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Procédures collectives : possibilité de revendiquer le meuble incorporé à un immeuble. Par Dimitri Seddiki.
Parution : jeudi 26 mars 2015
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Même incorporé à un immeuble, un bien meuble peut faire l’objet d’un action en revendication à condition que la séparation puisse s’opérer sans dommage. ( Cass, Commerciale, 10 mars 2015, n°13-23.424)

Une société placée en redressement judiciaire voyait l’un de ses fournisseurs revendiquer les éléments de cuisine professionnelle vendus, avec réserve de propriété, pour l’exploitation de son restaurant et dont le prix était demeuré partiellement impayé. Une Cour d’appel avait fait droit à cette demande.

Formant un pourvoi en cassation, la débitrice va faire valoir que, par principe, l’immobilisation par destination du mobilier affecté au service et à l’exploitation du fonds doit s’opposer à l’exercice d’une action en revendication. Or, selon elle, la revendication portait sur des éléments de cuisine professionnelle nécessaires à l’exploitation du fonds de commerce de restaurant, ce dont il résultait que ces matériels constituaient des immeubles par destination par l’effet de la loi, d’où l’impossibilité de l’action.

L’action en revendication est-elle ouverte s’agissant d’un meuble incorporé à un immeuble ?

Pour répondre par l’affirmative et écarter cet argument, la Cour de cassation va souligner qu’en matière de revendication la notion d’immobilisation par destination est indifférente (I) mais cassera tout de même l’arrêt sur la question de la séparation sans dommage des biens (II).

I – La possibilité de revendiquer une immobilisation par destination.

A – L’action en revendication, mécanisme étroitement lié à la notion de biens meubles.

L’action en revendication, encadrée par l’article L624-16 du Code de commerce lui-même inséré dans une section dénommé « Des droits du vendeur de meubles, des revendications et des restitutions » est un outil au service de la détermination du patrimoine du débiteur placé en procédure collective en permettant au tiers propriétaire d’un bien de récupérer celui-ci entre les mains du débiteur placé en procédure collective. Concrètement il appartiendra à ce tiers – généralement un fournisseur – de démontrer qu’il était, à l’ouverture de la procédure, toujours propriétaire de biens meubles se retrouvant en nature dans le patrimoine du débiteur.
Sur ce rappel, l’argumentaire de la société débitrice semblait évident. L’article 524 du Code civil – inséré dans un chapitre dénommé « Des immeubles » – et modifié par la loi du 16 février 2015 énonce en effet que « Les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination. » A titre d’exemple, le texte évoquait – avant la réforme – les pigeons des colombiers ou les lapins des garennes... Plus en phase avec l’arrêt commenté, la jurisprudence a admis de longue date que le mobilier et le matériel d’un hôtel constituait une immobilisation par destination [1].

Ainsi la débitrice souhaitait faire reconnaître le matériel revendiqué, étant une immobilisation par destination, et donc soumis à ce titre au régime des biens immobiliers, ne serait se voir appliquer un mécanisme prévu spécifiquement pour les meubles.

B – … et ce malgré une incorporation à un immeuble.

L’article L624-16 du Code de commerce dispose, en son troisième alinéa : « La revendication en nature peut s’exercer dans les mêmes conditions sur les biens mobiliers incorporés dans un autre bien lorsque la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu’ils en subissent un dommage. »
A la lecture de ce texte, il pourra difficilement être reproché à la Cour de cassation d’avoir rejeté l’argument du débiteur en soulignant que la disposition « se réfère pas à la notion d’immobilisation par destination. » En d’autres termes, si l’argument de la débitrice est rejeté c’est parce que le Code de commerce n’opère aucune distinction selon que le meuble revendiqué soit incorporé soit dans un autre meuble (et conserve donc son statut juridique de meuble), soit attaché à un immeuble (et devient donc juridiquement un immeuble par destination).

La solution est parfaitement logique. En effet puisque l’immobilisation par destination est supposée suivre l’immeuble auquel elle est attachée, admettre une solution contraire reviendrait à faire de la débitrice – propriétaire du fonds exploité – le propriétaire des biens revendiqués et ce malgré l’existence d’une clause de réserve de propriété.

II – Le risque de dégradation du support, seul véritable obstacle à l’action.

A – Reconstituer les patrimoines respectifs sans les altérer.

En écartant l’argument tiré de l’incorporation du meuble revendiqué à un fonds exploité par l’entreprise débitrice, la Cour de cassation a donné toute sa plénitude à l’action en revendication : tout bien meuble, peu importe à quoi il se trouve attaché, peut être revendiqué.

Toutefois, les tiers propriétaires devront rester vigilants. En effet, l’article L624-16 du Code de commerce précise, en son troisième alinéa, que la séparation des biens doit pouvoir s’effectuer sans que ceux-ci ne subissent de dégradation. Ce critère déterminant de l’action en revendication est particulièrement sensible en ce qu’il est hautement dépendant des circonstances dans lesquels le bien a été incorporé, l’arrêt n’apportant donc sur ce point aucun enseignement utile.

Selon Françoise Perochon il faudrait – pour anticiper le succès de l’action – évaluer s’il risque ou non de résulter de la séparation des biens une « altération matérielle marquée » du bien. En vérité, plus que l’état matériel des biens en cause, c’est leur valeur vénale qui semble devoir être préservée. En effet la Cour de cassation a pu juger que « dès lors que les éléments livrés étaient aisément démontables dans l’immeuble auquel ils n’avaient été fixés que pour remplir leur fonction industrielle ou commerciale et sans que leur adjonction ou suppression entraînât la dépréciation de cet immeuble, il pouvait être jugé que le matériel se retrouvait en nature » ( [2]. Ainsi, on pourrait s’interroger sur le caractère absolu de la nécessité de préserver un support vétuste et sans valeur.

B – Le tiers propriétaire, débiteur de la charge de la preuve.

Bien que le problème juridique traité par la Cour de cassation dans cet arrêt ait trait au droit des entreprises en difficulté, c’est via une notion classique du droit civil que l’arrêt d’appel est cassé.

Ainsi, au visa de l’article 1315 du Code civil et de l’article L624-16 du Code de commerce, la haute juridiction va reprocher aux juges du fond d’avoir inversé la charge de la preuve en ce qu’ils ont estimé qu’il incombait à la société débitrice de prouver que le bien revendiqué ne pouvait être séparé de son support sans infliger des dégradations à ce dernier. Selon la Cour de cassation c’est donc sur le propriétaire – demandeur à l’action – que pèse la charge de cette preuve. Cette solution pourrait amoindrir les chances de succès de l’action, ou tout au moins la compliquer. En effet, ce sera la plupart du temps le débiteur qui aura décidé de l’incorporation du bien revendiqué dans un autre et qui aura procédé à celle-ci. Le tiers propriétaire se verra alors fréquemment contraint de passer par la voie du constat ou de l’expertise avant d’espérer pouvoir récupérer son bien.

A vrai dire – et bien qu’elle malmène de façon évidente les textes – la solution de la Cour d’appel pouvait apparaître plus équilibrée : au tiers la charge de la preuve de son droit de propriété, au débiteur la charge de riposter en démontrant que le bien incorporé ne peut être retiré sans dégradation pour son propre patrimoine. Mais – et comme il est classique en droit des entreprises en difficulté – les intérêts du créancier s’effaceront une nouvelle fois devant les exigences d’une procédure collective acquise à la préservation du débiteur.

Dimitri Seddiki

[1Paris, 28 nov. 1935.

[2Com. 17 mars 1998.