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Affaire Google du 16 septembre 2014 : sur le déréférencement de liens sur internet, la compétence du tribunal et le traitement de données à caractère personnel. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : vendredi 5 décembre 2014
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Quelques mois après la retentissante décision Google Spain de la CJUE du 13 mai 2014 consacrant un droit à l’oubli numérique pour l’internaute, le TGI de Paris vient de statuer dans une ordonnance de référé à l’encontre des positions de Google France.
(Tribunal de grande instance de Paris, Ordonnance de référé du 16 septembre 2014 M. et Mme X et M. Y / Google France).

L’ordonnance du TGI est à replacer dans la bataille qui s’est engagée devant les tribunaux contre Google en ce qui concerne sa responsabilité en tant que moteur de recherche. Le géant américain Google Inc. doit en effet faire face aujourd’hui à de nombreuses protestations suscitées par la collecte d’informations publiques et privées.

Ce sont principalement les fonctions Google Search ou Suggest et celle de référencement de liens hypertexte qui font l’objet de sérieuses attaques. Ces fonctions sont désormais incorporées au moteur de recherche et ne laissent plus à l’internaute le choix de leur utilisation. Si leur utilité reste indéniable en facilitant le plus souvent la recherche de l’internaute, elles permettent à Google, en contrepartie de leur gratuité, de mettre à la disposition de l’ensemble des internautes des informations qui relèvent de la vie privée des personnes.

Les juridictions reconnaissent aujourd’hui que Google, dont l’activité consiste à collecter, stocker et indexer des données portant sur des informations relatives à des personnes physiques, a la qualité de responsable de traitement de données à caractère personnel, activité visée à l’article 2 de la directive du 24 octobre 1995 sur la protection des personnes physiques à l’égard du traitement de données à caractère personnel.

C’est la CJUE qui a reconnu avec le plus de force la qualité de responsable de traitement impartie à Google et c’est à partir de cette reconnaissance qu’un pas supplémentaire a été franchi avec l’arrêt du 13 mai 2014 pour venir consacrer au profit de l’internaute un droit à l’oubli, c’est-à-dire un droit à l’effacement de certaines de ses données apparaissant comme inadéquates. [1].

Le TGI de Paris, et plus précisément la 17ème Chambre, avait déjà courageusement défendu le droit à l’oubli en faveur d’une personne physique dont le nom comme requête sur le moteur de recherche Google faisait apparaître des résultats renvoyant à des sites offensant à son égard. Le tribunal avait donc imposé à Google le déréférencement des liens vers ces sites [2].

Si les tribunaux français exigeaient de Google le déréférencement des liens portant atteinte à la vie privée des personnes, c’est parce qu’ils considéraient que Google procédait à un traitement de données à caractère personnel. Or la Cour de cassation dans un arrêt du 19 juin 2013 a dit que les résultats proposés par le moteur de recherche à partir d’une requête étaient le fruit d’un processus purement automatique grâce à l’utilisation d’un algorithme et ne peuvent être imputés à la volonté de la société Google d’émettre les propos illicites. [3].

En dépit de la décision de la Cour de cassation certains tribunaux continuent de considérer que Google effectue un traitement des données et retiennent donc sa responsabilité. C’est le cas d’un récent jugement qui a estimé que si les résultats proposés correspondaient à un processus automatique, la société Google a néanmoins conçu ses algorithmes selon des moyens et une finalité déterminés, ce qui la rend responsable du traitement de données opéré [4].

La présente ordonnance de référé, en prescrivant à Google de procéder à un déréférencement, entend poursuivre ce mouvement de résistance à la décision de la Cour de cassation de 2013 venue exclure la responsabilité du moteur de recherche. Il ne s’agit certes que d’une ordonnance de référé, susceptible d’être contredite par un jugement au fond, mais qui n’en reste pas moins motivée, notamment par sa référence à l’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014.

1- Rejet de l’exception de nullité soulevée par Google

Google était assignée devant le TGI de Paris par deux personnes afin qu’elle procède à la suppression de liens référencés apparaissant comme diffamatoires sur le moteur de recherche lorsque ces personnes entraient leurs patronymes. Un jugement du tribunal correctionnel avait déjà statué sur le caractère diffamatoire du contenu des liens et prononcé une condamnation à l’encontre de leur auteur.

Toutefois, Google s’est opposée à ce déréférencement en soulevant une exception de nullité tirée de la violation de l’article 53 de la loi de 1881 exigeant certaines mentions dans la citation et de l’article 56 du code de procédure civile consacré aux mentions obligatoire devant figurer dans l’assignation.

Or les juges ont rejeté l’argumentation soutenue par Google selon laquelle la requête en déréférencement introduite par les demandeurs relevait de la loi de 1881. En effet ils ont jugé que la demande n’était pas fondée sur la diffamation mais sur la suppression des liens référencés attachés à leurs noms dans le moteur de recherche et que par conséquent l’article 53 de la loi de 1881 n’avait pas lieu de s’appliquer en l’espèce.

La nullité fondée sur la violation de l’article 56 du CPC est également rejetée pour le motif cette fois que contrairement aux affirmations de Google, l’assignation introduite par les demandeurs était conforme à l’ensemble des mentions obligatoires exigées par le texte.

2- Les activités publicitaires de Google France et applicabilité du droit français

Le second moyen de défense présenté par Google pour échapper à son obligation de déréférencement des liens à contenu diffamatoire, repose sur l’inapplicabilité de l’article 4 de la directive de 1995.

Cet article 4 précise l’application territoriale de la directive et donc le droit national applicable : « Chaque État membre applique les dispositions nationales qu’il arrête en vertu de la présente directive aux traitements de données à caractère personnel lorsque le traitement est effectué dans le cadre des activités d’un établissement du responsable du traitement sur le territoire de l’État membre  ».

L’interprétation que Google France donne de cet article l’amène à considérer qu’elle est certes un établissement du responsable du traitement Google Inc. implantée aux USA mais que ses activités limitées à la fourniture d’un soutien publicitaire en France s’opposent à ce qu’elle participe au traitement de données à caractère personnel, cette tâche étant dévolue exclusivement à l’exploitant du moteur de recherche, c’est-à-dire à Google Inc.

Elle en tire la conclusion que ne réalisant pas le traitement des données dans le cadre de ses activités dont l’objet est de promouvoir les produits et services de publicité en ligne, il n’y a pas lieu de la tenir pour responsable des demandes de déréférencement effectuées en France. Le responsable du traitement étant principalement Google Inc., c’est le droit américain qui doit par conséquent s’appliquer.

Il s’agit de la même argumentation que celle vainement développée par Google Spain dans l’affaire jugée par la CJUE le 13 mai 2014. Or la CJUE avait rejeté l’analyse de Google Spain et reconnu que le droit espagnol devait s’appliquer en l’espèce.

Le TGI de Paris reprend exactement la même motivation que le juge européen. Les juges admettent préalablement que Google France ne réalise pas en France une activité directement liée à l’indexation et au stockage de données. C’est sur des considérations économiques et financières que les juges vont être amenés à considérer que Google France participe au traitement des données à caractère personnel.

C’est en effet par l’analyse économique et financière des rapports entre la filiale française et sa société mère que les juges européens et ensuite français vont déduire que Google France participe bien dans le cadre de son activité en France au traitement de données à caractère personnel.

L’idée générale est que les activités de Google France et celles du moteur de recherche de la société mère, Google Inc., forment un ensemble indissociable. La rentabilité financière de Google Inc. dépend en effet étroitement des recettes publicitaires dégagées au niveau précisément de ses différentes filiales notamment implantées dans les Etats membres de l’Union.

Les juges relèvent que l’activité de promotion et de vente d’espaces publicitaires de Google France est liée aux termes de recherche que les internautes tapent sur le moteur de recherche. En d’autres termes, les activités publicitaires de Google France permettent de rendre le moteur de recherche économiquement viable et que dans le même temps le moteur constitue le moyen permettant à Google France d’accomplir ses activités.

La preuve de l’interdépendance entre leurs activités réciproques est constituée par l’affichage des résultats de la recherche qui est systématiquement accompagné de panneaux publicitaires justement liés aux termes de la recherche. Il en résulte que Google France participe au traitement de données à caractère personnel dans le cadre de son activité publicitaire.

Le juge européen d’abord puis le juge national ensuite justifient leur raisonnement par la nécessité d’interpréter les dispositions de la directive de 1995 et plus généralement le droit européen, de manière finaliste. En l’espèce, le but de la directive de 1995 était d’offrir aux personnes physiques une protection effective et complète de leurs libertés et droits fondamentaux. Il convenait dès lors de donner une interprétation très large et compréhensive de l’expression « dans le cadres de ses activités » prévue à l’article 4 de la directive.

Après l’instauration d’un droit à l’oubli numérique, ou plus précisément d’une obligation de déréférencer un lien inadapté, Google Inc. est privée du droit d’invoquer la législation américaine en cas de contentieux impliquant l’une de ses filiales créée dans un Etat de l’Union et effectuant un traitement de données dans le cadre de ses activités publicitaires.

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [email->acheron@acbm-avocats.com]

[1CJUE, 13 mai 2014 Google Spain SL, Google Inc. / (AEPD), Mario Costeja G.

[2TGI de Paris 15 févr. 2012, Diana Z. c/ Google

[3Civ. 1, 19 juin 2013, pourvoi n°12-17591

[4Tribunal de commerce de Paris, 28 janvier 2014