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Mise en jeu de la responsabilité de l’État en cas de liquidation judiciaire excessivement longue. Par Dimitri Seddiki.
Parution : mardi 3 mars 2015
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La Cour de cassation écarte l’hypothèse d’une clôture anticipée au profit d’une action contre l’État. (Cassation, commerciale, 16 décembre 2014)

Si l’avènement de la QPC a achevé de mettre en lumière la sensibilité du droit des entreprises en difficulté au regard de la protection des libertés fondamentales, les débiteurs ne l’ont pas attendue pour s’attaquer à l’épineuse question de la durée des liquidations judiciaires.

Illustration avec cet arrêt du 16 décembre 2014 où, en l’espèce un débiteur avait été placé en redressement judiciaire en 1976 converti deux ans plus tard en liquidation. En 2013, une Cour d’appel faisait droit à sa demande de clôture de la procédure au motif que sa durée excédait le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ainsi que le droit de propriété protégés par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mettant de coté le fait qu’il restait de l’actif à réaliser.
Saisie d’un pourvoi formé par l’ancien syndic, la Cour de cassation devait déterminer si la durée excessive d’une procédure de liquidation judiciaire doit ou non être sanctionnée par une clôture, et ce malgré la persistance d’un actif à réaliser.

Censurant la Cour d’appel les juges du droit vont affirmer que lorsqu’il existe un actif réalisable de nature à désintéresser en tout ou partie les créanciers, la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et de celle, qui en résulte, de son droit d’administrer ses biens et d’en disposer, n’est pas sanctionnée par la clôture de la procédure de liquidation des biens mais lui ouvre l’action en réparation prévue à l’article L.141-1 du code de l’organisation judiciaire, qu’il peut exercer au titre de ses droits propres.
Dans un pays où la durée des procédures de liquidation judiciaire est un vrai problème (I), la solution apportée constitue une solution d’équilibre (II).

I – La durée des liquidations judiciaires, un problème français.

A – Liquidation à la française et droits fondamentaux, l’équation impossible.

Il est indéniable que la liquidation judiciaire dont la durée est excessive porte atteinte à l’exigence d’un délai raisonnable induit par l’article 6 §1 de la CESDH relatif au procès équitable. Il suffira, pour s’en convaincre, de se rappeler que les juges de Strasbourg ont eu l’occasion de sanctionner la France pour une procédure ayant duré 16 ans en 2002 (affaire Laine contre France) ou – plus simplement encore – qu’il s’est écoulé en l’espèce pas moins de 37 ans entre l’ouverture de la procédure collective et la date de l’arrêt attaqué.

Moins spectaculaire est certainement l’atteinte au droit de propriété protégé cette fois par le protocole 1 de la même convention et entré en vigueur en 1998. Pour comprendre l’intensité de l’atteinte à ce second droit il semble ainsi nécessaire de revenir rapidement sur les conséquences de la liquidation pour le débiteur. En effet, le jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire emporte « de plein droit dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. » (art L641-9 com). Dans ces conditions, la Cour européenne des droits de l’Homme pourra difficilement être contredite lorsqu’elle affirme en 2011 dans l’affaire « Tetu contre France » que l’atteinte portée au droit de propriété est telle que le but légitime de la liquidation (désintéresser les créanciers) ne suffit plus à la justifier lorsque cette procédure s’étend sur 19 années.

B – Clôturer d’office la procédure trop longue, solution malvenue

En l’espèce, on ne pourra certainement pas reprocher à la Cour d’appel censurée d’avoir manqué de pragmatisme. Celle-ci semble en effet non seulement consciente de l’ombre de la CEDH qui plane sur le droit des entreprises en difficulté mais aussi du fait que la procédure collective a été ouverte l’année où sortait le film Taxi Driver...

Dans ces conditions, la Cour d’appel semble avoir estimé qu’une situation excessive valait bien une solution qui ne l’est pas moins : les juges du fond ont tout simplement ordonné la clôture de la liquidation judiciaire ouverte il y a plus de 37 ans malgré la persistance d’un actif à réaliser. Ne s’embarrassant pas de finesse, la Cour d’appel va même s’autoriser à préciser que le débiteur a eu un comportement « dilatoire à l’extrême ». Comme prise au piège par la jurisprudence européenne, la Cour d’appel va non seulement refuser de tirer la moindre conséquence de ce comportement douteux mais aussi – et surtout – priver totalement sa décision de base légale. En effet, antérieurement à l’ordonnance du 12 mars 2014 (applicable aux procédures ouvertes après le 1er juillet 2014) la clôture de la liquidation ne pouvait intervenir que dans l’hypothèse d’une extinction du passif ou d’une insuffisance d’actif. (art L643-9 com).

En définitive, la Cour d’appel avait donc sacrifier cette disposition nationale pour se conformer à la jurisprudence européenne seule. C’est à cause de cette incapacité à ménager tant l’intérêt des créanciers que les enseignements des deux arrêts de 2002 et 2011 que la Cour de cassation a censuré le raisonnement d’appel.

II – Entre jurisprudence européenne et droit national, une solution cherchant l’équilibre.

A – La responsabilité de l’État, sanction de la procédure excessivement longue.

La Cour de cassation affirme un principe : « il existe un actif réalisable de nature à désintéresser en tout ou partie les créanciers, la violation du droit du débiteur à être jugé dans un délai raisonnable et de celle, qui en résulte, de son droit d’administrer ses biens et d’en disposer, n’est pas sanctionnée par la clôture de la procédure de liquidation des biens mais lui ouvre l’action en réparation prévue à l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, qu’il peut exercer au titre de ses droits propres. »
Premier enseignement, la Cour de cassation n’a manifestement pas l’intention de s’opposer à la CEDH et reconnaît explicitement que la procédure de liquidation judiciaire porte atteinte aux droits fondamentaux du débiteur. Plus intéressant encore, les juges du droit définissent la sanction de la procédure trop longue : la mise en jeu de la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L141-1 du COJ et dont le succès reposera, rappelons-le, sur la démonstration d’un déni de justice ou d’une faute lourde de l’État, c’est-à-dire une faute qui démontre son incapacité à assurer le fonctionnement normal du service public de la justice.

L’ouverture de ce recours est une nouveauté. En effet, l’article L641-9 du code de commerce précise bien que « Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. » Par un arrêt du 12 juillet 2004, la Cour de cassation avait estimé que l’action dirigée contre l’État pour faute lourde – revêtant un caractère patrimonial susceptible d’affecter les droits des créanciers – entrait dans les prévisions de cet article. Or, dans sa jurisprudence de 2011, la Cour européenne des droits de l’Homme avait sanctionné la France sur le fondement de l’article 13 de la Convention garantissant le droit à un recours effectif en cas de violation des dispositions de la convention. Dans ces conditions, la jurisprudence française de 2004 était condamnée et la Cour de cassation se voyait ainsi contrainte de faire basculer cette action dans le domaine des « droits propres » du débiteur, notion englobant les prérogatives réservées au débiteur et notamment celles ayant trait aux droits fondamentaux, comme ici celui d’invoquer une violation de la CESDH.

B – Une évolution attendue, mais à la portée incertaine.

La Cour de cassation a donc a priori réussi un numéro d’équilibriste entre d’une part la lenteur « traditionnelle » des procédures collectives françaises et d’autre part les exigences de célérité posées par la CEDH. Pourtant, deux considérations semblent devoir troubler la portée pratique de cet arrêt.

En premier lieu, on peut s’interroger sur les chances de succès de l’éventuel recours en responsabilité dirigé contre l’État et ce en raison de la nature de l’examen qui en sera fait. En effet, si les enjeux pour le débiteur tourneront nécessairement en sa faveur, cet élément sera certainement contre-balancé, non seulement par la difficulté de réaliser certains actifs (on pensera notamment aux sites pollués), mais aussi et surtout par le comportement du débiteur. Ainsi en l’espèce il était fait état du comportement « dilatoire à l’extrême » du débiteur. A priori, il est difficilement envisageable de voir un débiteur de mauvaise foi bénéficier des deniers publics à titre de réparation... mais ce serait sans compter sur la sévérité de la CEDH qui, dans les arrêts de 2002 et 2011, s’est montrée très peu réceptive lorsque le gouvernement français pointait du doigt la mauvaise foi des débiteurs. Ainsi, la sanction proposée par cet arrêt du 16 décembre 2014 semble être devoir fatalement critiquable, qu’elle ait peu de chance de succès ou qu’elle permette d’enrichir un débiteur douteux.
En second lieu, la solution apparaît cantonnée aux hypothèses – certes très nombreuses – où la liquidation a été prononcée avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mars 2014. Rappelons en effet que celle-ci modifie l’article L643-9 du code de commerce pour ajouter aux cas d’insuffisance d’actif ou d’extinction du passif des causes de clôtures anticipées : « lorsque l’intérêt de cette poursuite est disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels » ou par la désignation d’un « mandataire ayant pour mission de poursuivre les instances en cours et de répartir, le cas échéant, les sommes perçues à l’issue de celles-ci lorsque cette clôture n’apparaît pas pouvoir être prononcée pour extinction du passif. »

Dimitri Seddiki.