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Etes-vous resté avocat pendant vos vacances ?
Parution : vendredi 28 août 2015
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Etes-vous resté avocat pendant vos vacances d’été ? Avez-vous réussi à quitter votre robe et les causes qui l’accompagnent pour vous reposer ? Pas évident ! Voyez un peu l’histoire de Maître Fulano qui s’est pris quatre semaines de vacances au bord de la mer.

La voiture démarre, direction la côte.
Le mois d’août arrive. Maître Fulano a du mal à quitter ses dossiers et ses codes. Et pourtant, comme la plupart de ses confrères, il a fini par partir. Il a réussi à lâcher son cabinet pour quatre semaines de vacances. Il faut bien cela pour couper avec la vie judiciaire. La maison est bouclée, les portes de la voiture claquent. La voiture démarre, direction la côte.

La première semaine, le cabinet l’a suivi : consultation des mails, un expert qui appelle pour fixer une date d’expertise à la rentrée. Maître Fulano est resté avocat. Avocat oui, mais Maître Fulano a apprécié le charme d’un coup de fil professionnel, confortablement allongé dans un transat, face à la mer.

La profession l’a rattrapé.
La deuxième semaine, les dossiers l’ont rattrapé. Dîner informel chez des amis qui lui présentent d’autres amis. La nécessité d’alimenter la discussion amena inévitablement à cette question : "- que faites vous dans la vie ? Avocat ? Ah, vous devez avoir de drôles d’histoires à raconter, des situations cocasses à régler !" Ce dialogue parachuta brusquement Maître Fulano dans un dossier de troubles de voisinage où deux cousins règlent une vieille querelle familiale à coup de procédure. "-Drôle, cocasse, c’est certain, se dit-il. Audiard aurait pu faire un film de cette bataille rangée." Mais cela ne fit pas rire notre homme qui se remémora soudain un moyen développé dans les dernières conclusions d’appel adverses. Avait-il au moins répondu dans les délais ? Pas sûr. Sueurs froides. Ce soir là, l’interlocuteur de Maître Fulano n’aura pas remarqué son trouble. L’avocat eut la courtoisie de répondre par des banalités polies qui ne laissaient rien paraitre de sa nervosité intérieure. Mais un regard avisé aurait pu lire dans les yeux de l’homme de loi le mail qu’il préparait à l’attention de son collaborateur : l’argumentation en réplique à faire signifier d’urgence.

L’épée et la balance sur sa voiture.
La troisième semaine, Maître Fulano avait bien décroché de son bureau. Et comme le dit la ritournelle, pas de nouvelle ... C’est en remontant d’une promenade sur la plage que Maître Fulano porta son regard sur une cylindrée garée devant une villa. Là, sur le pare brise avant, accroché bien en évidence, le macaron de l’Ordre des Avocats. Il sourit, amusé : "-Il y a un confrère ou une Consœur dans le coin !" Maître Fulano pensa au macaron qu’il avait également placé à l’avant de sa voiture. A quoi servait-il ? Utile ou est-ce seulement de la flambe ? "-Faut-il que je le retire de ma voiture à la rentrée ?" Sa réflexion aboutit finalement grâce à une citation d’un ouvrage sur Napoléon qui était alors son livre de chevet : "Mieux vaut mettre de la fierté dans son attitude que de se reconnaître d’avance vaincu." [1] -" Que de passion et de pugnacité nécessitent en effet certains dossiers !" Médita t-il. Fort de ce raisonnement, Maître Fulano conclut que le macaron était un signe de cette combativité nécessaire et contribuait au panache de la profession. Il décida donc de laisser l’épée et la balance sur sa voiture.

Advocata nostra.
La quatrième semaine, Maître Fulano fut remis dans sa robe à un moment où il ne s’y attendait pas. Comme tous les ans, il allait au pardon à la chapelle de Notre Dame des Mers située en front d’océan : bal de bannières et houle de maquettes de bateaux en guise d’ex-voto. Procession sonorisée dans les rues du village. Plus curieuse que priante, l’oreille de Maître Fulano accrocha une bribe d’oraison qui le ramena profondément au cœur de sa profession "… Eia ergo, advocata nostra  [2] ". Advocata nostra ? Notre avocate ? Etait-ce le climat de prière ou la beauté du cantique qui le touchait, voila que son cœur d’auxiliaire de Justice se serra et soudainement il se revit prêter serment « "Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Déjà vingt ans de Barre pensait-il et combien de personnes assistées qui ont tous mis leurs espoirs en moi, leur "advocata" !

Le jour de son retour au cabinet, Maître Fulano fut accueilli par son assistante qui lui demanda : "- Alors Maître Fulano, les vacances furent bonnes ? Vous avez quand même réussi à couper avec votre travail ?" Il répondit par un "affirmatif" perplexe car s’il avait finalement réussi à se défaire de ses dossiers, il se rendait compte qu’on ne pouvait en revanche se dégager de sa nature d’avocat.

Me Loïc TERTRAIS

[1Napoléon Bonaparte – Mémoires, Manuscrit de Sainte-Hélène (1821).

[2Le Salve, Regina est un hymne consacré à la Vierge Marie dans la religion catholique : Salve, Regina, mater misericordiae. Vita, dulcedo et spes nostra, salve. Ad te clamamus, exsules filii Hevae. Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valle. Eia ergo, Advocata nostra, illos tuos misericordes oculos ad nos converte. Et Jesum, benedictum fructum ventris tui, nobis post hoc exilium ostende. O clemens, o pia, o dulcis Virgo Maria ! Amen.