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Le CNAPS, la CNIL et les fichiers de police judiciaire. Par Karin Hammerer, Avocate.
Parution : jeudi 15 janvier 2015
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Les propos tenus le 8 décembre 2014 par le Ministre de l’Intérieur à propos de l’extension, au profit des agents du Conseil national des activités privées de sécurité, de la consultation des fichiers de police judiciaire interpellent.

L’accès à de nombreux emplois dans le domaine de la sécurité privée est en jeu.

Le 8 décembre dernier, lors de la 3ème édition des Assises de la sécurité privée, le Ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve a fait part de sa volonté de permettre aux agents du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (CNAPS) d’interroger directement le Traitement des Antécédents Judiciaires (TAJ).

Cette déclaration d’intention inquiète à plusieurs titres.

L’article 230-6 du Code pénal autorise la mise en œuvre de traitements automatisés de données à caractère personnel recueillies dans le cadre des enquêtes de police.

Ont ainsi été créés respectivement par le décret n° 2001-583 du 5 juillet 2001 et par le décret n° 2006-1411 du 20 novembre 2006 le STIC pour la police et le JUDEX pour la gendarmerie, qui regroupaient des informations concernant les personnes mises en cause ou victimes d’infractions pénales.

Depuis le 1er janvier 2014, ils ont été remplacés par le TAJ issu du décret n° 2012-652 du 4 mai 2012.

Si le but premier de recherche des auteurs d’infractions dans lequel ces fichiers ont été créés est louable, leur existence ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.

D’une part, ces fichiers se distinguent du casier judiciaire national. Peuvent donc y faire l’objet d’une inscription :

- les personnes qui ont été condamnées même si le tribunal leur a accordé une dispense d’inscription au bulletin judiciaire n° 2,

- les personnes contre lesquelles il a existé des indices graves ou concordants rendant vraisemblables qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à un crime, un délit ou une contravention de 5ème classe alors même qu’elles n’ont fait l’objet finalement d’aucune poursuite pénale ou que de telles poursuites n’ont pas prospéré,

- les victimes de ces mêmes infractions.

Autrement dit, des personnes qui n’ont jamais commis aucune infraction peuvent y apparaître, parfois sans même le savoir, et, ce, pour une durée pouvant aller jusqu’à 40 ans !

Pire encore, en 2009, la CNIL qui est chargé du contrôle de ces fichiers, constatait de nombreux dysfonctionnements : des erreurs de saisie du motif pour lequel une personne figure dans les fichiers (victime/mise en cause), une absence quasi-systématique de transmission par les parquets des suites judiciaires nécessaires à leur mise à jour (classements sans suite, acquittements, relaxes, décisions de non-lieu,…), des demandes d’effacement non prises en compte,…

De même, en 2013, elle a souligné :

- l’absence de réelle évolution et, par suite, la persistance desdites défaillances en dépit des recommandations expresses qu’elle n’avait pas manqué de formuler,

- ainsi que l’absence de contrôle de l’exactitude des données et de leur mise à jour avant la reprise dans le TAJ des informations provenant du STIC et du JUDEX.

Ainsi, selon un article du Monde paru le 10 décembre 2014, 72% des fiches du STIC et 62% de celles du JUDEX étaient erronées en 2011 (Les fichiers de police les plus controversés bientôt consultables par l’administration, M. Suc et F. Johannès, Le Monde, 10 décembre 2014).

D’autre part, les fichiers de police judiciaire ont une deuxième fonction beaucoup plus méconnue et qui est pourtant susceptible de concerner un grand nombre de personnes.

Ils peuvent être consultés dans le cadre des enquêtes administratives menées pour permettre l’accès à certains emplois appartenant tant au secteur public (magistrat, policier, gendarme, agent de police municipale,…) qu’au secteur privé (agent de sécurité privée, personnels aéroportuaires,…) afin de vérifier si les candidats remplissent les conditions de moralité exigées.

A cet égard, l’article L 114-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que :

« Les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant soit les emplois publics participant à l’exercice des missions de souveraineté de l’État, soit les emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense, soit les emplois privés ou activités privées réglementées relevant des domaines des jeux, paris et courses, soit l’accès à des zones protégées en raison de l’activité qui s’y exerce, soit l’utilisation de matériels ou produits présentant un caractère dangereux, peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées ».

La définition est large. Pour la CNIL, plus d’un million de postes sont concernés.

Si l’on rapproche ce chiffre du taux dangereusement élevé de fiches erronées, on s’aperçoit que le nombre de personnes susceptibles de se voir refuser une embauche pour un motif inexact est particulièrement important.

En pareil cas, les intéressés, qui n’ont aucun droit d’accès direct à ces fichiers, n’ont que deux recours :

- saisir la CNIL afin qu’elle procède à la vérification des données les concernant et, le cas échéant, à leur rectification ; cependant, la durée moyenne de traitement de ce type de demande est actuellement de 18 mois, délai particulièrement long pour quelqu’un sans emploi ; or, cette saisine sera sans effet sur le refus d’embauche préalablement opposé ;

- exercer une action à l’encontre dudit refus au cours de laquelle la matérialité des griefs reprochés aux candidats pourra être discutée et devra être établie sous peine de censure.

On comprend donc mal pourquoi au lieu de réformer les modalités de ce contrôle particulièrement imparfait et aux conséquences graves pour les intéressés, Monsieur Cazeneuve voudrait le faciliter en le confiant aux personnels du CNAPS, simples agents publics dépourvus de missions de police judiciaire.

On le comprend d’autant moins qu’en réalité une telle possibilité existe déjà.

En effet, en matière d’activités privées de sécurité, l’article L 612-7 du code de la sécurité intérieure prévoit que l’agrément des exploitants individuels et dirigeants des personnes morales :

« ne peut être délivré s’il résulte de l’enquête administrative, ayant le cas échéant donné lieu à consultation, par des agents des commissions nationale et régionales d’agrément et de contrôle spécialement habilités par le représentant de l’État territorialement compétent et individuellement désignés, des traitements de données à caractère personnel gérés par les services de police et de gendarmerie nationales (…), à l’exception des fichiers d’identification, que son comportement ou ses agissements sont contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes mœurs ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État et sont incompatibles avec l’exercice des fonctions susmentionnées ».

Des dispositions similaires sont reprises à l’article L 612-20 de ce même code s’agissant des autorisations d’exercice des employés.

Deux pistes d’explications peuvent être trouvées.

La première provient de la jurisprudence. La Cour Administrative d’Appel de Marseille a annulé un refus de carte professionnelle fondé sur une consultation du STIC opérée par des agents ne disposant pas de l’habilitation spéciale nécessaire (Cour Administrative d’Appel de Marseille, arrêt du 10 décembre 2013, n°12MA00228).

La seconde résulte des observations de la CNIL. Cet organisme a noté que les consultations du STIC à des fins administratives étaient systématiquement effectuées à partir du module de police judiciaire. De fait, celui-ci permet d’accéder à l’ensemble des informations enregistrées alors que le profil administratif ne concerne que les affaires pour lesquelles aucune suite judiciaire favorable au mis en cause n’a été donnée par l’autorité judiciaire.

On peut donc s’interroger : les propos de Monsieur Cazeneuve traduisent-ils la volonté du gouvernement de supprimer l’habilitation dont les agents du CNAPS doivent à ce jour bénéficier pour accéder aux données sensibles du TAJ ou encore de permettre à ces personnels d’accéder sans restriction à toutes ces informations quand bien même celles-ci seraient inutiles et représenteraient un risque d’erreur accru ?

Si aucune certitude n’est permise, on n’est toutefois guère rassuré.

Karin Hammerer, Avocate au Barreau de Lyon spécialiste en droit public www.hammerer-avocat.fr
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