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Disproportion du cautionnement. Point sur la jurisprudence récente. Par Dimitri Seddiki.
Parution : vendredi 3 avril 2015
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2015 semble devoir marquer le retour au premier plan de la question du cautionnement disproportionné. Retour sur trois arrêts récents.

Selon le dictionnaire Larousse le terme « sûreté » désigne le caractère précis, efficace de quelqu’un ou de quelque chose, sur lequel on peut compter d’une façon certaine.
Le cautionnement est une sûreté. Le rappeler semble a priori malvenu tant cela est sensé être une évidence mais, de temps à autre, des « vagues » de jurisprudences viennent illustrer la façon dont les cautions s’engouffrent dans les failles du mécanisme pour tenter d’échapper à leur engagement.

Dans les années récentes les praticiens ont ainsi pu observer des cautions se jeter sur la rigueur de la Cour de cassation quant aux exigences d’exactitude dans le recopiage des mentions requises à titre de validité par le Code de la consommation, véritable bénédiction pour les garants. Ce mouvement prenait lui-même la suite d’une autre « mode », celle consistant à invoquer l’article 2314 du Code civil qui permet à la caution d’être déchargée lorsque, par le fait exclusif du créancier, un avantage particulier pour le recouvrement de la créance de contribution dont aurait dû bénéficier la caution a été perdu.

Alors que nous voici à peine arrivés en avril, il semble que ce soit une troisième échappatoire qui fera l’actualité du cautionnement en 2015 : la disproportion de l’article L341-4 du Code de la consommation.

Rappelons que c’est en 1989 (avec la loi Neiertz) que ce mécanisme protecteur a été introduit. Alors limité aux hypothèses de crédit à la consommation, il fera l’objet d’une première extension en 1997 avec l’arrêt Macron de la Cour de cassation qui affirmait la responsabilité contractuelle du créancier bénéficiant d’un cautionnement manifestement disproportionné au regard des biens et revenus de la caution. Cette généralisation du domaine de prise en compte de la disproportion était finalement consacrée par la loi Dutreil du 1er août 2003 qui prenait toutefois soin de substituer à la responsabilité contractuelle une inefficacité complète du cautionnement.

Art. L. 341-4 conso : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.  »

Trois arrêts récents apportent des précisions sur le régime du mécanisme :

1 – La considération des autres engagements de caution dans l’évaluation de la disproportion.

Cassation, Civile, 15 janvier 2015, n°13-23-489.

Pour condamner une créance à assumer son engagement, une Cour d’appel avait affirmé l’absence de la moindre disproportion en retenant que le passif de son patrimoine n’était composé que de prêts immobiliers. Pour censurer cette position la Cour de cassation va affirmer que «  la disproportion doit être appréciée au regard de l’endettement global de la caution, y compris celui résultant d’engagements de caution.  »

Comme bien souvent, la Cour de cassation se montre particulièrement protectrice de la caution, et ce pour deux raisons.
En premier lieu – et comme il a toujours été – la jurisprudence dépasse la lettre du texte qui invite à ne considérer que l’actif du patrimoine de la caution pour apprécier une éventuelle disproportion.
Ensuite, et surtout, la Haute juridiction permet ici de prendre en compte les autres engagements de caution. Or, l’action des créanciers contre les cautions étant par principe subordonnée à la défaillance du débiteur principal, la caution tenue uniquement d’une obligation de couverture tant que cette défaillance n’est pas survenue ne peut véritablement se prévaloir d’un quelconque « endettement » à ce titre. De même, étant probable que les autres cautionnements soient eux-mêmes disproportionnés, voici que des dettes conditionnelles se servent mutuellement de cause d’inefficacité.

A contrario il sera rappelé que la jurisprudence est plus réticente à faire une interprétation souple de l’actif de la caution cette fois. Ainsi il existe une controverse entre la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation s’agissant des revenus attendus de l’opération financée. La chambre commerciale considère en effet que la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut pas être appréciée au regard de ces revenus escomptés. A l’inverse, la première chambre civile admet que l’appréciation souveraine des juges du fond des facultés financières du dirigeant-caution puisse être effectuée en considération des perspectives de développement de l’entreprise cautionnée.

2 – La banque n’a pas – sauf anomalie apparente – à vérifier les informations fournies par la caution.

Cassation, Com, 10 mars 2015 , n°13-15.867
+ Cassation, 1Civile, 18 février 2015 , n°13-26.265

Les établissements de crédit sont tenus – à l’égard des cautions et emprunteurs « non avertis » – d’une obligation de mise en garde quant aux risques d’endettement résultant de leur engagement de caution au regard de leurs capacités financières. Le préjudice résultant du manquement à cette obligation – la perte de chance de ne pas s’engager – est sanctionnée par la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque. Pour se prémunir d’une telle sanction, et puisque la jurisprudence exige une information personnalisée de la caution au regard de sa situation propre, les banques ont recours à des questionnaires remplis et signés par la caution.
La jurisprudence considère que la banque est en droit de se fier totalement aux informations fournies par la caution/l’emprunteur sur sa situation financière. Dès lors, et sauf anomalies apparentes, la banque peut considérer sur la base de déclarations mensongères que le cautionnement/prêt ne présente aucun risque pour son cocontractant et n’engagera donc pas sa responsabilité contractuelle.

Com, 23 septembre 2014, n° 13-14.241

Dans l’arrêt rapporté la Cour de cassation applique un raisonnement analogue à la question du cautionnement disproportionné. Ainsi, lorsque la caution a menti sur sa situation patrimoniale au moment de son engagement, faisant naître une apparence de proportionnalité, elle ne pourra, au moment où elle sera appelée, invoquer la disproportion de son engagement.

3 – Le caractère disproportionné du cautionnement paralyse l’action récursoire du cofidéjusseur et empêche ce dernier de se prévaloir du bénéfice de subrogation.

Mixte, 27 février 2015, n°13-13.709

Un gérant et son frère se portent tous deux cautions du remboursement de différents prêts consentis par une banque.

Le frère va se voir décharger de son engagement en raison de sa disproportion manifeste tandis que le gérant, assigné en paiement par la banque se défendra en reprochant à cette dernière de l’avoir privé de recours contre son cofidéjusseur.

Condamné en appel, le gérant va former un pourvoi en cassation en reprochant à la Cour d’appel de ne pas avoir considéré que la disparition – résultant de la disproportion – du recours contributif dont aurait dû bénéficier le gérant contre son frère constituait la disparition d’un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance de contribution, disparition devant être sanctionnée par la décharge du gérant.

Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation va affirmer que le caractère disproportionné du cautionnement paralyse l’action récursoire du cofidéjusseur et empêcher ce dernier de se prévaloir du bénéfice de subrogation de l’article 2314 du Code civil pour résister à la demande en paiement formée par le créancier.

Cette décision appelle deux remarques, tant elle est défavorable au cofidejusseur.
En premier lieu, la Cour de cassation apparaît résolument décidée à s’affranchir de la lettre de l’article L. 341-4 du Code de la consommation qui, en effet, n’envisage la disproportion que dans le rapport entre la caution personne physique et le créancier professionnel. Il convient alors de rapprocher cette conception du point 1 du présent commentaire.
En second lieu, concernant le bénéfice de subrogation cette fois, l’idée retenue par la Cour de cassation est que, puisque le cautionnement du frère du gérant était dès l’origine inefficace du fait de sa disproportion, le cofidejusseur n’a perdu aucun avantage particulier dans le recouvrement de sa créance de contribution du fait exclusif du créancier, ce dernier ne pouvant lui-même se prévaloir du cautionnement.

Quelles solutions pour le cofidéjusseur ?

Malgré la sévérité de la décision pour le cofidéjusseur, reste toutefois le fait que ce dernier a pu certainement s’engager dans la croyance que sa contribution à la dette serait moindre en raison de la présence d’un cofidéjusseur.
Semblent devoir alors s’ouvrir différentes actions pour le cofidéjusseur malheureux. L’erreur sur l’étendue de son obligation apparaît envisageable, tout comme le dol du cofidéjusseur qui lui aurait intentionnellement caché sa situation financière délicate ou, plus sérieusement envisageable, contre le créancier professionnel tenu de s’informer de la situation des cautions. (voir point 2)

Dimitri Seddiki
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