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Redressement judiciaire : l’indication d’une date de cessation de paiement erronée au BODACC empêche le délai de tierce-opposition de courir. Par Dimitri Seddiki.
Parution : mercredi 4 mars 2015
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Si cette indication n’est pas obligatoire, lorsqu’elle figure dans l’insertion, elle doit être exacte.

« S’il ne résulte pas [des] textes que l’avis du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire inséré au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales doit mentionner la date de cessation des paiements que ce jugement fixe, l’indication de cette date, lorsqu’elle figure dans l’insertion, doit être exacte. »
(Cassation, Commerciale, 27 janvier 2015, n°13-24619)

Déjà largement affectés par l’ouverture de la procédure collective de leurs débiteurs, il n’est pas question de voir les créanciers subir en plus les erreurs commises dans son déroulement.
Illustration avec cet arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 2015 où, en l’espèce, une banque consentait le 10 juin 2008 à une société un prêt destiné à financer l’acquisition d’un fonds de commerce. Son remboursement était garanti, le 21 avril 2010, par l’inscription d’un nantissement sur le fonds. Par jugement du 16 août 2010, la société était placée en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er avril 2010. Toutefois – par erreur – l’avis du jugement inséré le 29 août suivant au BODACC mentionnait la date de cessation des paiements au 11 octobre 2010. Plus tard la banque déclarait au passif de la procédure sa créance privilégiée. Après conversion de la procédure en liquidation judiciaire, le liquidateur assignait la banque en annulation du nantissement. Le 22 décembre 2011, la banque formait tierce opposition au jugement d’ouverture.
Pour déclarer irrecevable ce recours, une Cour d’appel retenait que, si la date de cessation des paiements mentionnée dans l’avis inséré au BODACC était erronée, le code de commerce n’imposant pas cette mention en cas de redressement judiciaire, il devait être considéré que cette erreur, portant sur un élément non obligatoire de la publication, n’affectait pas la validité de celle-ci, de sorte que le délai de dix jours pour former tierce opposition avait couru dès la publication du jugement, le 29 août 2010.

La date de cessation de paiement insérée dans l’avis de jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire peut-elle être opposée au créancier formant tierce opposition alors même qu’elle est erronée ?

I – La date de cessation de paiement, élément doublement déterminant pour le créancier.

A – Une condition de validité du nantissement.

Objet premier de l’attention du législateur en 1985, le sort des créanciers a été relégué au rang de considération subsidiaire par la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005. Il suffit pour s’en convaincre de constater que les créanciers chirographaires n’ont, en pratique, quasiment aucune chance de recouvrer leur créance. Dans ces conditions, on comprend l’importance pour le créancier de se ménager un sort plus favorable, ce qui peut passer – comme en l’espèce – par la constitution d’un nantissement. Le demandeur au pourvoi (la banque) avait tout intérêt à conserver le bénéfice de ce mécanisme qui lui aurait permis, dès prononcé de la liquidation, d’exercer son droit de poursuite individuelle si le liquidateur n’ entreprenait pas la liquidation du fonds de commerce sous trois mois (art L643-2 com). Ensuite la banque aurait éventuellement pu obtenir un paiement provisionnel (art L643-3 com).
Problème pour la banque : le nantissement a été constitué postérieurement à la (véritable) date de cessation de paiement (il aurait été valable au regard de la date erronée). Or, la loi sanctionne d’une nullité automatique le nantissement constitué après la date de cessation de paiement (art L632-1), sanction qui était justement sollicitée par le liquidateur...

B – Une condition de l’intérêt de la tierce opposition.

Certainement consciente que son nantissement ne tenait plus à grand chose et qu’elle se retrouverait – aux moments des distributions de la liquidation – au rang peu enviable des créanciers chirographaires, la banque va riposter en formant tierce opposition au jugement de conversion de la procédure de redressement en liquidation. Après tout, si la procédure doit se révéler impécunieuse, autant qu’il n’y ait pas de liquidation du tout... Rappelons que la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l’attaque et qu’elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit (art 582 CPC).
Pour déclarer ce recours tardif au regard du dépassement du délai de 10 jours à compter du prononcé de la décision (art R661-2), la Cour d’appel va estimer que, comme l’article R621-8 du code de commerce prévoyant les mentions de l’avis d’ouverture de la sauvegarde – rendu applicable au redressement par l’article R631-7 – n’impose pas l’indication de la date de cessation de paiement, l’erreur dans l’indication de celle-ci était sans incidence.

II – La nécessaire préservation de cet élément central.

A – L’exigence d’une date exacte en toutes circonstances.

Avant la révélation du caractère erroné de la date de cessation de paiement indiquée dans l’avis, la banque ignorait que son nantissement était menacé et n’avait donc – en apparence – aucun intérêt à exercer une tierce-opposition. En ce sens la conception des juges du fond, puisqu’elle aurait certainement amené des créanciers inquiets à engager des recours inutiles (et donc à exposer des frais), était difficilement tenable.
C’est pourquoi la Cour de cassation a recours à un attendu de principe pour affirmer que « s’il ne résulte pas [des] textes que l’avis du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire inséré au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales doit mentionner la date de cessation des paiements que ce jugement fixe, l’indication de cette date, lorsqu’elle figure dans l’insertion, doit être exacte. » Ainsi les juges du fond refusent de voir les créanciers subir les conséquences de l’erreur présente sur l’avis inséré au BODACC.
Par cette forme solennelle la Cour de cassation restitue à l’avis la plénitude de son rôle : celui-ci assure en effet le lien entre le jugement d’ouverture de la procédure collective et les personnes éventuellement intéressées par cette dernière. Il n’est pas, comme le laisser entendre la Cour d’appel, qu’une simple formalité portant des informations éventuellement vraies, éventuellement fausses.

B – La confiance des créanciers et l’accès au juge sauvegardés.

C’est une décision au service de la confiance et du droit au juge que rend ici la Cour de cassation.
D’abord parce qu’elle refuse que les créanciers soient victimes des erreurs tant des services chargés de la publicité – qui ont indiqué une date erronée – que du législateur qui, en ce qui concerne les mentions à indiquer dans l’avis relatif à l’ouverture d’un redressement judiciaire, renvoi au texte dédié à la sauvegarde, procédure collective dans laquelle le débiteur n’est pas en état de cessation de paiement, d’où l’absence de référence à la date de celle-ci.
Ensuite, elle évitera certainement que ne se dégrade un peu plus l’image sensible renvoyée par le droit des entreprises en difficulté aux créanciers, qui devraient être sidérés de voir leurs droits niés par ce genre d’erreur.
Enfin, et surtout, cet arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel donnant tout son sens à l’adage selon lequel un délai ne saurait courir contre une personne se trouvant dans l’impossibilité d’agir. Ainsi la Cour de cassation a t-elle refusé de transmettre une QPC critiquant l’encadrement de la déclaration de créance en relevant que celui-ci ne fait pas obstacle à la recevabilité d’une action en relevé de forclusion exercée après l’expiration du délai maximal d’un an par un créancier placé dans l’impossibilité d’agir pendant ce délai (Cassation, QPC, 5 septembre 2013). L’arrêt pourrait également être rapproché de la jurisprudence européenne qui considère qu’une interprétation trop stricte des délais d’actions internes sont susceptibles – selon la gravité de l’enjeu – de porter atteinte au droit fondamental d’accès au juge (CEDH, Labergère contre France, 2006).

Dimitri Seddiki.