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De l’effet des décisions de la Cour de cassation sur la relation client-avocat. Par Brigitte Bogucki, Avocate.
Parution : mardi 16 juin 2015
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Ces dernières années les décisions se sont multipliées concernant la responsabilité des avocats, avec des conséquences sur nos charges, nos honoraires et notre relation client.

Nos clients attendent notre soutien et notre compétence ainsi que la légitime information qui leur est dûe sur leurs droits et les risques inhérents à leur situation.

Depuis plusieurs années, la Cour de cassation a statué à de nombreuses reprises mettant en cause la responsabilité civile professionnelle d’avocats considérés comme n’ayant pas suffisamment informé leurs clients.

Une décision du 15 mai 2015, de la première chambre de la Cour de cassation a cassé un arrêt d’appel qui rejetait la responsabilité de l’avocat.
Dans cette affaire, la Cour avait, dans un premier arrêt, demandé au prévenu de produire des documents complémentaires que celui ci n’avait cependant pas fourni. Il a donc été condamné à payer diverses sommes.
Il a alors assigné son avocat, soutenant que ce dernier avait manqué à son devoir d’information et de conseil.
La Cour avait considéré que l’arrêt demandant les pièces était clair et que l’obligation de collaboration du client avec son avocat suffisait pour que celui-ci doive apporter les pièces demandées à son avocat, sans autre information ou acte nécessaire.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt considérant que l’avocat aurait dû mieux informer son client ou conclure pour tenter de l’exonérer de cette non remise de document.

Le fond de l’affaire est ici de peu d’importance, il en ressort que la Cour de cassation fait peser sur l’avocat une obligation de plus en plus forte d’information de son client sur les risques et conséquences de sa situation.
En parallèle, la jurisprudence met également à la charge de l’avocat la preuve de cette information.
En outre, la relation avocat-client doit toujours être basée sur la confiance...

Ressortent de ces jurisprudences conjuguées que les avocats, pour éviter toute responsabilité civile, doivent informer leurs clients par écrit, à répétition, tout au long de la procédure.
Cette obligation est le plus souvent rappelée par les Ordres puisque l’assurance responsabilité civile est ordinale et que la faute de l’un rejaillit nécessairement sur tous.

De cette situation juridique et jurisprudentielle ressortent deux conséquences qu’il semble que les juges aient largement omises : le renchérissement des procédures et la difficulté de conserver une relation de confiance entre l’avocat et son client.

Il est probable que les choses sont différentes dans les affaires non judiciarisées ou lorsque le client est une entreprise ou intervient dans un cadre professionnel et je ne saurais développer ce point que je connais mal.

Toutefois lorsque la procédure concerne le client à titre personnel et que l’affaire judiciaire en question le touche affectivement très profondément, cette jurisprudence a des conséquences souvent détestables.

Mon quotidien est le droit de la famille et, par sa nature même c’est le contentieux de l’affect. Nos clients arrivent en général très stressés, angoissés, leur vie entière est parfois en jeu, leur logement, leurs enfants...
Ils attendent de nous une compétence, une information et un soutien.

Bien entendu nous devons leur faire connaître les forces et les faiblesses de leurs dossiers et de leurs situations et tenter dans la mesure du possible de les amener à une attitude en phase avec la réalité judiciaire.

Mais il y a une différence entre apporter une légitime information et asséner à répétition à une personne angoissée des écrits lui faisant part des faiblesses de son dossier.

Or la Cour de cassation considérant que l’avocat doit faire la preuve non seulement d’une information mais que celle-ci soit suffisante (!!!), nous voici contraint de réitérer régulièrement les risques du dossier, par écrit pour en avoir la preuve...

"vous ne croyez pas à mon dossier !!!", "vous ne me soutenez pas !!!", "vous défendez qui, moi ou mon mari ???" sont des propos que l’on entend et cela n’est pas étonnant. La Cour de cassation aurait elle oublié que l’avocat est le défenseur ?

Alors nous sommes contraints, pour faire en sorte que la relation soit bonne, de passer de longs moments au téléphone ou au cabinet avec le client pour lui expliquer que ces écrits sont légalement nécessaires mais que cela n’empêche pas que nous sommes là pour les soutenir et pour faire tout notre possible pour que cette vision négative ne devienne pas réalité, dans la mesure du possible.

Or tous ces courriers, ces discussions avec le client prennent du temps et le temps dans nos cabinets c’est des charges donc des honoraires. Voici donc que cela renchérit nos honoraires, de même d’ailleurs que le montant de nos cotisations ordinales, prenant en compte la responsabilité civile, qui augmentent.

Et en parallèle les pouvoirs publics voudraient réduire nos honoraires, mais qui va prendre en charge ces obligations nouvelles ????

Nous sommes des entreprises, avec des salariés, et notre survie dépend de l’équilibre de nos finances, entre nos charges et nos revenus.

Alors par pitié sachons garder raison et cessons aussi de prendre nos clients pour des imbéciles ou des oies blanches.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com