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« Mardi gras » au travail et salariat déguisé ! Par Yacine Zerrouk, Juriste.
Parution : mardi 1er septembre 2015
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Avec la loi de Modernisation de l’Economie du 4 août 2008, le législateur a instauré un nouveau cadre juridique, social et fiscal pour le créateur d’entreprise, en l’occurrence le statut d’auto-entrepreneur.

L’objectif principal de ce statut est de faciliter l’exercice d’une activité indépendante sans avoir à s’inscrire au registre du commerce et des sociétés.

Autrement dit, être auto-entrepreneur nécessite forcément l’exercice d’une activité indépendante, dénuée de tout lien de subordination.
C’est d’ailleurs cet élément qui permet de distinguer l’auto-entrepreneur du salarié.

En effet, si l’auto-entrepreneur effectue une prestation de travail moyennant rémunération, il ne doit pas être lié par le donneur d’ordre, contrairement au salarié, qui lui s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne, en échange d’une rémunération.

Dès lors, le lien de subordination apparaît comme l’élément déterminant du contrat de travail.

La jurisprudence a caractérisé le lien de subordination comme étant « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination quand l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail » (Soc. 13-11-1996, n° 94-13.187).

L’existence de cette subordination relève par ailleurs de l’appréciation souveraine des juges du fond (Soc. 19-06-2007, n° 06-44.436).

«  L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Soc. 30-11-2011, n° 11-10.688).

Ainsi, dans un arrêt du 14 mars 1991, la Cour de Cassation a jugé qu’était justifiée la requalification du contrat de mission d’un chercheur en contrat de droit commun, en se fondant sur les éléments suivants (Soc. 14-03-1991, n° 88-20.374) :
- le chercheur recevait des instructions précises quant aux sujets à traiter ;
- il était astreint à respecter des délais d’exécution ;
- il devait périodiquement faire un compte rendu de ses travaux ;
- il percevait une rémunération fixe et calculée à la vacation selon un tarif imposé par la société.

Ces éléments, étant considérés par les juges comme des « faisceaux d’indice » de salariat, ne sont pas exhaustifs et peuvent être corroborés par d’autres éléments tels que les horaires de travail, la fixation par l’employeur du lieu de travail ou encore de la fourniture par l’entreprise du matériel et des outils nécessaires à l’accomplissement du travail.

Pour résumé, les juges procèdent à la méthode du faisceau d’indice afin de démontrer l’existence d’un lien de subordination entre l’auto-entrepreneur et le donneur d’ordre.

Cette méthode consiste à isoler des éléments étant initialement jugés comme insuffisant pour caractériser le lien de subordination mais dont la réunion de ces éléments suffisent à justifier le caractère salarial de l’activité.

En conséquence, lorsque l’auto-entrepreneur n’exerce pas son activité en toute indépendance et qu’un lien de subordination est établit entre lui-même et son client, les juges du fond requalifient cette relation en un contrat de travail.

Ainsi, le client deviendra l’employeur et l’auto-entrepreneur deviendra salarié.

Cette requalification, étant lourde de conséquence aussi bien sur le plan financier que sur le plan pénal, sera régi par les dispositions du Code du travail.

S’agissant des sanctions financières :

- l’employeur devra procéder à l’acquittement des cotisations sociales afférentes aux sommes que « l’auto-entrepreneur » aura perçu puisqu’elles ont un caractère de salaire ;

- si les sommes versées à « l’auto-entrepreneur » sont inférieures au Smic, alors ce dernier pourra solliciter un rappel de salaire en exigeant une rémunération au moins égale au Smic ou supérieur selon les dispositions conventionnelles ;

- « l’auto-entrepreneur » devenu salarié, doit être soumis à la réglementation des 35 heures par semaine et donc, peut exiger le paiement d’heures supplémentaires s’il démontre qu’il a dépassé cette limite.

A noter que les heures supplémentaires accomplies au-delà des 35 heures donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des 8 premières heures (c’est-à-dire de la 36 ème à la 43 ème heure incluse), et de 50 % à partir de la 44 ème heure.

- étant donné que la relation de travail est requalifiée en un contrat de travail, la rupture sera assurément considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui permettra à « l’auto-entrepreneur » de réclamer une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis et des dommages – intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- n’ayant pu bénéficier de congé payés alors que le Code du travail prévoit 30 jours ouvrables de congés payés par an à tous salarié, « l’auto-entrepreneur » pourra solliciter une indemnité relative à l’absence de congés payés ;

- n’ayant pas été déclaré en droit alors qu’il exercé une activité salariale, « l’auto-entrepreneur » sera en droit de demander en cas de rupture de la relation de travail, une indemnité égale à 6 mois de salaire.

S’agissant des sanctions pénales :

En vertu de l’article L. 8221-6 du Code du travail,

« L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Dans ce cas, la dissimulation d’emploi salarié est établie si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur mentionnées à l’article L. 8221-5 ».

Autrement formulé, en ne respectant pas les obligations légales concernant le régime des auto-entrepreneurs, l’employeur est coupable de l’infraction de dissimulation d’emploi salarié.

Cette infraction est punie de 3 ans d’emprisonnements et de 45.000 euros d’amende.

Peuvent également s’ajouter des peines complémentaires (administratives et/ou civiles).

Yacine Zerrouk Responsable Relations Sociales
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