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Le recours aux avocats par l’Etat vu par la Cour des comptes. Par François Gorriez.
Parution : vendredi 20 mars 2015
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La Cour des comptes a publié un rapport intitulé "Le recours par l’Etat aux conseils extérieurs". C’est l’occasion pour la Cour de se pencher sur la manière dont les services juridiques sont commandés et utilisés par l’Etat.

La Cour des comptes a rendu public, le 12 mars 2015, un rapport sur le recours par l’État aux conseils extérieurs concernant les années 2011, 2012 et 2013.

Les conseils extérieurs sont les personnes, privées ou publiques, qui délivrent à l’administration des prestations intellectuelles « dans lesquelles la part de conseil est supérieure à celle de service ». Cette notion recouvre plusieurs réalités différentes allant des conseils stratégiques d’une agence de communication aux traitements d’un contentieux fiscal par un cabinet d’avocats.

Avec 40 millions d’euros dépensés sur trois ans, les dépenses d’avocats constituent un des premiers postes de dépenses de l’Etat en matière de conseils extérieurs. Ces dépenses s’élèvent à 8 millions d’euros par an pour le ministère des Finances au titre du traitement des contentieux devant les juridictions judiciaires. Au travers de l’Agence des participations de l’Etat (APE), l’Etat actionnaire dépense en moyenne 6 millions d’euros par an pour l’assister dans la mise au point d’opérations capitalistiques.

Le rapport de la Cour des comptes nous apprend que les conseils juridiques peuvent être de natures variées.

Les avocats interviennent pour représenter l’Etat, notamment l’Agent judiciaire de l’Etat ou la Direction générale des finances publiques, devant les juridictions auprès desquelles le ministère d’avocat est requis.

Le traitement des « contentieux de masse » devant le juge administratif, tels que le contentieux des étrangers et le reclassement des salariés de La Poste et France Télécom, peut également être confié aux avocats. Le rapport précise que la prise en charge de tels contentieux par l’administration « n’apporterait qu’une faible valeur ajoutée et conduirait à dégrader par ailleurs la qualité du service ».

Le recours aux avocats par l’Etat se justifie aussi par la nécessité de lui apporter une expertise spécifique. Il en est ainsi des conseils juridiques fournis au titre de certains projets de grandes ampleurs telles que des opérations financières majeures. Le coût des prestations juridiques pour la restructuration de Dexia s’est par exemple élevé à 1,6 millions d’euros. Les avocats interviennent particulièrement au titre des projets d’infrastructures ou pour fournir des consultations sur des sujets précis.

Les avocats peuvent être appelés par l’Etat pour assurer la protection fonctionnelle des agents publics, l’administration devant en effet prendre en charge, sous certaines conditions la défense d’agents poursuivis dans une procédure liée à une faute de service. Le rapport évoque sur ce point la somme de 1,3 millions d’euros pour la défense d’un agent de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) mis en cause pénalement à la suite de l’accident du Concorde en 2000.

C’est pour acheter de la mémoire que l’Etat a parfois recours aux avocats. Il en est ainsi pour le droit des privatisations pour lequel l’APE a « fréquemment » recours à « un » avocat l’ayant assisté dès le début des années 1980. Le rapport souligne la relation de dépendance dans laquelle s’est placée l’administration. L’achat de mémoire se justifie par l’absence de capitalisation des connaissances par l’Etat, associée à une forte rotation des effectifs conduisant à ce que certains avocats aient une meilleure connaissance que l’administration de ses propres procédures.

L’analyse de la manière dont l’Etat fait appel aux avocats conduit la Cour des comptes à tirer plusieurs conclusions.

Tout d’abord, l’administration semble mobiliser de manière trop insuffisante ses compétences internes. Par exemple, malgré l’existence de la Mission d’appui aux partenariats public-privé (MAPPP), l’Etat a souvent recours aux services de cabinets d’avocats pour l’accompagner dans la conclusion de PPP. Il en a été ainsi de la Direction générale de l’armement dans le cadre d’un partenariat au profit de l’Ecole de l’air à Dax et cela contre l’avis de la MAPPP.

La Cour des comptes souligne ensuite l’absence de mutualisation des achats, précisant : « alors que les prestations commandées sont très proches et les cabinets recrutés identiques, chaque direction conclut des marchés de façon séparée ».

De surcroît, les auteurs du rapport relèvent l’absence de mise en concurrence systématique, dénonçant la conclusion de contrats de gré à gré par la Direction générale des douanes et des droits indirects et la DGAC pour des montants pouvant atteindre 4,74 millions d’euros.

Enfin, la Cour des comptes remarque la nécessité de renforcer l’encadrement déontologique relatif aux recours aux avocats. Il est en effet possible que, pour certains marchés caractérisés par le faible nombre d’acteurs et d’experts, l’Etat soit conseillé par un avocat ayant entretenu des relations d’affaires avec un ou plusieurs candidats. La Cour cite l’exemple des concessions d’autoroutes.

Ce rapport sur le recours par l’État aux conseils extérieurs démontre que l’avocat reste un acteur indispensable de la mise en œuvre effective des politiques publiques. Bien que plusieurs carences soient mises en exergue par la Cour des comptes, il semble que celles-ci, ayant pour origine des raisons structurelles, ne pourront s’effacer à court terme. Il est en effet difficile, voire impossible, pour l’administration d’acquérir rapidement certaines compétences juridiques pointues, de mobiliser une mémoire qu’elle n’a plus ou encore de mutualiser l’achat juridique dans un cadre interministériel.

Avant toute idée de réforme des modalités de recours aux avocats, l’Etat doit pouvoir se doter des capacités de recensement de ses expertises et de mise en place de dispositifs de préservation de la mémoire, de capitalisation et de partage des connaissances.

La Cour des comptes n’insiste d’ailleurs pas sur l’urgence d’une éventuelle réforme, précisant que du « point de vue strictement budgétaire, les dépenses de conseil extérieur (environ 150 millions d’euros) ne représentent pas un enjeu de premier ordre pour les finances publiques ». De surcroît, le contexte de diminution des effectifs ne va pas dans le sens d’une diminution du recours aux conseils extérieurs.

Lien vers le rapport de la Cour des comptes : https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Le-recours-par-l-Etat-aux-conseils-exterieurs

François Gorriez Twitter: @fgorriez