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L’harmonisation (relative) des délais de rétractation de l’immobilier. Par Tiffany Metzinger, Juriste.
Parution : lundi 31 août 2015
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La loi Macron [1] a porté à dix jours, au lieu de sept auparavant, la durée du délai de rétractation (ou délai de réflexion) reconnu à un acquéreur, au titre de l’article L 271-1 du Code de la construction et de l’habitation. Elle a également exclut du droit de rétractation de quatorze jours les contrats hors établissement en matière immobilière.
De quoi clarifier la situation ? Pas totalement...

Entre l’entrée en vigueur de la loi Hamon [2] et celle de la loi Macron [3], les avant-contrats ayant pour objet l’acquisition d’un bien immobilier pouvaient être soumis à deux délais de rétractation distincts :
- le délai de rétractation de sept jours de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation, s’appliquant notamment aux avant-contrats ayant pour objet l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation au profit d’un acquéreur non professionnel ;
- le délai de rétractation de quatorze jours de l’article L121-21 du Code de la consommation, s’appliquant notamment aux avant-contrats ayant pour objet l’acquisition d’un bien immobilier, s’ils ont été conclus hors établissement, entre un professionnel et un consommateur.

Ces deux délais présentaient des différences nombreuses :

-  La durée du délai était bien sur différente (sept jours pour le délai de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation contre quatorze pour le délai de l’article L121-21 du Code de la consommation).

-  Le point de départ de ces délais n’était pas le même.
Ainsi, le délai de rétractation de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation commence à compter du lendemain de la remise en main propre de l’acte ou de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte, alors que le délai institué par le Code de la consommation courait à compter de la conclusion de l’avant-contrat.

-  La qualité des parties requise pour l’application de ces dispositifs protecteurs divergeait également.
Le Code de la construction et de l’habitation envisage les ventes en tout type de vendeur et l’acquéreur « non professionnel ». En l’absence de définition légale, cette notion a été précisée par la jurisprudence et la doctrine. On considère ainsi que le délai de rétractation s’applique aux acquisitions réalisées pour des besoins privés, en dehors de la sphère de compétence de l’acquéreur. Cette interprétation n’exclut donc pas forcément la notion de société en cas d’achat ne présentant pas un rapport direct avec son objet social [4].
Le Code de la consommation, quant à lui, s’applique dans les relations entre un vendeur professionnel (dans notre cas, celui qui exerce de façon habituelle et régulière une activité d’achat et de vente de bien immobilier, tel le promoteur) et l’acquéreur consommateur, c’est-à-dire, selon l’article préliminaire inséré avant le Livre I du même Code, toute personne physique qui agit à des fins n’entrant pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Une société n’est pas donc pas un consommateur, et est exclue du champ d’application de cette protection.

Pourtant, malgré leurs différences, il existait des cas dans lesquels ces facultés de rétractation et délais pouvaient se cumuler (par exemple, dans le cas d’un avant-contrat signé dans un appartement témoin du promoteur au profit d’une personne physique réalisant l’achat de sa future résidence).

Afin d’éviter des difficultés d’articulation, le législateur a donc entrepris d’harmoniser les délais de rétractation.

Aussi, le projet de loi Macron prévoyait initialement :
- d’une part, de supprimer du champ d’application du délai de rétractation du Code de la consommation les avant-contrats ayant pour objet l’acquisition ou le transfert d’un bien immobilier ;
- d’autre part, d’allonger le délai de rétractation de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation à quatorze jours au lieu de sept.

Néanmoins, suite aux critiques des professionnels de l’immobilier craignant un délai de rétractation trop long freinant le marché de l’immobilier, il a été préféré un rallongement du délai de rétractation de l’article L271-1 du Code de la construction et de l’habitation limité à dix jours seulement.

Ainsi, l’article 210 de la loi Macron dans sa version définitive a exclu du droit de rétractation de quatorze jours les contrats hors établissement en matière immobilière et a allongé à dix jours le délai de rétractation du Code de la construction et de l’habitation.

Seulement voilà, il reste un dernier délai de rétractation applicable à un avant-contrat de vente de biens immobiliers : le délai de rétractation applicable aux promesses unilatérales de vente portant sur un terrain issu d’un lotissement soumis à permis d’aménager.

Ce délai, bien que prévu par un texte spécifique, l’article L442-8 du Code de l’urbanisme, était jusqu’alors calqué sur le délai de rétractation de sept jours prévu par l’article L271-1, dans sa rédaction antérieure à la loi Macron.
L’article L442-8 fait d’ailleurs référence au texte du Code de la construction et de l’habitation, non pour le délai, mais pour les modalités de rétractation : « Si l’acquéreur exerce sa faculté de rétractation, dans les conditions de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, le dépositaire des fonds versés les lui restitue dans un délai de vingt et un jours à compter du lendemain de la date de cette rétractation. »

Ce texte n’ayant pas été modifié par la loi Macron, il convient de continuer d’appliquer l’article L442-8 du Code de l’Urbanisme stipulant que « la promesse ne devient définitive qu’au terme d’un délai de sept jours pendant lequel l’acquéreur a la faculté de se rétracter », et de ne se référer au Code de la construction et de l’habitation que pour les modalités d’exercice de cette faculté.

Deux délais de rétractation coexistent donc actuellement dans le cadre de la vente de biens immobiliers :
- le délai de rétractation du Code de la construction et de l’habitation de dix jours pour les biens à usage d’habitation ;
- le délai de rétractation du Code de l’urbanisme de sept jours pour les terrains issus d’un lotissement soumis à permis d’aménager.

A priori, ces délais devraient toutefois coexister sans se cumuler, le champ d’application quant à l’immeuble concerné étant différent (immeuble bâti / terrain).

A priori seulement… une décision récente pourrait en effet changer la donne. Si jusqu’à présent, on estimait que le délai de rétractation prévu par le Code de la construction et de l’Habitation ne s’appliquait qu’aux immeubles à usage d’habitation bâtis, la Cour d’appel de Paris a jugé que cette faculté de rétractation s’appliquait également à l’acquisition d’un terrain à bâtir en vue de la construction d’une maison à usage d’habitation [5].
Pour la Cour d’appel, il ressortait de la promesse la volonté certaine de construire une maison (la promesse contenait une condition suspensive portant sur l’obtention d’un permis de construire), laquelle volonté est alors entrée dans le champ contractuel.

En attendant que la Cour de cassation vienne trancher toute discussion (NDLR : la cour de cassation s’est prononcée à ce sujet le 4 février 2016 : voir commentaire ci-dessous), cette solution est source d’incertitudes pour les praticiens (notamment les notaires) qui seront sans doute tentés d’appliquer, par précaution, le délai de rétractation de dix jours du Code de la construction et de l’habitation aux avant-contrats de vente de terrains destinés à la construction d’un bien à usage d’habitation, y compris donc, aux promesses de vente de terrains situés dans un lotissement soumis à permis d’aménager.

Cela ne résoudra cependant pas tout : un lotisseur vendeur « victime » de la rétractation de son acquéreur entre le huitième et le dixième jour du délai pourrait toujours reprocher à son notaire d’être allé au-delà de ce que prévoyait le texte en vigueur, l’article L442-8 du Code de l’urbanisme.

Tiffany METZINGER, juriste

[1Loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

[2Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014.

[3Loi n° 2015-990 du 6 août 2015.

[4Cass. 3e civ., 16 sept. 2014, n° 13-20.002, et Cass. 3e civ., 24 oct. 2012, n° 11-18.774.

[5Cour d’appel de Paris, pôle 4 – chambre 1, 13 novembre 2014, no de RG : 13/12102.

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