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Professions réglementées - lettre ouverte à Madame la garde des Sceaux. Par Olivier Delvincourt, Avocat.
Parution : mercredi 1er octobre 2014
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Le mercredi 10 septembre dernier, vous vous exprimiez ainsi sur France Inter :

« …Moi en tant que garde des Sceaux, j’ai surtout le souci de l’accès au droit pour les justiciables, j’ai le souci de m’assurer que partout sur le territoire il y a à la portée des citoyens un notaire, un huissier, un avocat et bien entendu, de vérifier la sécurité juridique des actes qui sont élaborés ». « …C’est cela mon approche, ce n’est pas celle du revenu ». « …Moi je ne suis pas une militante de la libéralisation, je ne suis pas une convaincue des vertus de la concurrence. Je le dis profondément et franchement, le droit n’est pas une marchandise ».

L’Histoire récente vous donne raison.

Le rapport de Monsieur Jacques ATTALI, remis au Président de la République d’alors, Monsieur SARKOZY, le 23 janvier 2008, pour « la libération de la croissance française » préconisait de réformer les professions réglementées au motif que les conditions imposées à leur accès « ont créé progressivement de véritables rentes ».

Pour Monsieur ATTALI, « ces réglementations obsolètes créent un climat défavorable à la croissance  ».

Il préconisait ainsi pêle-mêle la suppression des professions d’avoué et de greffier de commerce, la suppression des numerus clausus pour les mandataires judiciaires et les avocats aux Conseils, l’ouverture des professions de notaire et d’huissier.

Ce même Monsieur ATTALI qui, s’exprimant dans l’Opinion le dimanche 24 août 2014, considère aujourd’hui que la réforme des professions réglementées est « un sujet sans importance », que « quand on parle de professions réglementées on parle peut-être au total de 500 millions d’euros, c’est dérisoire » et qu’il « ne faut pas être comme l’ivrogne qui cherche sa clé sous le réverbère parce que c’est là qu’est la lumière  ».

C’est pourtant sur la base de son rapport de 2008, et donc dans un but affiché de libération de la croissance, qu’a été entreprise et achevée, toujours sous la Présidence de Monsieur SARKOZY, la suppression de la profession d’avoué au motif de son inutilité prétendue et du « surcoût artificiel » qu’elle engendrait pour l’accès à la justice.

A l’époque, la Gauche s’était vigoureusement opposée à cette réforme tant devant l’Assemblée Nationale que devant le Sénat puis devant le Conseil Constitutionnel, tandis que la Droite votait la loi de suppression d’un seul homme malgré les réserves exprimées dans les salons.

La suppression de la profession d’avoué a-t-elle libéré la croissance ?

Le 4 juin 2014 M. Patrice GÉLARD au nom de la commission des lois du Sénat déposait un rapport intitulé :

« Suppression de la profession d’avoué : premier bilan d’application de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel »

Les conclusions de ce rapport sont éloquentes.

Si, bien sûr, la légitimité de la loi n’est pas remise en cause puisque les mêmes parlementaires l‘ont votée, le rapporteur expose que « …la contrepartie d’une telle réforme était l’organisation par la loi d’un véritable plan social touchant 430 avoués et leurs 1 800 salariés…. ».

Il écrit que « …Si le Parlement et le Gouvernement ont veillé à compenser, aussi équitablement que possible, les sacrifices demandés aux uns et aux autres, les mesures proposées n’y sont parvenues qu’à moitié.

L’indemnisation a été correctement conduite, à la satisfaction de tous. Toutefois, des contentieux sont encore en cours, pour contester les principes de calcul retenus et pourraient aboutir à une remise en cause de l’enveloppe initiale.

En dépit du renforcement des dispositifs prévus, l’accompagnement social de la réforme n’a été que partiel, puisqu’il a concerné moins de la moitié des salariés licenciés et très peu d’avoués.

Les incertitudes qui planent sur la réforme sont encore nombreuses : incertitude financière, la recette envisagée pour la financer étant manifestement sous-calibrée ; incertitude sociale sur le sort des salariés d’avoués ; incertitude, enfin, sur le bénéfice que le justiciable en retirera à long terme. Face à de telles incertitudes, la vigilance du législateur est plus que jamais nécessaire…  ».

Ainsi donc, ni les avoués, ni leurs salariés, ni le justiciable n’ont bénéficié de cette loi.

Tout au contraire, on peut d’ores et déjà certifier que le coût de la réforme et les multiples licenciements qu’elle a générés ont grevé un peu plus le budget de l’Etat sans libérer la moindre croissance.

Il s’agit bien ici de la confirmation de ce que vous énoncez en soulignant que vous n’êtes pas « une militante de la libéralisation » et que vous n’êtes pas « une convaincue des vertus de la concurrence ».

Or – et c’est là que de vrais questions doivent se poser – un rapport de l’Inspection Générale des Finances publié le 25 septembre 2014 mais réalisé sur lettre de mission du 1er octobre 2012 du ministre de l’économie et des finances, c’est-à-dire sous la présidence cette fois de Monsieur HOLLANDE, vient à nouveau remettre en cause ces réglementations en préconisant la suppression des tâches et activités réservées à certains professionnels, une gestion plus exigeante des tarifs réglementés, un principe de libre installation, le principe de la liberté d’investissement dans le capital de ces professions et la suppression du numerus clausus restreignant l’accès à plusieurs formations liées à la santé.

En d’autres termes, alors que la Présidence de la République et la majorité parlementaire ont changé de bord entre l’époque du rapport ATTALI et celle du rapport de l’IGF, les mêmes propositions sont formulées et sont aujourd’hui soutenues par la Gauche – qui s’y opposait lorsqu’elle était dans l’opposition – et vilipendées par la Droite – qui les soutenait lorsqu’elle était au pouvoir.

C’est dire la permanence de la technocratie au sein des pouvoirs qui se succèdent et de ce que l’on peut parfaitement définir comme la « pensée unique » qui gouverne la France – quel que soit le pouvoir en place – issue du mouvement ultra libéral qui gouverne également l’Europe.

Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les réglementations contestées ont été pour la plupart été mises en place par le Conseil National de la Résistance par le biais des ordonnances dites de 1945, les résistants ayant souhaité que s’instaure une République où chaque être humain ait le droit à l’existence et à la dignité, et où prime l’intérêt général.

Ces réglementations ont donc eu pour vocation de protéger les citoyens et non, comme on voudrait le faire croire aujourd’hui, le professionnel lui-même.

Pour prendre un seul exemple relatif à la profession d’avocat, comment peut-on prétendre libérer la croissance en suggérant la suppression de la postulation, mesure évidemment funeste tant pour la viabilité des petites structures d’avocats de province que pour la proximité du justiciable avec le professionnel du droit ?

Puissiez-vous avoir – avec l’autorité qui vous caractérise – la force de vous opposer à ces réformes mues par une idéologie politique dont la démonstration a été faite qu’elle est parfaitement inefficace, sauf sans doute au profit de ceux qui la prônent.

Olivier DELVINCOURT - Avocat au Barreau de REIMS Ancien Vice-Président de la Chambre Nationale des Avoués Membre du Réseau Récamier
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