Village de la Justice www.village-justice.com

Projet de création d’un barreau OHADA : les raisons d’un échec programmé. Par Lionel Kalina Menga, Avocat.
Parution : jeudi 18 juin 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/projet-creation-barreau-ohada-les,19915.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le projet d’un Barreau OHADA unifié, porté par le Barreau de Paris et qui devait être présenté au Conseil des Ministre de l’OHADA tenu le 09 juin 2015 à Yamoussoukro, n’a finalement pas été examiné devant le rejet massif du projet par les avocats africains qui ont considéré cette initiative comme une OPA hostile du Barreau de Paris et des grands cabinets occidentaux sur le marché africain du droit des affaires.

Retour sur un échec programmé.

Les Barreaux Ivoirien et Béninois, se sont massivement mobilisés pour obtenir le retrait d’un projet de « Barreau OHADA » conçu par le Barreau de Paris que devait présenter Monsieur Pierre-Olivier Sur, son Bâtonnier, lors du Conseil des ministres des pays de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaire (OHADA) qui s’est tenu à Yamoussoukro le 9 juin 2015 ; Conseil des Ministres auquel était invité, Madame Christiane Taubira, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux de la République Française, venue spécialement soutenir la proposition du Barreau de Paris.

Finalement, devant la levée des boucliers suscitée par cette initiative, « Le conseil des Ministres a jugé inopportun l’examen de la proposition du Barreau de Paris de la création d’un Barreau de l’OHADA et a rejeté en l’état la demande d’intervention du Bâtonnier de Paris » pouvait-on lire dans le rapport final des travaux.

Dans le communiqué publié consécutivement par le Bâtonnier de Paris Monsieur Pierre-Olivier Sur, il a été rappelé que l’initiative ne serait pas du Barreau de Paris, mais de Monsieur Marcel Serekoise Samba, Président de la Cour Commune et d’Arbitrage de l’OHADA, qui souhaitait ainsi remédier à « la diversité des statuts des Barreaux, harmoniser la formation, les questions déontologiques et disciplinaires et améliorer la contribution des avocats à la bonne interprétation du droit unifié ».

En réalité, le projet d’harmonisation des Barreaux dans l’espace OHADA n’est pas une idée nouvelle. Cette idée, ce projet a été lancé pour la première fois dans un article que nous avions rédigé il y a 11 ans exactement, le 06 Janvier 2004, publié sous le titre « Plaidoyer pour l’harmonisation de la profession d’avocat dans l’espace OHADA ".

L’article fut publié en son temps, sur deux sites spécialisés : village de la justice et Ohada.com, (Doctrine).
Dans cette publication, nous avions abordé ces différents points qui semblent justifier aujourd’hui la démarche du Barreau de Paris, en proposant déjà à l’époque, une architecture et un contenu à ce projet.
A l’époque, nous y indiquions déjà, notamment au sujet de la diversité des statuts dans cet espace judiciaire commun que, « actuellement, le statut de la profession dans chaque Etat partie est défini par des lois nationales qui fixent chacune de leur côté, les conditions d’accès à la profession ».

Il s’ensuit, un manque d’homogénéité dans la formation et dans le statut de l’avocat peu compatible avec les notions d’égalité et de libre circulation dans cet espace judiciaire commun.
En réponse nous appelions de nos vœux les plus chers, à la mise en place d’un organe représentatif de la profession d’avocat à l’échelle de cet espace unifié.
Cette instance devait prendre, selon nous, la forme d’une « conférence des Barreaux de l’OHADA » regroupant tous les Bâtonniers nationaux des Etats-Parties. Ainsi il devait représenter la profession auprès de la cour et des autres institutions de l’OHADA.

Cette conférence devait également avoir pour rôle de définir, à l’échelle de l’espace commun, une politique propre au barreau destiné à promouvoir l’harmonisation juridique.
Cette instance, disions nous à l’époque, en tant qu’organe commun devait établir également un Règlement Intérieur Harmonisé destiné à coordonner, harmoniser les règles de la profession dans l’espace unifié.
Elle devait tenir à la disposition de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage un tableau des avocats inscrit dans les différents Barreaux des États parties, mis à jour annuellement.

En tant qu’organe commun, la conférence devait également avoir compétence pour trancher les différends pouvant surgir entre des avocats de pays différents, dans le cadre du contentieux du droit harmonisé.
Enfin dans le cadre de la dynamique d’harmonisation la conférence des Barreaux devait à terme prévoir la création d’un centre de formation qui devait dispenser une formation commune aux avocats des États membres.
Elle devait en outre délivrer une Certificat d’aptitude à la profession unifiée d’avocat dans l’espace OHADA et contribuer ainsi à la création d’un statut unique de l’Avocat dans l’espace OHADA.

Il est possible que les initiateurs du projet d’un "Barreau OHADA" aient lu notre article. Ne pas l’avoir lu serait une faute impensable, car comment envisager une telle initiative, sans s’être assuré préalablement des ressources disponibles sur la question ?

S’ils l’ont lu, hypothèse plus que vraisemblable, il semble malheureusement, qu’ils se soient arrêtés à ce diagnostic daté de 2004. Diagnostic dépassé…
En effet, depuis, la situation relative au statut de l’avocat dans l’espace OHADA a significativement évolué. Les confrères de l’UEMOA ont exaucé nos vœux, puisqu’ils ont fait adopter le 25 septembre 2014, dix ans après notre plaidoyer, « un règlement n°05/CM/UEMOA, portant harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA ».

Ce texte long de 92 articles réglemente l’ensemble des questions relatives à l’exercice de la profession d’avocat et dote les Barreaux de l’UEMOA d’un statut unifié.
Aujourd’hui, il est donc tout aussi inexact qu’anachronique, en tout cas pour ce qui concerne les avocats de l’UEMOA de parler de diversité de statuts. Ce règlement qui a été adopté sans heurts, ni bruits, a réglé toutes les questions qui sont censé avoir justifié la mise en œuvre du projet « Barreau OHADA ».

En outre, les avocats de l’espace UEMOA se sont dotés d’organes représentatifs au niveau régional, en particulier d’une « Conférence des Barreaux » qui a, d’ailleurs, largement contribué à l’élaboration de ce règlement, comme en atteste un des visas du préambule dudit règlement.

Le projet d’un « Barreau OHADA », préparé par le Barreau de Paris, sans concertation avec les Barreaux des Etats parties, a péché par méprise, tant sur la situation juridique des avocats dans cet espace judiciaire commun, que sur leur hypersensibilité sur tout ce qui touche à la question relative à leur statut…

Et, lorsqu’en plus, Madame Christiane Taubira, justifie l’initiative en indiquant que « la proposition du Barreau de Paris de créer le barreau de l’Ohada (…) viserait à améliorer la transparence dans un espace Ohada où le droit s’uniformise, où il y aurait facilité pour les affaires légales mais aussi facilité des affaires illégales notamment la corruption et le blanchiment d’argent », elle émet ouvertement un doute difficilement acceptable, sur l’intégrité morale des avocats africains et leur capacité à instaurer des mécanismes de régulation et de contrôle susceptibles de promouvoir la transparence et circonscrire la corruption, fraude et le blanchiment.

Le propos est maladroit. Il constitue une faute inattendue de sa part car, il perpétue le cliché paternaliste d’une Afrique incapable, corrompue, paradis de la fraude, et ce, pour justifier a posteriori, ce qui est ressenti comme une sorte de mise sous tutelle des Barreaux africains.

L’initiative a donc été ressenti comme une OPA hostile du Barreau de Paris sur le marché africains du droit des affaires.
Sur ce point, en se mobilisant, les Avocats africains ont certainement voulu rappeler que, ce sont des Barreaux intègres et responsables évoluant dans des Etats souverains, et qu’ils n’ont pas besoin de sous-traiter leur bonne foi à un Barreau étranger !

De surcroît, le propos de Madame Taubira, laisse une surprenante impression d’approximation…
En effet, la lecture du règlement UEMOA harmonisant les règles relatives à l’exercice de la profession d’avocat, permet de constater qu’en ses articles 78 à 80, ce règlement créée les Caisses Autonomes de Règlement Pécuniaires entre avocats selon le même schéma que les Caisses françaises éponymes.

Que de la même manière, les articles 82 à 88 encadrent strictement la comptabilité et le maniement des fonds, à l’instar de ce qui se fait dans les Barreaux français, de sorte que l’instauration du « Barreau OHADA », n’apportait aucune innovation majeure en matière de transparence ou de lutte contre la corruption.
Le projet de « Barreau OHADA » porté par le Barreau de Paris dans sa forme actuelle, nous semble donc maladroit, inapproprié et contre-productif.
Ses initiateurs ont commis, selon nous, au moins quatre erreurs au moins, qui compromettait congénitalement la survie du projet.

La première, est d’avoir délégué intégralement la maîtrise d’œuvre du projet, de sa conception jusqu’à sa présentation en Conseil des ministres, au Barreau de Paris, alors même qu’il s’agit de réglementer l’exercice professionnel quotidien des avocats africains, et que ces derniers, dispose en leur sein de l’expertise nécessaire pour réaliser et porter un tel projet. Le règlement UEMOA précité en témoigne.
La deuxième erreur, est d’avoir éluder la nécessaire concertation préalable avec les Barreaux et les avocats de l’espace concerné. Cette omission a donné au projet une coloration autoritaire qui prédisposait les avocats à le rejeter au nom de leur sacro-sainte indépendance.

La troisième erreur, est d’avoir cru pouvoir sous-traiter la lutte contre la corruption et le blanchiment au Barreau de Paris à travers le projet de CARPA OHADA. L’accepter eut été pour les avocats de l’espace OHADA un véritable camouflet. Ça aurait été cautionner le cliché de l’Afrique incapable de se prendre en charge. Tout le contraire de l’image d’une Afrique émergente prôné et véhiculé par les Barreaux concernés.
Enfin, la quatrième, est d’avoir ignorer dans leur construction le règlement UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA.

Il est, en effet impensable, voire impossible que le Barreau de Paris ait pu ignorer l’existence de ce règlement. Or, pour être viable ce projet devait nécessairement implémenter cette démarche d’intégration déjà aboutie, ce qui ne semble pas avoir été le cas.
En raison de ces tares congénitales, il devenait donc inéluctable, que ce projet de « Barreau OHADA », fût ressenti comme une OPA sauvage du Barreau de Paris et des grands Cabinets français sur le marché du droit des affaires africain, avec comme cheval de Troie la Cour Commune de Justice.

La lourde insistance sur la question du maniement des fonds, et l’expertise du Barreau de Paris en matière de gestion financière, ont été ressenties comme des indicateurs tendant à accréditer l’idée d’une défiance des investisseurs à l’égard des avocats africains, incapables de gérer par eux-mêmes les flux financiers générés par l’émergence économique du continent.

Le fait que la paternité de la démarche soit imputée au Président de la Cour Commune explique également le rejet de cette démarche qui pour beaucoup, tenait du complexe atavique du colonisé, qui consiste à tout confier « aux occidentaux » sous le couvert de la « coopération », alors même qu’il existe une expertise locale.
Cette sublimation de l’expertise étrangère au détriment de l’expertise locale, a amplifié la hantise d’une mise sous coupe réglée du marché africain du droit des affaires par les grands cabinets occidentaux, spécialement en cas d’ouverture sans conditions de ce marché aux avocats étrangers.

Le projet sous cette forme n’avait aucune chance de prospérer.
Pourtant, force est de reconnaître que l’idée d’un « Barreau OHADA » n’est mauvaise pas en soi. C’est même une nécessité. Mais l’approche choisie a été plus que maladroite.
Il faut donc revoir les choses et les envisager différemment, de façon plus constructive et interactive.

En réalité la démarche d’harmonisation du statut de l’avocat dans l’espace OHADA est déjà en cours, elle demande juste à être accélérée pour être et parfaite.
En effet, l’espace OHADA est essentiellement composé de pays appartenant à deux ensembles économiques régionaux l’UEMOA et la CEMAC, à l’exception notable des Comores et de la République Démocratique du Congo.

L’UEMOA s’étant déjà dotée d’un statut unifié, dont le contenu est conforme aux standards internationaux. Ce qu’il convient de faire c’est donc d’accompagner les avocats de la CEMAC, et ceux des deux autres états-paries (Comores, RDC) pour qu’ils se dotent d’instruments juridiques similaires pour ne pas dire identiques, pour que le statut de l’avocat dans l’espace OHADA soit totalement unifié, en partant de l’intégration à travers les espaces économiques régionaux.

Ensuite, les avocats de cet espace judiciaire commun se doteront d’un organe représentatif, un conseil des Barreaux de l’espace OHADA par exemple, qui coordonnerait la politique commune d’harmonisation et d’intégration des Barreaux.
Et, à ce titre le Barreau de Paris avec son expérience pourrait utilement apporter son assistance technique à cet organe dans la mise en place des outils de cette intégration pilotée par les africains eux mêmes.

Ce projet serait alors celui des Barreaux africains avec le concours du Barreau de Paris, et non celui du Barreau de Paris pour les Barreaux africains…

Avocat au Barreau de Pointe-Noire
Comentaires: