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Pas de gestion d’affaires lorsqu’un liquidateur engage des frais de conservation d’un bien susceptible d’être revendiqué. Par Dimitri Seddiki.
Parution : mardi 24 février 2015
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Ce refus s’explique par l’existence d’une obligation légale de prendre des mesures conservatoires assurant l’effectivité de l’action en revendication. (Com. 13 janv. 2015, F-P+B, n° 13-11.550)

Une société donne quatre voitures en location à une seconde entreprise. Plus tard cette dernière est placée en redressement puis en liquidation. Le loueur va alors revendiquer la propriété des véhicules. Ne s’y opposant pas, le liquidateur va inviter le propriétaire à se rapprocher de l’huissier chargé du gardiennage des voitures.
Toutefois, en plus de la restitution des voitures, le loueur va demander au juge-commissaire que les frais de gardiennage soient mis à la charge de la procédure. Une Cour d’appel va rejeter cette demande en se fondant sur l’existence d’une gestion d’affaires : en faisant procéder à des mesures de conservation des véhicules dans l’attente de la demande en revendication du bailleur, le liquidateur a agi dans le cadre des dispositions relatives aux procédures collectives. En outre, les frais occasionnés par ces mesures de sauvegarde auraient été exposés dans l’intérêt du bailleur. Le bailleur forme alors un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation devait ici déterminer si constitue une gestion d’affaires le fait – pour un liquidateur judiciaire – de prendre des mesures permettant la sauvegarde de l’effectivité d’un droit de revendication.

Censurant la Cour d’appel, les juges du droit vont refuser de reconnaître la moindre gestion d’affaires et ce en raison de l’existence d’une obligation légale pesant sur le liquidateur.

I – Le refus de constater l’existence d’une gestion d’affaires.

De par sa nature, la gestion d’affaires était incompatible avec l’action du liquidateur.

A – La qualification d’une gestion d’affaires, outil au service de l’altruisme.

La gestion d’affaires est définie par l’article 1375 du Code civil. Il s’agit, en substance, de voir une personne, le gérant, animée d’un esprit altruiste s’occuper des affaires d’une autre, le géré. En conséquence, naîtront des obligations à la charge des deux et notamment celle, pour le géré, de dédommager le gérant des frais engagés pour son compte, le gérant ne devant subir au final aucune perte ni faire le moindre gain.
C’est précisément sur ce point que se situait le nœud du litige en l’espèce : le demandeur (le loueur) avait intérêt à ce qu’aucune gestion d’affaires ne soit retenue, et ce afin que les frais de gardiennage restent à la charge de la procédure collective. En revanche si une gestion d’affaires était retenue, le géré (ce même loueur) aurait été tenu de s’acquitter des frais de gardiennage des véhicules loués.

Afin de déterminer le débiteur de cette charge, il convenait donc d’évaluer la réunion des conditions de la gestion d’affaires. Celles-ci tiennent à la gestion (qui doit être utile), au géré (qui doit avoir été totalement passif) et enfin au supposé gérant. Dans l’arrêt en question, seules les conditions tenant au gérant étaient discutées.

B – Un mécanisme incompatible avec l’action du liquidateur.

Concernant le supposé gérant, pour que la gestion d’affaires soit retenue, il faut que celui-ci ait agi consciemment, dans l’intérêt d’autrui, et animé par une volonté altruiste (sans obligation légale ou contractuelle).
En l’espèce une Cour d’appel avait retenue une gestion d’affaires. Dans son raisonnement, elle identifie clairement que les frais de gardiennage exposés l’ont été dans l’intérêt du loueur et consciemment. Toutefois, il existe une contradiction évidente en ce que les juges du fond ont retenu une gestion d’affaires tout en indiquant que « le liquidateur a agi dans le cadre des dispositions relatives aux procédures collectives » : si ce sont les dispositions du code commerce qui ont guidé l’action du liquidateur, comment qualifier l’altruisme ?

Dans ces conditions la cassation de ce raisonnement douteux est sans surprise. Toutefois, les explications de la Cour de cassation – qui a retenue que le liquidateur avait agi en raison d’une obligation légale lui imposant précisément de prendre des mesures conservatoires pour préserver l’effectivité du droit de revendication – ne semble pas pleinement satisfaisante.

II – La raison de ce refus : une obligation précise pesant sur le liquidateur.

Si le motif de rejet de la gestion d’affaires est peu satisfaisant, d’autres explications sont possibles.

A – Une obligation « légale » de garantir l’effectivité du droit de revendication.

A elle-seule, la nature profondément altruiste de la gestion d’affaires exclut qu’elle soit retenue en considération des mesures prises par un liquidateur judiciaire, non pas que l’homme soit un être dénué de la moindre compassion, mais surtout parce que – avant d’être un homme justement – le liquidateur est un organe objectif et guidé par des objectifs précis agissant dans le cadre d’une procédure particulièrement balisée.

Dans ces conditions, il peut être avancé que – quelque soit l’acte accompli par un organe de la procédure – la gestion d’affaire sera par principe exclue. Pourtant, pour rejeter la gestion d’affaires, la Cour de cassation prend la peine de préciser que cette notion est « incompatible avec l’exécution d’une obligation légale telle que celle imposant au liquidateur de prendre des mesures conservatoires pour garantir l’exercice effectif du droit à revendication ». L’existence d’une telle obligation avait déjà été affirmée concernant les administrateurs judiciaires.

La Cour laisse donc entendre que, si l’on ouvrait le Code de commerce au livre 6 dédié aux entreprises en difficulté, nous pourrions y trouver un texte définissant clairement ce que doit faire le liquidateur lorsqu’il existe, à l’ouverture de la procédure, des biens susceptibles d’être revendiqués. Or, force est de constater que le code de commerce ne prévoit en rien une telle obligation. D’autres fondements semblent pouvoir être avancés pour justifier la solution.

B – Les autres fondements possibles de cette obligation.

Différents fondements peuvent être proposés, certains se rattachant au droit des entreprises en difficulté, d’autres au droit civil.
Concernant le droit des procédures collectives d’abord, il est évident que le régime de l’action en revendication – en ce qu’il enferme l’action du propriétaire dans un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure – à de quoi décontenancer les titulaires du droit fondamental de propriété qui verront celui-ci déclaré inopposable à la procédure en cas d’action hors délai. Dans ces conditions, le mécanisme de l’action en revendication étant déjà sérieusement critiqué dans son principe même (une QPC avait été soumise en 2011), il paraît légitime de considérer qu’il impose par lui-même que le liquidateur judiciaire fasse en sorte de ne pas aggraver encore la situation du propriétaire du bien.

D’un point de vue plus civiliste maintenant, il semble possible de rattacher le fait que la charge des frais de conservation doit reposer sur la procédure collective aux obligations pesant sur tout preneur. Celui-ci est en effet tenu par le code civil de conserver la chose louée en bonne état. Dès lors, l’ouverture d’une procédure collective aurait pour effet de simplement transférer la charge de cette obligation sur le liquidateur.

VOIR AUSSI :

http://www.dalloz-actualite.fr/flash/gestion-d-affaires-est-ecartee-en-presence-d-une-obligation-legale#.VOiLiy7vST8

Dimitri Seddiki