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Affaire X / DGFIP : sur la propriété du logiciel de l’administration fiscale, la réutilisation de données publiques et la communication du code source. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : vendredi 17 avril 2015
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L’ouverture des données publiques actuellement prônée par le gouvernement à travers notamment la création du site Data.gouv.fr encourage l’innovation économique et sociale tout en renforçant la transparence des actions publiques. Les objectifs de l’open data peuvent être ainsi mis en parallèle avec les mesures contenues dans la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public.

La question de la réutilisation des données publiques était justement l’objet de l’avis rendu sur le fondement de la loi de 1978 par la Commission d’accès aux documents administratifs le 8 janvier 2015 [1].

Un universitaire sollicitait dans le cadre de ses travaux de recherche en économie, la communication et la réutilisation auprès du directeur général des finances publiques du code source d’un logiciel utilisé pour la simulation du calcul de l’impôt sur le revenu. L’article 10 de la loi du 17 juillet 1978 lui ouvre en effet la possibilité d’une réutilisation des informations publiques.

L’administration fiscale oppose un refus à cette demande en invoquant les dispositions de la loi de 1978. Le demandeur saisit alors la CADA, autorité indépendante créée par la loi de 1978, chargée de rendre des avis sur les difficultés d’application de cette loi.

L’administration fiscale justifie son refus en précisant à la CADA que le code source du logiciel en question se compose de nombreux fichiers qui nécessitent de multiples interventions techniques afin d’être exploitables par l’intéressé.

Selon elle, la mise à disposition du code source du logiciel excèderait un « simple traitement automatisé d’usage courant » susceptible d’en produire une version compréhensible. Elle considère donc que le document sollicité n’existe pas en l’état et que la loi de 1978 ne lui impose pas de créer de nouveau document afin de répondre à une demande de réutilisation.

Il revient ici à la CADA de fournir un avis sur le point de savoir si une demande de communication d’informations publiques en vue de leur réutilisation, portant sur le code source d’un logiciel, entre dans les prévisions de l’article 1 et suivants de la loi du 17 juillet 1978, et de préciser le cas échéant les conditions de la réutilisation.

La communication du code source du logiciel par l’administration fiscale

De façon argumentée, la CADA va émettre un avis favorable à la demande de communication du code source du logiciel, utilisé par l’administration fiscale pour le calcul de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

La CADA va dans un premier temps définir et préciser la nature du code source du logiciel au regard de la loi de 17 juillet 1978. A cet égard, elle définit le code source d’un logiciel comme un ensemble de fichiers informatiques contenant des instructions destinées à être exécutées par un micro-processeur.

A partir de cette définition classique du code source d’un logiciel, la Commission va considérer que les fichiers informatiques constituant le code source du logiciel utilisé par l’administration fiscale dans l’exercice de sa mission de service public, revêtent le caractère de documents administratifs au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978.

L’article 1er vient préciser que constituent notamment des documents administratifs librement accessibles  : les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions… produits ou reçus de l’Etat, des collectivités et des personnes de droit public dans le cadre de leur mission de service public.

Le texte ne fait pas référence aux fichiers informatiques mais la liste qu’il prévoit n’est pas fermée puisque le législateur a utilisé l’adverbe « notamment » pour présenter quelques exemples de documents qui revêtent un caractère administratif. La Commission était donc libre de retenir une interprétation extensive de l’article 1er afin d’y inclure le code source d’un logiciel.

Ayant le caractère de document administratif, le code source du logiciel de l’administration fiscale a vocation à être communiqué à tout intéressé qui en fait la demande conformément à l’article 2 de la loi de 1978 : « les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ».

La Commission précise que la communication au demandeur du code source du logiciel peut se faire conformément à l’article 4 de la loi, par la délivrance d’une copie sur un support compatible avec celui que l’administration fiscale utilise. Le demandeur devra toutefois supporter les frais correspondant à la communication.

L’article 6 de la loi de 1978 qui prévoit une limite au droit de communication des documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la recherche par les services compétents des infractions fiscales et douanières, aurait pu justifier le refus opposé par l’administration fiscale à la communication du code source. Néanmoins, la Commission est venue préciser qu’en l’espèce la communication du code source du logiciel ne paraît pas porter atteinte à la recherche des infractions fiscales.

Le droit à la réutilisation du code source du logiciel

Le refus de communication de l’administration fiscale reposait en partie sur l’impossibilité matérielle à fournir des fichiers informatiques exploitables et sur les difficultés auxquelles le demandeur est susceptible de se heurter lors de la réutilisation de ces fichiers.

Toute en rappelant le droit à la réutilisation des informations publiques prévu à l’article 10 de la loi, la Commission retient le premier argument développé par l’administration fiscale. Elle considère en effet que lorsqu’un document n’existe pas en l’état et ne pourrait être obtenu que par une opération excédant un simple traitement automatisé d’usage courant, aucune obligation de créer un nouveau document ne peut alors reposer sur l’administration.

En revanche, la Commission va balayer le second argument relatif aux difficultés de réutilisation des fichiers informatiques par le demandeur. Peu importe ces difficultés de réutilisation, l’administration fiscale est tenue de communiquer le code source du logiciel dans l’état où elle le détient. La Commission estime qu’il ne revient pas à l’administration fiscale d’apprécier ces difficultés ou même l’impossibilité matérielle de la réutilisation des fichiers informatiques.

En adoptant cette position, la Commission entend conférer toute sa force au principe de la libre réutilisation des données publiques consacré par l’article 10 de la loi de 1978.

La CADA énonce enfin que le demandeur est libre de réutiliser les fichiers informatiques, non soumis à des droits de propriété intellectuelle en l’espèce, dans la mesure où il respecte les dispositions de l’article 12 de la loi relatives à l’interdiction d’altérer et de dénaturer les informations.

La CADA se prononce ici pour la première fois en faveur de la communication et de la réutilisation du code source d’un logiciel utilisé par une administration publique. La CADA avait toutefois émis un avis favorable à la communication du code source du programme informatique de recrutement et du calcul des résultats des candidats à un concours. (Avis n°20124254 du 06 décembre 2012, l’INSA). Il s’agissait néanmoins que de la simple communication et non d’une réutilisation du code source.

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [email->acheron@acbm-avocats.com]

[1Avis de la CADA n°20144578 8 janvier 2015, M.X c/ DGFIP.