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Urbanisme et intérêt à agir : le requérant a la faveur du Conseil d’Etat. Par Thomas Manhes, Avocat.
Parution : mercredi 17 juin 2015
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Par un arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d’Etat livre (enfin) son interprétation de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Faisant œuvre de souplesse, la haute juridiction propose ainsi aux parties de “dialoguer”.

En synthèse : le requérant "doit" justifier l’existence d’une affectation directe des conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien ; le défendeur "peut" contester l’intérêt à agir du requérant.

Pour mémoire, les conditions pour attaquer une autorisation d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager, etc.) se sont récemment resserrées pour le voisin au projet de construction.

Désormais, il faut justifier que "l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien".

La position du Conseil d’État était attendue sur cette question.

C’est désormais chose faite.

Le Conseil propose de fonctionner en trois temps.

  1. Le requérant qui conteste un projet doit faire état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que l’atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Les greffes des Tribunaux administratif veillent déjà à cette obligation et adressent des demandes de régularisation tendant à la justification de cette atteinte.
  2. Le défendeur -le pétitionnaire, voire l’autorité ayant délivré l’autorisation- peut apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité : photos, schémas, nature de l’activité, expertise, etc. La preuve est libre.
  3. Le juge forme sa conviction et écarte les allégations insuffisamment étayées, sans pour autant exiger du requérant la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque.

Au cas présent, le projet concernait l’installation d’une station de conversion électrique.

Les requérants sont situés à environ 700 mètres de la station.

Le Conseil d’État souligne tout d’abord le fait que :

« leurs habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants »

La visibilité d’un projet n’est donc pas suffisante pour apprécier l’atteinte aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien

Ensuite, les requérants faisaient état de nuisances sonores.

Le Conseil d’État se révèle plus attentif sur ce point :

« toutefois, [les requérants] font également valoir qu’ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu’ils contestent, à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances qu’ils subissent en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives ; qu’en défense, la société Eleclink, bénéficiaire de l’autorisation de construire, se borne à affirmer qu’en l’espèce, le recours à un type de construction et à une technologie différents permettra d’éviter la survenance de telles nuisances ; que, dans ces conditions, la construction de la station de conversion électrique [...] doit, en l’état de l’instruction, être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des maisons d’habitation des requérants »

Avantage au requérant donc, qui peut se contenter d’évoquer des nuisances sonores, quand bien même la technologie viendrait au secours de la quiétude du voisinage.

Il n’est toutefois pas certain que cette nouvelle grille de lecture offre aux praticiens une bonne prévisibilité dans leur analyse juridique des dossiers.

L’atteinte aux conditions d’occupation parait ici bien subjective -bruit- et varie selon les humeurs et susceptibilités de chaque requérant (odeur, vue, vibrations, santé, crainte, appréhension, etc.).

Le Conseil d’État s‘éloigne également de la position beaucoup plus objective de la Cour de cassation en matière de troubles de voisinage : pas de vue, pas d’intérêt à agir (C. Cass., 7 avril 2015, M. X… : n°14-12008).

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CE, 10 juin 2015, Madame C...A... c. préfet du Pas-de-Calais : n°386121

Avocat Chargé d\'enseignement UNIVERSITE GRENOBLE ALPES plus d\'infos sur actualitesdudroitpublic.fr