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Les occupations privatives du domaine public maritime. Par Jérôme Heilikman, Juriste.
Parution : mercredi 29 juillet 2015
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Courant juillet 2015, la venu du Roi Salmane d’Arabie Saoudite pour ses vacances à Vallauris dans les Alpes-Maritimes, accompagné d’environ un millier de personnes dans son sillage a fait grand bruit avec sa volonté de privatiser une plage publique. En outre, l’accès au littoral, le survol aérien et la navigation dans la bande des 300 mètres en face de la résidence seront interdits par arrêté préfectoral.

Un particulier a-t-il le droit de privatiser une plage publique ? Quelles sont les sanctions ?

Si un tel un événement est une aubaine pour le commerce local, il cause également un sérieux désagrément pour les riverains bientôt privés de la plage près de la propriété royale. Un élu local a en outre lancé une pétition en ligne contre la privatisation de la plage publique de la Mirandole voisine de la villa saoudienne.

- Que dit la réglementation ? Quelles sont les principes généraux applicables à la gestion du domaine public maritime ?

1. Par principe le domaine public maritime ne peut faire l’objet d’aucune privatisation.

Après un principe posé par un arrêt du Conseil d’Etat rendu en 1858 qui reconnaît le principe de libre accès et de gratuité du public aux plages, cette décision a été consacrée par le législateur avec la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral dite « loi littoral ». Cette loi pose le principe selon lequel le domaine public est inaliénable, autrement dit, personne ne peut se prévaloir de la qualité de propriétaire sur cet espace commun.

La loi dite « littoral » consacrait dans ses articles 25 et suivants les règles de gestion du domaine public maritime et fluvial et la réglementation des plages. S’agissant des dispositions concernant l’utilisation des plages, il convient aujourd’hui de se référer notamment à l’article L. 321-9 du Code de l’environnement qui dispose :

"L’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières.
L’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines.
Les concessions de plage sont accordées ou renouvelées après enquête publique ; elles préservent la libre circulation sur la plage et le libre usage par le public d’un espace d’une largeur significative tout le long de la mer.

Tout contrat de concession doit déterminer la largeur de cet espace en tenant compte des caractéristiques des lieux.
Les concessions de plage et les sous-traités d’exploitation sont portés à la connaissance du public par le concessionnaire.

Sauf autorisation donnée par le représentant de l’Etat dans le département, après avis du maire, la circulation et le stationnement des véhicules terrestres à moteur autres que les véhicules de secours, de police et d’exploitation sont interdits, en dehors des chemins aménagés, sur le rivage de la mer et sur les dunes et plages appartenant au domaine public ou privé des personnes publiques lorsque ces lieux sont ouverts au public."

Par ailleurs, conformément aux articles L. 3111-1 et 3111-2 du Code général de la propriété des personnes publiques, les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. En outre, le domaine public maritime appartient de manière inaliénable et imprescriptible à l’État. Il s’étend sur terre jusqu’à la limite haute des eaux.

Le Domaine public maritime naturel répond à un principe fondamental et ancien, celui de son libre usage par le public pour la pêche, la promenade, les activités balnéaires et nautiques. Ceci fonde les principes de gestion du littoral : favoriser les activités liées à la mer et qui ne peuvent pas se développer ailleurs, tout en préservant l’accès du public à celle-ci.

L’utilisation de ce domaine public est soumise à des règles strictes. En ce sens, comme le souligne l’article L. 2124-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ; elles sont à ce titre coordonnées notamment avec celles concernant les terrains avoisinants ayant vocation publique.

Ce texte impose également une enquête publique dès lors qu’est prévu un changement substantiel dans l’utilisation de ce domaine public.

2. Des possibilités de privatisations exceptionnelles et à titre précaire : les concessions privées.

Le principe d’inaliénabilité du domaine public maritime a été atténué par cette même loi dite « littoral » qui autorise l’Etat à accorder des concessions, c’est-à-dire des locations temporaires de parcelles du domaine public mais sous certaines conditions restrictives.

L’article R. 2124-13 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit en ce sens :

« L’Etat peut accorder sur le domaine public maritime des concessions ayant pour objet l’aménagement, l’exploitation et l’entretien de plages.
Le concessionnaire est autorisé à occuper une partie de l’espace concédé, pour y installer et exploiter des activités destinées à répondre aux besoins du service public balnéaire. Ces activités doivent avoir un rapport direct avec l’exploitation de la plage et être compatibles avec le maintien de l’usage libre et gratuit des plages, les impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ainsi qu’avec la vocation des espaces terrestres avoisinants.
La durée de la concession ne peut excéder douze ans. »

L’article R. 2124-16 précise « Un minimum de 80 % de la longueur du rivage, par plage, et de 80 % de la surface de la plage, dans les limites communales, doit rester libre de tout équipement et installation. Dans le cas d’une plage artificielle, ces limites ne peuvent être inférieures à 50 %. La surface à prendre en compte est la surface à mi-marée ».

Ainsi, une concession doit répondre aux critères suivants :
- Ne peut concerner qu’une partie délimitée du domaine public peut être concerné ;
- Avoir pour objet le développement d’activités destinées au service public balnéaire ayant un rapport direct avec l’exploitation de la plage ;
- Etre compatible avec le maintien de l’usage libre et gratuit de la plage.

Concernant cette dernière condition, les concessions accordées sur les plages doivent respecter, les principes énoncés à l’article L. 321-9 du code de l’environnement à savoir l’accès des piétons aux plages qui doit rester libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières.

La concession est attribuée par autorisation préfectorale ou municipale en échange du paiement d’une redevance pour service rendu

3. Et les AOT ?

Une autre exception à la liberté d’accès aux plages existe par les Autorisations d’Occupation Temporaire (AOT), délivrées ponctuellement.

L’outil juridique de droit commun est l’autorisation d’occupation temporaire assujettie à redevance et toujours délivrée à titre personnel, précaire et révocable. Ce faisant, le préfet peut y être mettre fin à tout moment si l’intérêt du domaine ou l’intérêt général le justifient.

En outre, les autorisations d’occupation temporaire ne sont pas sans rappeler un autre sujet épineux déjà évoqués concernant les autorisations de mouillage collectif instituées par l’article 28 de la loi dite « littoral » codifié à l’article L.2124-5 du Code général de la propriété des personnes publiques :

« Des autorisations d’occupation temporaire du domaine public peuvent être accordées à des personnes publiques ou privées pour l’aménagement, l’organisation et la gestion de zones de mouillages et d’équipement léger lorsque les travaux et équipement réalisés ne sont pas de nature à entraîner l’affectation irréversible du site. »

4. Quelles sont les sanctions ?

Les contraventions de grande voirie sont désormais régies par les articles L.2132-2 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques en ces termes qui renvoient aux mêmes conditions que celles concernant le Code de la voirie routière (voir articles Article L. 1116-1 et s.)

Le régime des contraventions de grande voirie présente des avantages nombreux : obligation de poursuite, responsabilité objective, possibilité de condamner à une remise en état, imprescriptibilité des poursuites visant à la réparation des dommages causés. La contravention de grande voirie a un caractère objectif, autrement dit, peu importe l’intention du contrevenant et les circonstances. Même en l’absence de faute de sa part, il sera condamné à réparer et à remettre en état le domaine s’il y a porté atteinte.

Cette procédure constitue un outil efficace de protection du Domaine public maritime contre les empiétements, les occupations sans titre et les dégradations. Par ailleurs, le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 relatif aux peines d’amende applicables aux infractions de grande voirie commises sur le domaine public maritime en dehors des ports, assortit également ces atteintes d’une peine d’amende de contravention de la cinquième classe :

« Toute infraction en matière de grande voirie commise sur le domaine public maritime en dehors des ports, et autres que celles concernant les amers, feux, phares et centres de surveillance de la navigation maritime prévues par la loi du 27 novembre 1987 susvisée, est punie de la peine d’amende prévue par l’article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la 5e classe.

En cas de récidive, l’amende est celle prévue pour la récidive des contraventions de la 5e classe par les articles 132-11 et 132-15 du code pénal. »

En revanche, si la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a donné un statut législatif aux gardes du littoral et leur a attribué des fonctions de police judiciaire, ceux-ci n’ont pas de compétence pour dresser des contraventions de grande voirie, alors même qu’une telle extension permettrait de renforcer la protection du domaine public.

Enfin, le préfet fait constater l’atteinte au domaine par un agent assermenté qui dresse un procès-verbal de contravention de grande voirie. En cas d’urgence, l’administration peut recourir également au référé-conservatoire prévu à l’article L.521-3 du code de justice administrative.

Jérôme Heilikman Président fondateur de l\\\'Association Legisplaisance Doctorant en droit privé Juriste maritime et droit social des marins http://www.legisplaisance.fr http://www.facebook.com/legisplaisance
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