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L’importance de la détermination du régime de responsabilité dans les contrats informatiques. Par Philippe Riboulin, Avocat.
Parution : jeudi 20 novembre 2014
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Le Tribunal de commerce de Paris a condamné, par un jugement en date du 28 octobre 2014, un prestataire de référencement qui n’avait pas atteint les résultats contractuellement prévus, à savoir l’amélioration du référencement.

En matière de contrat de prestations de services, il est particulièrement important de déterminer le régime de responsabilité supporté par le prestataire. En effet, la détermination de ce régime permettra au client d’engager sa responsabilité contractuelle pour un simple non-respect des résultats contractuellement prévus dans un cas (obligation de résultat) tandis qu’il faudra démontrer dans un autre cas que le prestataire n’a pas mis en œuvre tous les moyens nécessaires afin de parvenir au résultat promis, ce qui s’avère plus contraignant pour le client (obligation de moyens).

Cette distinction prend tout son sens dans les contrats informatiques, dont le contrat de référencement constitue une sous-catégorie. Le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 28 octobre 2014 en constitue une parfaite illustration, en ce qu’il a fait droit à la demande du client d’un contrat de référencement de condamner le prestataire à le rembourser des sommes engagées par lui pour les besoins dudit contrat pour ne pas avoir amélioré le référencement de son site internet comme il s’y était engagé.

Dans cette affaire, la société Mapaye, qui exploite une solution de gestion de paie par internet destinée aux employeurs sur son site web, a conclu un contrat de référencement avec la Société d’Exploitation des Etablissements Maquinay (ci-après "SEEM") qui a pour activité l’assistance au référencement sur internet ainsi que la création de sites internet.

Aux termes du contrat conclu, la SEEM devait notamment auditer le site internet, mettre en place un positionnement et assurer un suivi du site par l’établissement de statistiques.

Toutefois, très peu de temps après la conclusion du contrat, la société Mapaye a constaté une forte baisse de son positionnement et a ainsi sollicité le remboursement des 3.900 euros dont elle s’était acquittée au titre du contrat. Elle invoquait pour ce faire l’obligation de résultat (amélioration du référencement) à laquelle la société SEEM était tenue en vertu de l’article 2 des conditions générales du devis accepté par la société Mapaye.
A la date de cette mise en demeure, la société Mapaye a estimé le contrat comme résilié et a ainsi enjoint à la société SEEM de cesser toute prestation de référencement de son site.

De son côté, la société SEEM n’a pas fait droit à la demande de la société Mapaye car elle estimait que cette dernière n’avait pas mis en place les optimisations nécessaires conformément aux stipulations contractuelles et que par conséquent, l’obligation de résultat à laquelle elle était tenue s’était transformée en une obligation de moyens.

C’est donc dans ce cadre que le contentieux s’est cristallisé et que la société Mapaye a par suite assigné la société SEEM devant le Tribunal de commerce de Paris afin notamment de la voir condamner à lui rembourser la somme de 3.900 euros ainsi qu’à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Eu égard aux stipulations du contrat de référencement (I), le Tribunal a fait droit à la demande de la société Mapaye uniquement en ce qu’elle sollicitait le remboursement de la somme de 3.900 euros après avoir caractérisé le non-respect par la société SEEM de l’obligation de résultat à laquelle elle était tenue (II).

I. Le contrat de référencement conclu

Le référencement (ou le « service de référencement » comme dit la Cour de justice de l’Union européenne) donne naturellement lieu à l’établissement d’un contrat entre les parties (A) qui renferme des obligations synallagmatiques (B).

A. L’établissement d’un contrat de référencement entre les parties

Le référencement peut se définir comme un outil de communication ayant pour but d’optimiser la visibilité d’un site internet sur les moteurs de recherche notamment. Ce corps d’action mis en place pour améliorer cette visibilité vise donc à référencer (d’où le nom) le site internet sur la toile afin qu’il soit connu du public.

En l’espèce, la technique de référencement utilisée par les parties était la définition de mots-clés ayant pour but de remonter dans la liste des résultats des moteurs de recherche le site internet de la société Mapaye lorsque l’internaute entrait les termes de sa recherche.

A ce titre, le référencement payant (apparu en 2001) s’apparente donc bien à de la publicité ayant pour but de faire connaître le site internet dont il est question. Le prestataire de référencement peut donc selon les cas constituer un support ou une régie publicitaire (Follias E., Le contrat de référencement publicitaire sur Internet, Univ. Du Maine, 2009) , sans préjudice également de sa fonction de conseil qu’il sera amené à exercer, comme tout fournisseur informatique (La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 21, 23 mai 1996, 559, Droit de l’informatique, Etude par Christian LE STANC et par Michel VIVANT, §13) .

Naturellement, afin de sécuriser les relations entre le référenceur et son client, il a rapidement été conclu des contrats de référencement entre eux dont il ressortait un certain nombre d’obligations réciproques à la charge de chacune des parties.

B. Les obligations des parties découlant du contrat de référencement conclu

En ce qui concerne le référenceur, son obligation principale consiste à établir un certain nombre de liens afin de rendre le site référencé plus visible. De son côté, le référencé, quant à lui, doit, outre le paiement du prix, apporter sa collaboration aux prestations du référenceur, comme tout client d’un fournisseur informatique (Christian LE STANC et Michel VIVANT, réf. précitée, §14).

Ainsi, lorsque les résultats promis par le référenceur ne sont pas atteints, les référencés peuvent engager leur responsabilité sur ce fondement et il n’est pas rare que les référenceurs de leur côté invoquent le défaut de collaboration de leur client comme cause exonératoire de leur responsabilité.

En l’espèce, l’article 2 des conditions générales du devis conclu entre les parties stipulait, dans une formule dénuée d’ambiguïté : « Obligation de résultat et de référencement : le référenceur devra faire progresser le positionnement du site internet client sur une année. Les premiers résultats seront visibles sous 1 à 3 mois, et le niveau de résultat devra atteindre un positionnement minimum sur 50% des expressions-clés acceptées par Expert-référencement dans les deux premières pages des moteurs recherche comprenant l’outil Google Maps à la fin de l’année de prestation, selon les délais de prise en compte des outils de recherche. Cette obligation de résultat ne peut pas s’appliquer à un unique moteur. Les résultats optimums seront atteintes entre 6 à 12 mois selon après le début de la prestation […]. »

De ce fait, c’est la seule absence de progression du positionnement du site édité par la société Mapaye que cette dernière a voulu faire sanctionner compte tenu de l’obligation de résultat et de référencement stipulée.

II. Le non-respect des résultats contractuellement prévus

La distinction entre le régime de l’obligation de moyens et de résultat est essentielle (A) car elle peut entraîner dans le second cas la condamnation du débiteur pour la seule non-réalisation des résultats prévus (B).

A. La distinction de l’obligation de moyens et de l’obligation de résultat

« L’obligation de résultat impose à son débiteur la production d’un résultat non aléatoire dans l’esprit des parties à la conclusion du contrat alors que l’obligation de moyens l’astreint à employer les meilleurs moyens possibles en vue d’un résultat aléatoire dans l’esprit des parties à la conclusion du contrat » (Jean-Marc Mousseron, Technique contractuelle, 3ème éd. par Pierre Mousseron, Jacques Raynard, Jean-Baptiste Seube, Editions Francis Lefebvre).

On le voit donc, la principale distinction se trouve dans le résultat de l’opération contractuelle qui est attendu par les parties ; soit le résultat est connu par elles au moment de la conclusion du contrat et le débiteur de cette obligation verra sa responsabilité engagée par le seul fait que ce résultat n’a pas été atteint, soit le résultat n’est pas connu ou alors il est espéré et dans ce cas, le créancier de l’obligation, s’il veut engager la responsabilité du débiteur, devra prouver que celui-ci n’a pas mis tous les moyens en œuvre pour parvenir au résultat escompté.

Concernant l’obligation de moyens, on cite souvent l’exemple du médecin qui est tenu de mettre tous les moyens dont il dispose pour guérir son patient mais ne peut en revanche garantir cette guérison. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler récemment dans un arrêt rendu le 24 avril 2013 (Cour de cassation, chambre civile 1, 24 avril 2013, N° 12-17.975).

En ce qui concerne l’obligation de résultat, le transporteur est par exemple tenu à une telle obligation en ce qu’il doit transporter le voyageur d’un point A à un point B et il devra ainsi prouver une éventuelle faute de la victime ou un cas de force majeure afin de ne pas voir sa responsabilité engagée (pour une illustration récente, voir l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 juin 2014) (Cour de cassation, chambre civile 1, 18 juin 2014, N° 13-11.898).

En conclusion, la détermination de cette obligation est essentielle car elle détermine la charge de la preuve qui pèse sur le débiteur dans un cas (obligation de résultat) ou sur le créancier dans l’autre (obligation de moyens).

Le contrat de référencement conclu entre Mapaye et SEEM ne soulevait guère de difficultés puisqu’il était expressément stipulé que le référenceur supportait une obligation de résultat de référencement.

B. La condamnation de la société SEEM du seul fait du non-respect du résultat stipulé

Lors de l’exécution du contrat, la société Mapaye a constaté que le positionnement de son site avait chuté sur plusieurs mots clés. C’est donc de la simple constatation de cette chute qu’elle a demandé le remboursement des sommes engagées au titre du contrat.

Conformément au régime de responsabilité supporté par la société SEEM, celle-ci n’avait pas d’autre choix pour ne pas voir sa responsabilité engagée que d’invoquer la faute de son cocontractant, caractéristique d’une inexécution contractuelle et ainsi faire jouer l’exception d’inexécution (Article 1184 du Code civil).

C’est donc ce qu’elle a tenté de faire en se référant à la seconde partie de l’article 2 des conditions générales du devis : « L’obligation de résultat se transforme en obligations de moyens si le travail du référencement sur le site du client est effacé, si le client désire changer son URL (en début ou en cours de prestation), si le client a omis d’indiquer l’ensemble de ses noms de domaine, si le client ne fournit pas l’ensemble des documents et textes dans un délai de moins d’une semaine après leur demander par le référenceur ou si client ne respecte pas la charte de Google. »

S’appuyant sur ces stipulations contractuelles (puisque la société SEEM ne contestait pas le fait que les résultats de référencement contractuellement prévus n’avaient pas été atteints par elle), la société SEEM a donc estimé qu’elle était désormais tenue à une obligation de moyens en raison de la faute de Mapaye qui devait être suffisamment rapide et réactive et devait collaborer avec SEEM en lui transmettant les éléments dans un délai de moins d’une semaine.

Cette argumentation n’a toutefois pas résisté à l’examen du tribunal qui a relevé que la société SEEM n’avait jamais opposé auparavant à Mapaye un quelconque défaut de collaboration et surtout, reproche à SEEM de ne pas tirer les conséquences des retards invoqués et par conséquent, juge que son obligation ne s’est pas transformée en obligation de moyens et qu’elle reste donc soumise à une obligation de résultat.

La non-atteinte du résultat est donc préjudiciable pour Mapaye qui ne trouve finalement plus aucun intérêt à la conclusion du contrat et SEEM est donc condamnée à payer à Mapaye la somme de 3.900 euros H.T. au titre du remboursement des prestations.

De par ce fait, le tribunal estime donc également que c’est à bon droit que Mapaye a résilié le contrat pour manquement de SEEM à ses obligations sans toutefois faire droit à sa demande tendant à l’allocation de dommages et intérêts au motif qu’elle aurait perdu des parts de marché suite à l’incompétence de SEEM puisqu’elle ne produit à cette fin aucun document probant à l’appui de cette prétention.

En conclusion, mieux vaut définir avec précision le contenu de ses obligations contractuelles et définir le régime de responsabilité applicable, tout comme les causes exonératoires afin d’encadrer le champ de cette responsabilité. A cette fin, il est possible de sortir des sentiers battus de l’obligation de moyens et de résultat stricto sensu en stipulant une obligation de moyens renforcée ou, à l’inverse, une obligation de résultat atténuée qui permettent davantage de souplesse pour les parties.

Maître Philippe Riboulin.