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Changement de prénom : ai-je une chance ? Par Antoine Christin, Avocat.
Parution : dimanche 20 mai 2018
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Depuis le 1er janvier 2017, le changement de prénom ne relève plus de la compétence du Juge aux affaires familiales : vous pouvez désormais adresser vous-même votre demande à l’Officier d’état civil de votre lieu de résidence (article 60 du Code civil issu de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016) qui est tenu de l’accepter sans que vous ayez à vous justifier. Les propos qui suivent appartiennent donc désormais à l’histoire du droit puisqu’ils traitent des motifs qui étaient appréciés par le Juge aux affaires familiales jusqu’au 31 décembre 2016 (lorsqu’il lui appartenait de se prononcer sur l’intérêt légitime de la personne qui demandait à changer de prénom).
(Article actualisé par l’auteur en mai 2018.)

La procédure en changement de prénom existe depuis la loi n°55-1465 du 12 novembre 1955. Souvent réformée, elle a toujours été guidée par un principe directeur : la notion d’ « intérêt légitime » du requérant.

Quiconque justifie d’un « intérêt légitime » peut solliciter l’ajout, la modification, la suppression ou l’inversion de l’ordre de ses prénoms.

Seule une connaissance approfondie de la jurisprudence en la matière permet de connaître les motifs d’intérêt légitime régulièrement admis et, par conséquent, d’avoir une chance d’obtenir les modifications souhaitées.

Vous trouverez ci-après deux brefs résumés :
-  le premier, relatif aux motifs d’intérêt légitime régulièrement admis ;
-  le second, relatif à ceux régulièrement rejetés.

Si vous désirez changer de prénom, sachez que la représentation par avocat est obligatoire [1].

I. Les motifs d’intérêt légitime régulièrement admis.

Prénom ridicule ou de pure fantaisie : il est traditionnellement admis que constitue un « intérêt légitime » le fait de vouloir obtenir la suppression ou la modification d’un prénom ridicule.

À titre d’illustration, ont été ordonnées les suppression ou modification des prénoms « Gloarnic » [2], « Folavril » [3] et « Patriste » [4].

À l’inverse, ont été rejetées les demandes en suppression ou modification des prénoms « Tokalie » [5], « Zébulon » [6] et « Furkan » [7].

Toujours à titre d’illustration, le port d’un prénom spécifiquement féminin pour un homme et vice­versa pour une femme est indéniablement préjudiciable. Le requérant victime d’une telle situation dispose donc d’un motif d’intérêt légitime justifiant sa requête.

Pour accueillir ou rejeter les demandes, les Juges apprécient in concreto (au cas par cas) le caractère troublant voire traumatisant du prénom et notamment les railleries ou douleurs qu’il est susceptible d’occasionner.

Il incombe donc au requérant de démontrer le préjudice causé par le prénom et les raisons pour lesquelles le changement sollicité serait de nature à y mettre un terme.

La coutume et les origines : il est traditionnellement admis que constitue un « intérêt légitime » le fait de vouloir perpétuer le prénom de ses grands-parents [8], voire d’autres aïeux (les wallisiens attribuent traditionnellement le prénom de l’arrière­-grand­-mère maternelle à leurs filles par exemple : Cour d’Appel de REIMS, 30 mars 2006).

Il incombe donc au requérant de démontrer l’existence de la coutume qu’il revendique.

L’usage constant : peut constituer un motif d’intérêt légitime le fait de vouloir mettre le droit en adéquation avec une situation de fait.

Un débat jurisprudentiel existe.

D’un côté, certains Magistrats estiment que ce motif ne peut pas être retenu si le requérant a lui-même créé la situation de fait qu’il expose. À titre d’illustration, si « Francis » a lui-même exposé aux tiers qu’il s’appelait « François », il serait mal-fondé à demander au Juge qu’il ordonne la modification de son prénom (de « Francis » à « François ») aux registres de l’état civil.

De l’autre, certains estiment «  que l’usage prolongé d’un prénom suffit à caractériser l’intérêt légitime au changement » [9] et ce même si le prénom n’est utilisé que par la famille ou l’entourage du requérant [10].

Il incombe donc au requérant de démontrer l’existence d’une situation de fait (si possible qu’il n’a pas créée lui-même) en inadéquation avec ses prénoms tels qu’ils figurent à l’état civil.

L’intégration dans une communauté nationale : il est fréquemment admis que constitue un « intérêt légitime » le fait de vouloir changer de prénom afin de favoriser l’intégration dans une communauté nationale.

Ainsi, la « francisation » d’un prénom à consonance étrangère et l’« extranéisation » d’un prénom à consonance française peuvent être admis s’il est démontré qu’ils favoriseraient l’intégration dans le cadre d’un projet déterminé.

Tous les changements sont envisageables :
-  ajout avec interversion : passer de « Rachid » à « François, Rachid » ou de « François » à « Rachid, François » ;
-  modification : passer de « Samir » à « Samuel » ou de « Samuel » à « Samir » ;
-  suppression : passer de « Kader, Richard » à « Richard » ou de « Richard, Kader » à « Kader ».

Il incombe alors au requérant de démontrer son projet d’intégration et les raisons pour lesquelles il serait facilité par la modification sollicitée.

L’intégration professionnelle est souvent invoquée car, sur le lieu de travail, les railleries provoquées par un prénom à consonance étrangère (voire à consonance française) sont malheureusement loin d’être en voie de disparition.

L’intégration dans une communauté religieuse : il est régulièrement admis que constitue un « intérêt légitime » le fait de vouloir changer de prénom afin de favoriser l’intégration dans une communauté religieuse.

À titre d’illustration, certains musulmans considèrent que la pratique de leur religion exige qu’ils portent un prénom musulman à l’exclusion de tout autre. La possession d’un prénom hébraïque ou chrétien – fut-ce en deuxième prénom – constitue alors un obstacle à l’exercice de leur religion, ce qui est constitutif d’un « intérêt légitime » justifiant la suppression ou la modification dudit prénom.

Encore à titre d’illustration, certains pays interdisent le port de certains prénoms. Dispose alors d’un intérêt légitime le requérant qui porte un prénom « interdit » et qui démontre son intention de s’intégrer dans le pays où ledit prénom l’est [11].

Toujours à titre d’illustration, certains pays exigent que les candidats à l’immigration portent un prénom d’origine musulmane. Dispose alors d’un intérêt légitime le requérant qui ne dispose pas d’un tel prénom et qui démontre son intention d’émigrer vers le pays où le port d’un prénom d’origine musulmane est obligatoire [12].

II. Les motifs d’intérêt légitime régulièrement rejetés.

Les motifs régulièrement rejetés se déduisent a contrario.

L’idée-force qui anime les Magistrats est que « le seul fait de ne pas aimer son prénom ne peut constituer un motif d’intérêt légitime » [13].

À titre d’illustration, l’admiration portée pour un personnage de théâtre ou de romans ne constitue pas un motif d’intérêt légitime justifiant la modification de son prénom. Les femmes prénommées « Marie » ne sont donc pas fondées à solliciter que leur prénom soit modifié en « Fleur de Marie » [14] ou « Cœur-Marie » [15].

Il est donc peu probable que les « Catherine » puissent faire modifier leur prénom en « Katniss », fussent-elles de ferventes admiratrices de l’héroïne des « Hunger Games ».

De la même manière, de peur de voir un nom de famille disparaître, certains parents souhaitent attribuer à leur enfant le nom de famille « voué à l’extinction » comme deuxième prénom. De manière générale, les Magistrats refusent d’utiliser un nom de famille en tant que prénom [16]. Une personne ayant un nom de famille en tant que deuxième prénom serait donc bien fondée à en solliciter la suppression ; à l’inverse, une personne qui souhaiterait s’adjoindre un nom de famille en tant que deuxième prénom serait mal fondée à le faire.

III. Conclusion

La procédure relève de la compétence exclusive du Juge aux affaires familiales saisi par requête et la représentation par avocat est obligatoire [17].

Si la demande concerne un mineur, elle doit être faite par son représentant légal. Elle nécessite l’accord de tous les titulaires de l’autorité parentale car il ne s’agit pas d’un acte usuel qu’un parent peut prendre seul [18].

Certes, le seul fait de ne pas aimer son prénom ne constitue pas un « intérêt légitime » justifiant une modification.

Cependant, lorsque tel est le cas, il existe de nombreux motifs permettant d’obtenir malgré tout la suppression, la modification ou l’ajout d’un prénom.

N’hésitez donc pas à entrer en contact avec un avocat qui, selon la demande que vous lui présenterez, saura vous renseigner sur ses chances de succès.

Antoine CHRISTIN Avocat associé - SALMON ET CHRISTIN ASSOCIÉS Ancien Secrétaire de la Conférence Site internet : http://www.scavocats.fr

[1article 797 du Code de procédure civile.

[2Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 1er juillet 1980.

[3Cour d’Appel de RENNES, 4 novembre 1996.

[4Cour d’Appel de MONTPELLIER, 4 octobre 2006.

[5Cour d’Appel de CAEN, 30 avril 1998.

[6Cour d’Appel de BESANÇON, 18 novembre 1999.

[7Cour d’Appel de BESANÇON, 17 décembre 2009.

[8Cour d’Appel de VERSAILLES, 29 juin 1989.

[9Cour d’Appel de PARIS, 21 novembre 1995.

[10Cour d’Appel de MONTPELLIER, 2 novembre 2009 ; Cour d’Appel de ROUEN, 29 juin 2011.

[11Cour d’Appel de VERSAILLES, 18 mai 2000.

[12Cour d’Appel de BESANÇON,
9 avril 1991.

[13Cour d’Appel de BESANÇON, 5 février 2009.

[14Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 1er octobre 1986.

[15Cour d’Appel de DIJON, 4 novembre 1986.

[16Juge aux Affaires Familiales de BORDEAUX, 20 mars 2008.

[17article 797 du Code de procédure civile.

[18Cour d’Appel de DIJON, 27 novembre 2007.

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