il n’était pas habilité à engager la société.

En application de la théorie du mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, la société peut être engagée par une personne même non habilitée régulièrement si les tiers avec qui cette personne a traité ont légitimement cru que celle-ci disposait des pouvoirs nécessaires.

Il faut, toutefois, que les circonstances autorisent les tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs. Ces circonstances peuvent notamment résulter des usages commerciaux, des documents présentés, des relations d’affaires entre les parties, des possibilités de contrôle, du rang des intéressés dans l’entreprise.

La légitimité de la croyance au pouvoir du prétendu mandataire est contrôlée par la Cour de cassation.

La notion de croyance légitime à l’étendue du pouvoir du signataire a, ainsi, été créée par l’Assemblée Plénière dans son arrêt fondateur du 13 décembre 1962 [1].

En l’espèce, un dirigeant d’une banque avait, sous sa seule signature, souscrit, au nom de cette banque envers l’administration des domaines un cautionnement solidaire d’une société de récupération d’épaves. Ladite administration ayant demandé l’exécution de cette obligation, la banque avait soutenu que celle-ci ne lui était pas opposable, en déclarant que ses statuts exigeaient en ce cas la signature de deux mandataires sociaux habilités.

Pour condamner la banque, l’arrêt de Cour d’appel avait énoncé que l’administration avait pu légitimement penser qu’elle traitait avec un mandataire agissant dans les limites de ses pouvoirs normaux et avait retenu que la banque était, en conséquence, tenue à raison d’un mandat apparent.

Le demandeur au pourvoi avait fait valoir que le mandat apparent supposait une faute qui n’existait pas en l’espèce imputable au prétendu mandant et se trouvant à la base de l’erreur du tiers.

Dans son arrêt du 13 décembre 1962, la Cour a rejeté le pourvoi en jugeant que « le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs. »

Les juges du fond se sont alors attachés à déterminer dans quelles circonstances la croyance du tiers contractant dans l’étendue suffisante des pouvoirs du signataire l’autorisaient à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs.

A titre d’exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 novembre 2012, a jugé qu’un directeur technique signant un contrat au nom de la société qui l’emploie n’est pas nécessairement pourvu d’un « mandat apparent » par le seul fait que sa fonction consiste à réaliser de « la prospection » « à établir des contacts commerciaux avec tout client potentiel, à développer des ventes, à établir des devis, des dossiers, des plans, et à procéder à l’exécution détaillée des chantiers ».

Dans cet arrêt du 6 novembre 2012, la Cour de cassation a, en effet, relevé que ces seules circonstances étaient insuffisantes pour dispenser le tiers contractant de vérifier l’étendue des pouvoirs de ce directeur technique [2].

Dans un arrêt du 23 mars 1993, la Cour de cassation a précisé qu’en application notamment de l’article 1165 du Code civil, « il incombe au tiers qui se prévaut de l’apparence d’un mandat d’établir les circonstances extérieures aux seules allégations du prétendu mandataire, propres à justifier la croyance qu’il invoque. » [3].

En l’espèce, le Centre national des expositions et concours agricoles CENECA (le CENECA) a confié à une agence de communication, la Société TMLC, l’organisation d’une campagne de publicité ; cette agence de communication déclarant agir en qualité de "mandataire ducroire" du CENECA, a loué à la société Régie publicitaire des transports parisiens, la Société Métrobus, divers espaces publicitaires que cette dernière lui a facturés. La Société TMLC ayant été mise en redressement judiciaire sans avoir réglé la facture, la société Métrobus en a demandé le paiement au CENECA. Le CENECA a fait valoir qu’il était le commettant et non le mandant de la société TMLC et que le paiement effectué par l’annonceur entre les mains de l’agent de publicité était libératoire.

La Cour d’appel avait retenu pour accueillir la demande de la société Métrobus que cette société avait légitimement pu croire que la société TMLC agissait en qualité de mandataire du CENECA, dès lors qu’au moment de la signature du contrat elle avait expressément désigné son commettant ainsi que l’intitulé de la campagne et s’était engagée avec le CENECA à payer les frais d’annonces publicitaires.

Dans son arrêt du 23 mars 1993, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel en jugeant que « sans relever de circonstances propres à justifier la légitimité de la croyance de la société Métrobus aux pouvoirs dont se prévalait la société TMLC, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

En conclusion, il est important de ne pas croire qu’en application de la théorie bien connue du mandat apparent une société sera d’office engagée par la signature d’un de ses employés.
En dehors d’un cadre de relations d’affaires habituelles, la prudence commande à ceux qui concluent un contrat avec une société de vérifier que celui qui traite avec eux est bien investi des pouvoirs nécessaires.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com

[1Cass., As. pl., 13 déc. 1962, n° 57-11569

[2Cass. ch. com. 6 novembre 2012, 11-23424

[3Cass. Com., 23 mars 1993, n° 91-12762

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