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Le retour en force du règlement intérieur. Par Aurélie Van Lindt, Avocat.
Parution : jeudi 12 mars 2015
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Longtemps considéré comme obsolète, le règlement intérieur prend généralement la poussière au fin fond d’un tiroir. Son contenu strictement encadré par le Code du travail ne permet guère d’initiative de la part de l’employeur créant ainsi un certain immobilisme et une absence de création juridique.

Pourtant depuis quelques années, on constate une évolution de la jurisprudence qui se fonde de plus en plus sur le règlement intérieur (son contenu, ses formalités de publicité...) pour valider ou au contraire invalider une sanction prise par l’employeur.

1. En matière d’hygiène et de sécurité

L’article L 1321-1 du Code du travail dispose que : « le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur exclusivement les mesures d’application de la règlementation en matière d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement. ».

Sur ce fondement, une société de supermarché avait précisé au sein de son règlement intérieur que le personnel devait « veiller tout particulièrement à faire montre d’une présentation soignée ».

Manque à cette obligation, une salariée tenant un rayon libre service qui mâchait du chewing gum durant ses heures de travail et qui sera licenciée pour ce motif.

Chewing gum versus licenciement, le combat semblait à prime abord bien déséquilibré.

En effet, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, l’employeur doit faire preuve de discernement et se doit d’appliquer un principe de proportionnalité entre la faute commise et la sanction infligée.

Le combat semblait dès lors perdu d’avance pour l’employeur dont on pouvait estimer la sanction « sévère » pour un simple « mâchouillage » de chewing gum.

Pourtant, la Cour d’appel de Toulouse validait le licenciement prononcé estimant que la salariée en refusant de jeter son chewing gum avait commis une violation caractérisée et réitérée de ses obligations contractuelles [1].

Sur cette même thématique, il sera observé la rigueur juridique de la Cour de cassation au mépris des considérations d’équité et de moralité.

Dans un premier arrêt du 2 mars 2011 [2], une salariée, hôtesse de caisse, était sortie du magasin où elle travaillait par une caisse fermée avec dans son cabas un lecteur DVD portable d’une valeur de 150 euros qu’elle avait pris en rayon et qu’elle n’avait pas payé. L’alarme s’était déclenchée au niveau des portiques amenant les services de sécurité à l’interpeller et à examiner le contenu de son sac.

Constatant le vol réalisé et avoué par la salariée (qui changeait de version par la suite), l’employeur décidait de la licencier pour faute grave.

La mesure va être censurée par la Cour de cassation qui constatait que l’employeur n’avait pas respecté les dispositions du règlement intérieur s’agissant des vérifications des objets transportés et de la fouille des personnes.

En effet, le règlement prévoyait que la vérification devait se faire par le Directeur, en présence d’un tiers appartenant à la société ou d’un représentant du personnel.

Or, en l’espèce, la fouille du sac de cette caissière avait été réalisée uniquement par les agents de la sécurité du magasin suite au déclenchement des alarmes. Dans ces conditions, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

Dans un second arrêt du 14 janvier 2015 [3], un employeur voit écarter la faute grave du licenciement qu’il a prononcé à l’encontre de son salarié chauffeur de poids lourds pour lequel l’éthylotest anti démarrage et le test d’alcoolémie se sont révélés positifs au motif que l’employeur ne justifiait pas d’un affichage conforme aux dispositions légales.

L’employeur, agissant en vertu de son obligation de sécurité de résultat, se voit ainsi sèchement sanctionner par la Cour de cassation.

2. La discipline

L’article L 1321-1 précité de poursuivre que « le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur fixe exclusivement les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur. »

Dans un arrêt du 26 octobre 2010 [4], la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en transformant le pouvoir disciplinaire de l’employeur en un droit disciplinaire car l’employeur, via cet arrêt, se trouve désormais privé de sa liberté d’agir.

En effet, dans cet arrêt, la Cour de cassation juge pour la première fois qu’une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par le règlement intérieur.

Dans un second temps, et pour la première fois, la Haute juridiction vient préciser qu’une mise à pied disciplinaire prévue par un règlement intérieur n’est licite que si ce dernier précise sa durée maximale.

Dans un arrêt récent du 7 janvier 2015 [5], la Cour de cassation précise que l’absence de mention de la durée maximale de la mise à pied conservatoire au sein du règlement intérieur ne peut être suppléée par une telle mention visée au sein de la convention collective.

A vos crayons, tablette, ordinateur et autres pour compléter vos règlements intérieurs qui ne comporteraient pas de durée maximale à la mise à pied disciplinaire. A défaut d’une telle précision, une telle sanction est nulle.
La rédaction du règlement intérieur peut également avoir des répercussions non négligeables en matière de procédure disciplinaire.

Il est classiquement acquis (et reconnu par le Code du travail) qu’un avertissement n’a en lui-même aucune incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la carrière ou la rémunération du salarié. Dans ces conditions, l’employeur n’est pas tenu de convoquer à un entretien préalable le salarié pour lequel il envisage un avertissement [6].

Il en va toutefois autrement lorsqu’une clause du règlement intérieur prévoit que le salarié ne pourra être licencié que s’il a auparavant fait l’objet d’une ou plusieurs sanctions de moindre importance telles que des avertissements.

Dans un arrêt du 3 mai 2011 [7], la Cour de cassation juge qu’en subordonnant le licenciement d’un salarié à l’existence de deux sanctions antérieures, le règlement intérieur a institué une garantie de fond laquelle implique alors que l’avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l’entreprise.

Par voie de conséquence, le salarié aurait du être convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel avertissement. A défaut, le salarié peut en solliciter l’annulation et par voie de ricochet le licenciement qui serait intervenu après deux sanctions...

Il convient de noter que la Cour de cassation raisonne par analogie au vu de clauses de conventions collectives posant de telles garanties telle que la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées de 1966, ou la convention collective en sucrerie, en sucrerie distillerie et en raffinerie.

La Cour est venue toutefois préciser qu’une telle garantie ne joue qu’en cas de licenciement pour motif disciplinaire [8].

En conclusion :

La lecture de ces quelques décisions de justice montre l’attrait accru du règlement intérieur dans les litiges individuels dont l’un des plus médiatiques a été l’affaire Baby loup qui portait sur le licenciement pour faute grave d’une salariée d’une crèche qui, à son retour de congé parental, décidait de porter le voile islamique.

Le licenciement était fondé sur les dispositions du règlement intérieur qui, au titre des règles générales et permanentes relatives à la discipline au sein de l’association, prévoit que le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’applique dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche.

Après moult rebondissements, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin 2014 [9] validait le licenciement pour faute grave de la salariée en estimant que la clause du règlement intérieur était suffisamment précise, justifiée et proportionnée.

Cette décision renforce ainsi le contenu du règlement intérieur et clos le litige devant les juridictions françaises. Toutefois, l’affaire n’est pas close car la salariée aurait fait entendre qu’elle entendait soumettre son litige devant la cour européenne des droits de l’Homme.

Aurélie VAN LINDT Avocat au Barreau de LILLE

[1CA Toulouse 19/11/10, n°09-4560.

[2Cass.soc., 09-68546.

[3CA Rennes, 14/01/15, n°14-00618.

[4n°09-42740.

[5n°13-15630.

[6jurisprudence constante Cass.soc., 19/01/89, n°85+46575 ; Cass.soc., 20/04/89, n°86-43661.

[7n°10-14104.

[8Cass.soc., 22/06/11, n°09-42697.

[9n°13-28369.

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