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Nouvelle harmonisation jurisprudentielle : le harcèlement moral est caractérisé peu importe le comportement du salarié qui en est victime. Par Pierre Befre, Avocat.
Parution : lundi 22 juin 2015
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« Vous l’avez bien cherché… », c’est en somme le message adressé à un salarié par des juges du fond puisque ces derniers ont considéré que le salarié ne pouvait venir rechercher la responsabilité de son employeur quant au harcèlement moral qu’il subissait dans la mesure où son comportement n’était pas étranger à l’instauration de ce harcèlement (Chambre correctionnelle de la cour d‘appel de Caen, 3 février 2014).

Cet arrêt est une réponse aux arguments classiquement développés par les employeurs accusés de harcèlement qui prétendent que c’est en raison soit des insuffisances du salarié, soit de ses fautes, soit encore de son relationnel que les supérieurs dudit salarié l’ont progressivement traité différemment de ses collègues, ce qui a conduit à une situation de souffrance au travail.

Cette affaire devait alors être soumise à l’appréciation de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui devait ainsi répondre à la question suivante : les agissements du salarié qui se prétend victime de harcèlement influent-ils sur la qualification de harcèlement ?

Non, répond expressément, dans un arrêt du 27 mai 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation : le comportement de la victime ne peut être pris en considération quant à la qualification de faits de harcèlement moral [1].

1. La position de la Chambre criminelle : l’indifférence du comportement de la victime de harcèlement.

En l’espèce, il était reproché au Président d’une communauté de communes d’avoir harcelé un agent placé sous ses ordres.

L’agent aurait été victime de dénigrements publics, d’une mise à l’écart de ses collègues de travail, d’un retrait de ses fonctions, et d’un refus d’aménagement de ses horaires de travail sans justification.

Cependant, la victime n’aurait pas été irréprochable et ce, pour plusieurs raisons.

En effet, l’agent aurait été recruté pour exercer des fonctions de secrétaire générale sans disposer des compétences nécessaires pour exercer le poste, et se serait rapidement retrouvé dans une situation professionnelle délicate.

L’agent aurait également fait preuve d’une susceptibilité accrue, ne supportant pas les critiques quant à son travail, et aurait fait preuve d’agressivité à l’égard de ses collègues de travail.

Les actes de l’agent auraient même causé une nette dégradation des conditions de travail de ses collègues, dont certains auraient vu leur état de santé physique et mental se dégrader.

En première instance, le Tribunal correctionnel, tout en jugeant le prévenu coupable du délit de harcèlement moral, a procédé à un partage de responsabilité sur l’action civile en raison des agissements de l’agent.

La Cour d’appel a pris une toute autre position en considérant que l’agent avait été à l’origine de son propre dommage eu égard à son attitude, et que par conséquent, le Président de la communauté de communes ne s’était pas rendu coupable du délit de harcèlement moral.

La question à laquelle la Haute Cour a dû répondre était donc de savoir si le comportement de la victime de faits pouvant s’assimiler à du harcèlement moral pouvait, ou non, conduire à exonérer l’auteur de sa responsabilité.

Au sein de cet arrêt du 27 mai 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation use de pédagogie en indiquant expressément aux juges du fond la méthode à suivre pour caractériser des faits de harcèlement moral :

« Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si les faits poursuivis, dont elle a admis qu’ils constituaient un comportement inadapté, n’outrepassaient pas, quelle qu’ait été la manière de servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu et ne caractérisaient pas des agissements au sens de l’article 222-33-2 du code pénal, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ».

Les juges du fond doivent donc se borner à une interprétation stricte de l’article 222-33-2 du Code pénal : dès lors que le comportement de l’employeur est inadapté en ce qu’il dépasse les limites de son pouvoir de direction, il peut être qualifié de harcèlement et ce, peu importe la manière dont le salarié s’est comporté à l’égard de son travail, de ses collègues ou encore de sa hiérarchie.

2. La position de la Chambre criminelle alignée sur celle de la Chambre sociale et du Conseil d’Etat : une solution protectrice du salarié harcelé.

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère déjà que le comportement du salarié ne peut avoir d’influence sur la caractérisation du harcèlement moral qu’il a subi.

En effet, par un arrêt du 13 mai 2015, la Chambre sociale a cassé un arrêt de Cour d’appel qui déboutait une salariée de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral en raison du fait qu’elle était en partie responsable de la dégradation de ses conditions de travail [2].

La Chambre sociale a également fait preuve de pédagogie au sein de son arrêt du 13 mai 2015 en guidant les juges du fond quant aux éléments à prendre en considération pour prendre leur décision :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de se prononcer sur l’ensemble des éléments retenus afin de dire s’ils laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés  ».

Le Conseil d’Etat a désormais une position similaire.

En 2006, le Conseil d’Etat avait jugé que l’indemnisation due à l’agent victime d’agissements de harcèlement moral pouvait être réduite au motif que ce dernier, par sa faute, avait contribué à la mise en place du processus dont il se plaignait [3].

Un revirement de jurisprudence est alors intervenu en 2011 puisque le Conseil d’Etat a jugé que :
« la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé » [4].

La Chambre criminelle de la Cour de cassation avait, quant à elle, une position hésitante.

En effet, elle avait déjà jugé que :
« Le seul fait, au demeurant non démontré, que la salariée a refusé de faire un travail ne saurait légitimer un tel comportement puisque si un salarié ne satisfait plus et commet des fautes, la voie du licenciement est prévue par la loi » [5].

De même, le fait que le salarié victime dispose d’une certaine force de caractère et qu’un conflit d’égo a pu être relevé n’excuse en rien les actes dégradants qu’il a subis [6].

Toutefois, la Chambre criminelle avait adopté une toute autre position au sein d’un arrêt du 12 mars 2013 au sein duquel elle jugeait, pour rejeter les prétentions du salarié prétendument harcelé, que son isolement ou la dégradation de ses conditions de travail résultaient de sa seule attitude, sans qu’aucun agissement coupable ne puisse être imputé à un tiers [7].

Dorénavant, la position de la Chambre criminelle est identique à celle de la Chambre sociale et du Conseil d’Etat, et ce, dans un souci de protection du travailleur.

En effet, si ce dernier ne répond pas aux attentes en termes de performance ou encore d’intégration, alors l’employeur dispose des outils idoines pour le sanctionner, voire s’en séparer.

L’employeur ne saurait en revanche en aucun cas s’en servir comme justification voire prétexte pour harceler.

Les carences du travailleur ne sauraient être un blanc-seing au harcèlement.

Le message est désormais clair : en aucun cas la faute de la victime ne peut être prise en compte par les juridictions pour caractériser le harcèlement moral subi.

PeMe Pierre BEFRE Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris http://www.cabinet-ap.fr @cabinet_ap

[1Crim., 27 mai 2015, n° 14-81.489.

[2Soc., 13 mai 2015, n° 14-10.854.

[3CE, 24 novembre 2006, n° 256313.

[4CE, 11 janvier 2011, n° 321225.

[5Crim., 5 févr. 2013, n° 12-81.239.

[6Crim., 14 mai 2013, n° 12-81.743.

[7Crim., 12 mars 2013, n° 12-82.161.

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