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Etude de jurisprudence : que risque t-on si on dénigre son employeur sur Facebook ? Par Xavière Caporal, Avocate et Nicolas Chaubet, Stagiaire.
Parution : jeudi 16 octobre 2014
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26 millions de Français utilisent aujourd’hui Facebook régulièrement. La grande majorité d’entre eux disposent d’un poste informatique sur leur lieu de travail et, parmi ceux-ci, une (petite ?) minorité entretiennent de mauvais rapports avec leur employeur.

Certains salariés ulcérés se laissent parfois aller et se "défoulent" virtuellement sur Facebook.

Ceux qui franchissent le pas sont bien souvent inconscients du fait qu’une fois postés sur Facebook, leurs propos acrimonieux basculent dans la sphère public et sont susceptibles de leur attirer de sérieux ennuis.

Que risque t-on quand on dénigre son employeur sur Facebook ?

Panorama de la jurisprudence en la matière.

Facebook, qui a fêté ses dix ans en 2014, compte aujourd’hui plus d’un milliard d’utilisateurs dont 26 millions de français. Il est donc normal que ce réseau social sur lequel tant d’inscrits conversent se retrouve au centre de conflits employeurs / salariés devant les juridictions sociales.

En effet les gens, notamment par l’acquisition de smartphones, passent de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux, et les utilisent pour "chater" ou comme messagerie personnelle.

Les entreprises aussi passent par Facebook pour promouvoir leurs produits et services soit par la création d’une page Facebook ou par l’achat d’espace de publicité.
Par ailleurs, du fait de l’instantanéité de la diffusion de messages sur ce réseau, les utilisateurs, pour beaucoup se croyant immergés dans une sphère ludique et privée, commettent des dérapages en écrivant des propos à l’emporte-pièce.

De tels dérapages peuvent s’avérer particulièrement préjudiciables à leurs auteurs. En effet, un salarié qui tiendrait des propos injurieux ou diffamatoires envers son employeur sur Facebook serait susceptible de se voir licencier pour faute grave et d’être condamné à payer de lourdes amendes.

Tout dépend de la qualification que le juge donnera à ces injures ou diffamations.

En effet, l’arrêt Nikon a posé en 2001 le principe du droit au respect de la vie privée du salarié sur son lieu de travail. Il découle de ce principe que l’employeur ne peut pas utiliser n’importe quelle preuve pour démontrer la faute d’un salarié et, notamment, ne peut utiliser des faits relevant de la vie privée du salarié.

En matière d’abus de la liberté d’expression du salarié, ce principe suppose que les propos, diffamants ou injurieux, aient un caractère public pour justifier la faute et le licenciement d’un salarié. Cependant la preuve de ces propos doit aussi respecter le principe de loyauté de la preuve.

Quant à l’aspect financier, la diffamation ou l’injure non-publiques, sont en effet punies comme une contravention de 1ère classe, soit une amende de 38 euros. Alors que si elles sont publiques, ces injures ou diffamations constituent des délits passibles de 12.000 euros d’amende, voire 45.000 euros avec emprisonnement si elles sont aggravées (dans le cas d’injures raciales par exemple).

Alors QUID de Facebook espace public ou espace privé ?

1) Présomption d’espace public

La première décision de justice concerne les propos tenus le 31 octobre 2008 par un journaliste sur le mur d’une collègue qualifiant leur « chef » « d’autiste », propos pour lesquels l’employeur lui notifiait un avertissement.

La Cour d’appel de Reims [1] confirmait la décision du Conseil de Prud’hommes et annulait l’avertissement car la personne visée qualifié de « chef » n’était pas suffisamment identifiable. En revanche le Cour rejetait la thèse du salarié de la violation de correspondance privée et relevait que « nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire (...) qu’en mettant un message sur le mur d’une autre personne dénommée « ami » il s’expose à ce que cette personne ait des centaines d’amis ou n’ait pas bloqué les accès à son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations ». La Cour précise aussi la possibilité pour le salarié d’utiliser la messagerie de Facebook qui, elle, comporte un caractère privé.

La présomption d’espace public sera confirmée par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne [2] concernant une conversation de 3 salariés dénigrant l’employeur toujours sur le mur de l’un deux. Le Conseil entérinera le licenciement pour faute grave et rejettera la violation de correspondances privée notamment car le salarié a paramétré un accès ouvert à sa page Facebook partagée avec « ses amis et leurs amis » et qu’en conséquence « ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu’ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère fondé du licenciement ».

La Cour d’appel de Versailles [3] saisie d’un appel contre cette décision, infirmera la décision sur le fondement du non cumul des sanctions la salarié ayant déjà été sanctionnée par une mise à pied disciplinaire. Cette décision sera confirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt en date du 14 novembre 2013. Elle ne se prononcera malheureusement pas sur la qualification juridique d’espace public ou privé de Facebook.

Toujours dans cette même lignée doit être citée la décision de la Cour d’appel de Besançon [4] qui valide le licenciement pour faute grave d’une salariée ayant écrit toujours sur le mur Facebook d’un collègue licencié « oui c’est clair cette boîte me dégoûte (...) ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ».

La Cour d’appel considère que Facebook « doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public ; qu’il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site soit de s’assurer préalablement que son interlocuteur a limité l’accès à son mur ».

Enfin la 17ème Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris, spécialisée dans les délits de presse, par une décision du 17 janvier 2012 condamne pour injure publique les propos tenus sur le mur Facebook par une déléguée syndicale « journée de merde, temps de merde, chefs de merde » et considère que « les expressions incriminées excèdent les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical ».

2) Présomption d’Espace privé

Deux décisions vont dans le sens contraire et annulent les licenciements de salariés ayant tenus des propos injurieux et calomnieux contre leurs employeurs sur Facebook.

La Cour d’appel de Rouen par deux décisions [5] infirme les décisions du Conseil de Prud’hommes du Havre et considère que les propos (pourtant très grossiers et injurieux) tenus par les salariées avaient le caractère de correspondances privées car « il ne peut être affirmé de manière absolue que la jurisprudence actuelle nie à Facebook le caractère d’espace privé, alors que ce réseau peut constituer soit un espace privé, soit un espace public en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur » et qu’aucun élément ne permet de dire si le compte était paramétré de façon à permettre le partage de « nature à faire perdre aux échanges litigieux le caractère de correspondances privées ».

Cette position n’est pas contredite, sans être confirmée, par la Cour d’appel de Douai [6] qui infirme la décision du Conseil de Prud’hommes de Tourcoing et qui condamne l’employeur pour la rupture de la promesse d’embauche en CDD d’un animateur radio qui avait, sur le mur de sa page Facebook à destination de ses fans, qualifié sa direction de « belles baltringues anti-professionnelles ». La Cour considère « que les propos diffamatoires ou injurieux tenus par un salarié à l’encontre de l’employeur ne constituent pas un élément irrésistible ou insurmontable faisant obstacle à la rupture du contrat cette rupture ne procède pas non plus d’un cas de force majeure » mais ne base pas sa décision sur l’atteinte à la vie privée du salarié.

Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 avril 2013 est venu préciser sous quelles conditions un mur Facebook, à priori espace public, peut être considéré comme un espace privé. Pour ce faire, le mur ne doit être accessible qu’à des personnes agrées par le titulaire du compte, dont le nombre doit être très « restreint » (dans le cas d’espèce le salarié avait « seulement » cinquante amis). Si elle ne donne pas de limité chiffrée, la Cour de cassation emploie cependant la notion de « communauté d’intérêts ». Un lieu d’expression devient privé lorsque les personnes s’y trouvant sont liées « par une appartenance commune, des aspirations et des objectifs partagés ».

Conclusion

Il est vrai que Facebook est un espace mixte mélange de public et privé et qu’il faut bien différencier les conversations qui ont lieu sur la messagerie de Facebook qui ont une valeur purement privées de celles qui ont lieu sur le mur. En effet, des propos tenus sur un mur, dont les paramètres de confidentialités sont ouverts, sont finalement accessibles à toute la communauté Facebook et deviennent publics. Toutefois concernant ce dernier espace, s’il existait bien une contradiction d’interprétation de sa qualification entre les différentes Cour d ‘appel, les arrêts récents de la Cour de cassation confirment qu’un mur Facebook est un espace public, à moins que seul un nombre très restreint d’amis y ait accès.

Maître Xavière CAPORAL - AVOLEX AVOCATS [->xcaporal@avolex-avocats.com] 26, rue du Boccage - 44000 NANTES

[1CA Reims, Ch sociale, 9 juin 2010, n°09/03205

[2CPH Boulogne, 19 octobre 2010, n°10-853

[3CA Versailles, 22 février 2012

[415 novembre 2011, n°10/02642

[5CA Rouen 15 novembre, n° 2011 11/01830 et 11/01827

[6CA Douai 16 décembre 2011, n° 10/02317

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