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Les enjeux juridiques de la télémédecine. Par Vincent Ricouleau, Avocat.
Parution : mardi 21 octobre 2014
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La télémédecine se développe à grands pas avec l’utilisation des nouvelles technologies. Les enjeux juridiques sont importants, la manière d’exercer la médecine évoluant, avec des acteurs voyants leur périmètre d’exercice se modifier.

L’article 78 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 “Hôpital, Patients, Santé, Territoires”, codifié à l’article L.6316-1 du Code de la santé publique et son décret d’application n°2010-1239 du 19 octobre 2010 codifié aux articles R.6316-1 et suivants du Code de la santé publique, ont reconnu la télémédecine comme une pratique médicale à distance mobilisant les technologies de l’information et de la communication.

La télémédecine ne se substitue pas aux pratiques médicales actuelles. Mais elle complète le système existant, en diminuant potentiellement le nombre d’hospitalisations, générant des économies pour le budget de la santé.
Télémédecine et télésanté diffèrent. La télésanté est l’utilisation de technologies numériques au bénéfice de pratiques médicales mais aussi médico-légales au service du bien-être.

Seule la télémédecine a un cadre légal et réglementaire.

La télémédecine est une pratique médicale qui met en rapport grâce aux nouvelles technologies, soit le patient et un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels un professionnel médical, soit plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels au moins un professionnel médical.

La télémédecine est une réponse aux nombreux défis posés par notre société. L’augmentation du nombre de patients souffrant de maladies chroniques (insuffisance cardiaque, séquelles d’AVC, BPCO…) ou (et) de poly-pathologies liées au vieillissement, une démographie des professionnels de santé très mal gérée avec une très inégale répartition sur le territoire national, l’isolement de malades habitant en zones rurales, montagneuses, insulaires, l’exigence de soins adaptés aux résidents en EHPAD, l’indigence des soins donnés aux détenus notamment en psychiatrie, autant de raisons motivant le développement de la télémédecine.

La télémédecine permet d’établir un diagnostic, d’assurer pour un patient à risque un suivi dans le cadre de la prévention ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, d’effectuer une surveillance de l’état des patients.

Les cinq actes de la télémédecine prévus par la loi sont la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale, la régulation médicale.

La téléconsultation consiste à donner une consultation à distance à un patient éventuellement assisté d’un professionnel de santé, médecin ou infirmière. Le patient et/ou le professionnel donnent les informations. Le médecin à distance pose le diagnostic.

La télé-expertise consiste pour un médecin à solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs confrères sur la base d’informations médicales liées à la prise en charge d’un patient.

La télésurveillance consiste pour un médecin à surveiller et à interpréter à distance les paramètres médicaux d’un patient. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé.

La téléassistance médicale consiste pour un médecin à assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.
La régulation médicale consiste pour les médecins des centres 15 à établir par téléphone un premier diagnostic afin de déterminer et de déclencher la réponse la mieux adaptée à la nature de l’appel.

La télémédecine n’impose pas de dispositions spécifiques dans les Codes de déontologie médicale des états membres de l’Union Européenne ni dans la Charte Européenne d’Éthique Médicale puisque le droit commun, les principes éthiques et déontologiques en vigueur demeurent et s’appliquent à cette pratique de la médecine.

Le patient doit donner son consentement libre et éclairé.

Le patient doit au préalable être informé de la nécessité, de l’intérêt, des conséquences et de la portée de l’acte médical ou de l’intervention médicale ainsi que sur les moyens mis en œuvre pour leur réalisation. Les professionnels de santé devront être en mesure de démontrer qu’ils ont bien respecté ce point.
Dans certains cas, la formation et la préparation du patient à l’utilisation du dispositif de télémédecine sont nécessaires. Une éducation thérapeutique est parfois prévue.
Le champ des responsabilités individuelles de chaque intervenant et celui partagé par l’ensemble des professionnels participant à l’acte médical, doivent être définis avec précision.

Chaque professionnel de santé exerce dans son champ professionnel.
Il faut garantir la communication concernant le recueil des données personnelles de santé, du patient, leur hébergement, leur transmission, et leur traitement. Il faut garantir la sécurité, la disponibilité et la fiabilité des dispositifs technologiques, relevant de la responsabilité du tiers technologique. Le choix du matériel et de son agrément sont stratégiques. Chaque professionnel doit être couvert par une assurance de responsabilité professionnelle précisant le lieu de compétence juridictionnelle.

Les professionnels de la santé doivent adopter un « comportement médical adapté », et éviter par exemple d’annoncer un diagnostic grave par télémédecine.
Les rôles et responsabilités de chacun des acteurs doivent impérativement être prévus par des conventions, fiches de postes, protocoles, conduites à tenir.
Des arbres décisionnels doivent être prévus.
Une traçabilité de l’acte réalisé dans le cadre de la télémédecine est obligatoire.

Doivent être inscrits dans le dossier médical du patient tenu par chaque professionnel médical intervenant dans l’acte de télémédecine et dans la fiche d’observation mentionnée à l’article R 4127-45 du Code de la santé publique :
-  le compte rendu de la réalisation de l’acte ;
-  les actes et les prescriptions médicamenteuses effectués dans le cadre de l’acte de télémédecine ;
-  l’identité des professionnels de santé participant à l’acte ;
-  la date et l’heure de l’acte ;
-  les incidents techniques éventuels.

Les périmètres des métiers de la santé vont nécessairement se modifier. Des transferts de compétences et délégations de tâches vont progressivement intervenir, notamment au profit des infirmiers et infirmières. Une évolution du droit de la responsabilité à terme est prévisible.

Le personnel hospitalier va devoir se former pour travailler dans une unité de télémédecine à l’hôpital.
Les infirmières libérales devront faire de même.

Le Haut Conseil des Professions Paramédicales prévu par le décret n°2007-974 du 15 mai 2007 et par l’arrêté du 7 juillet 2008, ayant pour fonction de promouvoir une réflexion interprofessionnelle sur les conditions d’exercice des professions paramédicales, l’évolution des métiers, la coopération entre les professionnels, la répartition des compétences, la formation et les diplômes, étudiait déjà l’hypothèse d’une nouvelle profession de paramédicaux.

La nouvelle loi sur la santé en discussion prévoit des professionnels paramédicaux en pratique avancée. La loi précise que les paramédicaux en pratique avancée devront justifier d’une durée d’exercice minimale de leur profession et d’un diplôme de formation en pratique avancée délivrée par une université habilitée à cette fin. C’est une petite révolution dans le monde médical. Les paramédicaux en pratique avancée, dans une équipe de soins, auront une mission d’orientation, d’éducation, de prévention au dépistage, d’évaluation clinique, de diagnostic, d’actes techniques, de surveillances cliniques, de prescription de produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire, de prescription d’examens complémentaires, de renouvellement ou adaptation de prescriptions médicales.

Les professionnels médicaux en pratique avancée, non médecins, sont habilités à faire certains actes médicaux. L’objectif est d’une part, de soulager les médecins de tâches chronophages, d’autre part, de valoriser et d’exploiter les compétences des paramédicaux, pour une continuité de soins favorable aux malades.
Les acteurs de la médecine évoluent ainsi que la nature de leurs prestations.
On observe aussi une évolution dans la sélection des étudiants en médecine avec des intégrations directes en deuxième et troisième année de médecine, sur dossier et sur titre. Ainsi, la faculté de médecine d’Angers va renoncer au Paces. C’est aussi une révolution dans le monde médical.

Un nouveau mode de tarification concernant tous les intervenants dans la filière de soins compte tenu de leur nature évolutive, va aussi se mettre en place.
La télémédecine est un enjeu de santé publique mais aussi un enjeu commercial car très rentable, dans le monde entier, à commencer par les Etats-Unis.
Walmart, le géant de la distribution américain, prévoit l’ouverture de 5 000 points médicaux low cost dans ses super-marchés.

Ces spots accueillent les patients 7 jours sur 7 pour 40 dollars. Une aubaine pour nombre d’Américains. Ces spots prendront en charge les pathologies mineures comme les rhumes, les grippes, les légers traumatismes. Ils serviront également de centres de vaccination.
D’autres chaines comme CVS, Target, ou Walgreens ont déjà déployé 2 000 centres de ce genre sur le territoire américain.
Le Veterans Health Administration pratique quant à lui plus de 300 000 consultations de médecine par an.

Avec l’arrivée des objets connectés, une multitude de business-models basés sur l’exploitation des données de santé se met en place. La poussée des big players comme Apple et son Apple Watch sont révélateurs d’une évolution permanente.
La télémédecine représente aussi un espoir phénoménal pour l’accès aux soins de populations de pays du tiers monde ou en voie d’émergence. Des épidémies comme celle de la maladie d’Ebola peuvent se combattre plus facilement.

Des ajustements seront nécessaires, tant sur le plan éthique, juridique et technique, mais les enjeux – médicaux- commerciaux-humanitaires n’attendront pas.

La télémédecine n’en est qu’à ses balbutiements.
Le droit de la télémédecine aussi avec l’émergence de nouvelles responsabilités des acteurs de la santé.

Vincent Ricouleau Professeur de droit -Vietnam - Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d\\\'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)
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