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Je suis victime ou témoin de violences conjugales : que faire ? Julie Tonnard, Avocate.
Parution : jeudi 12 mars 2015
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La sensibilité internationale actuelle poussant à une vigilance particulière quant au respect des droits de l’Homme a permis de soulever de terribles difficultés juridiques en ce qui concerne la mise en place d’une protection suffisante pour les femmes - ou les hommes - victimes des violences conjugales.

Au commencement, un schéma idyllique, une passion souvent incomprise qui emporte un couple vers l’isolement.

Et c’est précisément cet isolement qui va profiter à l’auteur, afin d’asseoir son ascendant physique et/ou psychologique sur sa victime.

Les violences conjugales peuvent revêtir plusieurs formes et plusieurs degrés. Elles peuvent être physiques (coups avec ou sans objet, strangulations, séquestration), verbales (injures, menaces), psychologiques (humiliations, chantages affectifs, dépendance matérielle), sexuelles (agressions, viols).

Les violences psychologiques ont d’ailleurs été reconnues depuis une loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Elles sont visées et punies dans les conditions prescrites par les articles 222-33-2 et suivants du Code pénal.

Immanquablement la victime, annihilée, connaîtra alternativement la peur, la culpabilité, la perte de l’estime de soi, le stress l’enfermant ainsi dans un lien destructeur avec son bourreau.
Et c’est précisément dans ces conditions que les acteurs de la justice vont devoir aborder des considérations humaines complexes pour protéger, parfois malgré elle, une personne souffrant de ce « mal d’aimer ».

Étape 1 : En parler

C’est sans doute l’étape la plus difficile pour les victimes de violences conjugales car il s’agit de rapporter des propos graves à l’encontre de la personne qui partage son quotidien. Néanmoins, briser le silence est la seule solution pour faire cesser ces agissements.
De la même façon, si les soupçons de l’entourage peuvent se heurter à certaines hésitations, ces interrogations sont salvatrices car elles contribuent à prévenir des comportements déviants.

Étape 2 : Faire acter

Trop souvent, les cas de violences conjugales ne sont décelés que dans des circonstances tragiques. Pour cause, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint.

Aussi est-il essentiel, de dénoncer ces violences.

Pour une première démarche de femme ou d’homme victime, il est plus facile de se diriger d’abord vers un médecin.

Sans entrer directement dans l’appareil judiciaire, qui peut impressionner ou dissuader, un médecin sera attentif à votre état. Il constatera les blessures (physiques ou émotionnelles) et son certificat permettra d’évaluer l’ampleur des préjudices subis.

Pour l’entourage, il est tout aussi possible d’envisager le dépôt d’une main courante auprès de n’importe quelle gendarmerie ou commissariat. Sans conséquence, puisqu’elle n’engage pas la mise en œuvre de l’action publique (c’est à dire les poursuites pénales), elle permettra de mettre des mots et une date précise sur une situation pour, le cas échéant, de servir de preuve.

Un agent de police judiciaire ou un gendarme ne peut refuser de prendre une main courante ou même une plainte. Si cela est pourtant le cas, vous pouvez vous même écrire sur papier libre au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur de l’infraction.

L’écrit doit impérativement mentionner : votre état civil complet (nom, prénoms, adresse, date et lieu de naissance, nationalité, profession), le récit détaillé des faits (si possible datés), le nom de l’auteur présumé (l’auteur est dit présumé jusqu’à ce qu’un jugement définitif le déclare coupable des faits qui lui sont reprochés), nom et adresse des éventuels témoins (précisez impérativement si des enfants résident avec vous), et si vous possédez des documents attestant de votre situation (d’où l’importance de consulter un médecin, et de déposer des mains courantes).

Etape 3 : Vous protéger

Parce que rester c’est aussi prendre le risque de mettre votre vie ou celle de vos enfants en danger, il est essentiel de penser à vous protéger.

Que vous soyez victime ou proche de la victime, vous pouvez vous rapprocher de votre Mairie qui vous mettra en relation avec des services sociaux. Cette approche a une double utilité : elle permettra de signaler une situation à risque, et, le cas échéant, d’organiser votre départ en préparant les démarches nécessaires afin de bénéficier de différentes aides (aide au relogement, allocations familiales, assurance chômage si vous êtes contraint de quitter votre emploi…).

Aussi, si vous envisagez un départ, n’oubliez pas que certains détails peuvent vous faciliter les choses, notamment s’il est précipité : avertir les personnes qui peuvent vous venir en aide en cas d’urgence, apprendre par cœur leurs numéros de téléphone et convenir d’un code de communication avec elles (qui peuvent elles-mêmes avertir les services de police), informer les enfants sur la conduite à tenir, préparer un sac de départ (papiers importants, linge de rechange, clés).

Afin d’éviter que ce départ du domicile conjugal ne vous soit reproché, il est impératif de déposer plainte ou une main courante précisant les circonstances dans lesquelles vous avez été contraint(e) de quitter votre lieu de résidence.

Selon les situations, il est possible d’associer à sa plainte des mesures de protection immédiates à faire valoir auprès d’un Juge aux affaires familiales (JAF), sur votre demande, ou sur demande du Procureur de la République sous réserve de votre accord.

Il s’agit des articles 515-9 à 515-13 du Code civil.

Les mesures de protection peuvent découler de la saisine en urgence du Juge aux affaires familiales ou, la plupart du temps, d’une ordonnance de protection.

Afin d’assurer votre sécurité, il peut être ordonné : la dissimulation de votre nouvelle adresse, l’éviction du domicile du conjoint violent, l’interdiction de vous rencontrer ou de vous approcher, l’interdiction pour l’auteur de fréquenter certains lieux, une modification des modalités de l’exercice de l’autorité parentale et, le cas échéant, la fixation d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle pour couvrir les frais d’avocats et les éventuels frais d’huissier et d’interprète.

Afin de vous accompagner dans vos démarches judiciaires, il est fortement recommandé de prendre contact avec un avocat qui se chargera de représenter vos intérêts et éventuellement ceux de vos enfants.

Attention : le non-respect des mesures imposées par l’ordonnance de protection constitue un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 €.

Aussi, si vous êtes de nationalité étrangère, la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile dispose qu’ en cas de violences conjugales commises avant la délivrance du premier titre de séjour, « le conjoint étranger se voit délivrer une carte de séjour temporaire » (article L. 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Si vous disposez déjà d’un titre de séjour, la rupture de la communauté de vie en raison de violences conjugales, n’entraîne pas le retrait du titre de séjour. Son renouvellement peut vous être accordé sur le fondement des dispositions des articles L. 431-2 et 313-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Pour les femmes ou les hommes bénéficiant de l’ordonnance de protection, un titre de séjour d’un an portant la mention « vie privée et vie familiale » sans condition de vie commune est délivré ou renouvelé de plein droit.

Avec le dépôt de plainte, des mesures de protection d’ordre pénal pourront aussi être prononcées comme : l’obligation d’un suivi thérapeutique pour l’auteur, voire son placement en détention provisoire.

En définitive, si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, gardez en tête que vous n’êtes pas seul(e) ! Différents acteurs du domaine social ou de la justice sont spécialisés dans ce type d’intervention et sont formés pour vous venir en aide.

Des associations comme le CIDFF (Centre d’Information sur le Droits des Femmes et des Familles) sont également à votre écoute.

Pour rappel, l’auteur avéré de violences conjugales risque une peine allant d’un rappel à la loi pour une violence légère et isolée à la prison à perpétuité pour les cas les plus graves d’homicide volontaire (articles 222-7 à 222-33-2-1 du Code Pénal).

Au niveau national, une enquête prévue pour 2015, intitulée Violences et rapports de genre (VIRAGE) sur le modèle de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF), réalisée en 2000 par l’Institut de Démographie de l’Université Paris 1, aura pour but de mesurer les violences et évaluer les conséquences sur les victimes.

Ce projet de grande envergure a d’ores et déjà reçu le soutien financier du ministère des Droits des femmes, de la Caisse nationale des allocations familiales et de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité via le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance et concernera 25 000 personnes (12 500 femmes et 12 500 hommes), âgées de 20 à 69 ans.

Julie TONNARD, Avocat à la Cour
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