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Délai et recours administratif contre un permis de construire : les chausses-trappes. Par Pieyre-Eloi Alzieu-Biagini, Elève-Avocat.
Parution : mardi 9 décembre 2014
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L’introduction d’un recours gracieux contre un permis de construire, ou la demande de déféré préfectoral, doit se faire en prenant en compte deux particularités en ce qui concerne l’interruption et la prorogation des délais de recours contentieux.

L’introduction d’un recours gracieux contre un permis de construire, qui démontre la connaissance acquise de la décision et fait donc courir les délais en affranchissant le pétitionnaire de la preuve de l’affichage de son permis [1], recèle deux pièges à éviter.

D’une part, l’effet prorogatif du recours gracieux est subordonné à sa notification au bénéficiaire selon les formalités prévues à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme.

D’autre part, s’agissant d’une décision administrative créatrice de droit pour un tiers, le nouveau délai né du refus du recours gracieux est opposable quelle que soit la forme de la décision de refus, les dispositions de la loi du 12 avril 2000 ne trouvant pas à s’appliquer.

1. La nécessité de notifier le recours gracieux ou hiérarchique pour qu’il ait effet prorogatif.

En règle générale comme en matière d’urbanisme, l’exercice d’un recours gracieux ou hiérarchique a pour effet de proroger le délai de recours contentieux.

Toutefois, cet effet prorogatif, de même que la recevabilité du recours, est soumis à l’exigence de notification dudit recours selon les formalités prévues à l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme :
« En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un certificat d’urbanisme, d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant un certificat d’urbanisme, une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou un permis de construire, d’aménager ou de démolir. L’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif.

La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours.

La notification du recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation est réputée accomplie à la date d’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. »

Ainsi, « un recours administratif exercé contre une autorisation de construire n’est susceptible de proroger le délai de recours contentieux que si l’auteur de ce recours administratif a adressé une copie de son recours au bénéficiaire de cette autorisation, dans les quinze jours de l’introduction de ce recours administratif », conformément aux prescriptions de l’article R. 600-1 du Code de l’Urbanisme. [2]

Cet aspect a été clairement rappelé par l’avis de principe Epoux Damon de 2004 :

«  Lorsque le tiers qui entend contester une telle autorisation utilise la faculté qui lui est ouverte de présenter un recours gracieux ou hiérarchique avant de saisir la juridiction compétente, l’exercice d’un tel recours a pour conséquence de proroger le délai de recours contentieux, sous réserve du respect des formalités de notification de ce recours préalable prévues à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme .  ». [3]

Cette notification doit être adressée en LRAR, comme le dispose l’article précité.

Cette exigence de notification pour donner effet prorogatif vaut pareillement pour le recours gracieux émis par le Préfet et pour la demande de déféré adressée au Préfet par un particulier, à la différence que cette notification devra ici être également adressée à l’auteur du recours.

Si les formalités sont respectées, le délai sera interrompu à la date de réception du recours précontentieux par l’Administration.

Une fois le délai valablement interrompu, le problème se déplace sur le dies a quo du nouveau délai de deux mois et sur l’opposabilité de ce délai.

2. L’absence d’influence de la forme de la décision prise après recours gracieux ou hiérarchique sur l’opposabilité du nouveau délai

Le recours gracieux étant considéré comme une demande au sens de l’article 18 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, les dispositions de l’article 19 de cette loi devraient trouver à s’appliquer et le nouveau délai ne devrait être opposable que si la recours gracieux a fait l’objet d’un accusé de réception porteur des voies et délais de recours ou d’une décision expresse de rejet intervenue avant naissance d’une décision implicite et porteuse de ces mêmes voies et délais de recours.

Cependant, le permis de construire étant une décision créatrice de droit pour un tiers, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer et « il s’ensuit, d’une part, qu’en cas de naissance d’une décision implicite de rejet du recours administratif formé par un tiers contre un permis de construire, résultant du silence gardé par l’administration pendant le délai de deux mois prévu à l’article R. 421-2 du code de justice administrative, le nouveau délai ouvert à l’auteur de ce recours pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, qu’il ait été ou non accusé réception de ce recours, et, d’autre part, que, dans le cas où une décision expresse de rejet est notifiée à l’auteur du recours administratif avant l’expiration du délai au terme duquel une décision implicite est susceptible de naître, le nouveau délai pour se pourvoir court à compter de cette notification, même si celle-ci ne comporte pas la mention des voies et délais de recours. ». [4]

Ainsi, l’absence d’envoi d’un accusé réception du recours gracieux contre le permis de construire, la forme, implicite ou explicite, du rejet de ce recours gracieux et l’absence de mention des voies et délais de recours n’ont aucune incidence sur le nouveau délai ouvert après prorogation par le recours gracieux ou hiérarchique.

En conséquence, le nouveau délai de deux mois, ouvert à l’auteur du recours gracieux régulièrement notifié, court à compter de la notification d’une décision expresse de rejet, que celle-ci porte ou non les voies et délais de recours, ou, au plus tard, à compter de la naissance d’une décision implicite de rejet, deux mois (délai non franc) après la réception du recours gracieux par l’Administration.

Seule exception, si une décision expresse de rejet intervient dans le délai de recours contentieux contre la décision implicite de rejet, la première fait courir un nouveau délai de recours contentieux de deux mois. [5]

Pour finir sur un exemple concret, si le recours gracieux a été reçu le 5 janvier et qu’il a été régulièrement notifié, alors le nouveau délai de recours contentieux contre le permis de construire courra soit à partir de la notification d’une décision expresse de rejet, soit à partir de la naissance de la décision implicite de rejet, le 5 mars. Le délai pourra néanmoins être une nouvelle fois prorogé si une décision expresse de rejet est notifiée avant l’expiration du délai de recours contentieux né du rejet implicite, avant le 6 mai dans l’exemple.

Pieyre-Eloi Alzieu-Biazini Master 2 Contrat Publics et Partenariats Titulaire du CAPA [Email->peab@hotmail.fr] En recherche d'une collaboration

[1CE, 6 octobre 1978, Association du quartier « La Corvée-La Roche des Fées », n° 01898

[2CAA Paris, 30 janvier 2001, n° 00PA03853 ; CE, 11 mai 2001, n°231802

[3CE, avis, 15 juillet 2004, Damon, n° 266479

[4CE, avis, 15 juillet 2004, Damon, précité

[5CE, sec., 1 er mars 1996, Habib, n° 117453

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