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Fichage d’élèves présumés musulmans : tel est pris qui croyait prendre ! Par Philippe Riboulin, Avocat.
Parution : jeudi 7 mai 2015
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Les révélations de Monsieur Robert Ménard, maire de Béziers, sur le plateau de l’émission "Mots croisés" diffusée sur France 2 le lundi 4 mai sur le fichage des élèves des écoles maternelles et primaires de Béziers en fonction de leur appartenance supposée à une religion ne sont pas restées sans suite.

Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Monsieur Robert Ménard doit regretter de ne pas avoir appliquer ce proverbe avant de "s’auto-incriminer" en déclarant sur France 2 que 64,6 % des enfants sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles.

Suite à une interrogation légitime d’un téléspectateur sur Twitter qui se demandait bien comment le maire de Béziers tenait ces statistiques, ce dernier lui a répondu en affirmant qu’il s’agissait des chiffres de sa mairie et prenant le soin d’ajouter que le maire détient tous les noms, classe par classe, des enfants.

Même si comme dit l’adage "la plume est serve mais la parole est libre", de cet aveu, le délit de "tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique" semble constitué.

En effet, le régime de protection des données personnelles a été instauré par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée à de nombreuses reprises depuis.
Aux termes de l’article 2 de cette loi, "constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs élément qui lui sont propres".

L’article poursuit en définissant le fichier de données à caractère personnel comme un "ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés".

Sans conteste, le prénom et le nom d’une personne constituent des données à caractère personnel puisque, comme le prévoit le texte, elles lui sont propres.

En outre, le fait d’établir des listes au sein de fichiers recensant tous les enfants scolarisés au sein des écoles maternelles et primaires de la ville de Béziers (les collèges étant gérés par les départements et les lycées par les régions) constitue bien le fichier de données à caractère personnel prévu par l’article 2 de ladite loi (ensemble structuré et stable de données à caractère personnel).

Si ces précisions conduisent donc à l’application de la loi Informatique et libertés au cas présent, ce n’est pas tant la tenue d’un tel fichier qui pose problème mais plutôt les informations qui y figurent. En effet, en fonction du prénom de l’élève concerné, il sera répertorié par ladite liste comme musulman ou non.

Des dispositions spécifiques s’appliquent à certaines catégories de données, les données dites "sensibles" faisant notamment apparaître l’origine sociale ou ethnique de la personne. En effet, la collecte ou le traitement de telles données est interdit (article 8 de la loi).
Bien évidemment, inutile de préciser que le fichage tel que celui en cause n’entre dans aucune des exceptions à l’interdiction prévues au sein de ce même article 8 ou même que le consentement (ni d’ailleurs l’information) des personnes "fichées" n’a été obtenu.

C’est pourquoi l’infraction semble bien constituée puisque tant l’élément moral (volonté de commettre l’infraction) que matériel (la réalisation même du délit), éléments indispensables à la commission d’un délit pénal (article 121-3 du Code pénal), sont remplis.

Ces faits sont passibles de 300 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement. De surcroît, le gendarme des libertés individuelles, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) peut infliger des amendes aux responsables de ce genre de fichiers. Cette dernière, en tant qu’autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir disciplinaire, peut en effet infliger des amendes aux personnes (physiques ou morales) qui ne respectent pas les dispositions légales relatives aux données personnelles.

En outre, même si le texte ne le prévoit pas, le Tribunal lors d’un éventuel jugement pourrait prononcer des peines complémentaires comme par exemple une inéligibilité pour Monsieur Robert Ménard s’il estime que les faits qui lui sont reprochés sont incompatibles avec l’exercice d’un mandat électoral, quel qu’il soit.

Tout traitement de données à caractère personnel doit être déclaré au préalable à la CNIL. Naturellement, concernant le traitement et la collecte de données "sensibles", c’est le régime le plus contraignant, celui de l’autorisation préalable, qui s’impose.

Voilà de quoi relancer le débat qui fait rage entre la nécessité ou non de procéder à des statistiques faisant apparaître l’origine ethnique ou religieuse des individus, pratique légale dans certains pays comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne pour ne citer qu’eux...

Maître Philippe Riboulin
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