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Frais d’huissiers et abus de la procédure de tarification au titre de l’« article 10 » du décret n°96-1080 du 12 décembre 1996. Par Gildas Neger, Docteur en droit.
Parution : mercredi 2 septembre 2015
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Le décret n°96-1080 du 12 décembre 1996 portant fixation du tarif des huissiers de justice en matière civile et commerciale instaure, en son article 10, un « droit proportionnel » ouvert à l’huissier de justice et à la charge du créancier.

« Lorsque les huissiers de justice recouvrent ou encaissent, après avoir reçu mandat ou pouvoir à cet effet conformément aux articles R. 141-1 du code des procédures civiles d’exécution et 18 du décret du 29 février 1956 portant application de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, des sommes dues par un débiteur, il leur est alloué, en sus éventuellement du droit visé à l’article 8, un droit proportionnel dégressif à la charge du créancier. Ce droit, qui ne peut être inférieur à 10 taux de base ni supérieur à 1 000 taux de base et est exclusif de toute perception d’honoraires libres, est calculé sur les sommes encaissées ou recouvrées au titre de la créance en principal ou du montant de la condamnation, à l’exclusion des dépens.Sauf en matière de contrefaçon ou en toute matière sur décision du juge ou il est à la charge du débiteur ».

L’assiette de calcul de cette disposition s’étend à la totalité de la condamnation exception faite des dépens (Principal + Dommages-Intérêts + Clause Pénale + Intérêts + Article 700).

L’encaissement par l’huissier de ce « droit », n’est toutefois pas seulement conditionné par l’encaissement des sommes dues. En effet, faut-il encore que le paiement du débiteur soit le résultat d’une diligence de l’huissier.

La Cour de cassation a, en 1970, posé le principe que la perception du droit proportionnel était subordonnée aux conditions cumulatives suivantes :

- Que l’huissier ait reçu mandat d’encaisser ou de recouvrer des sommes dues ;
- Qu’il ait effectivement accomplies des diligences pour exécuter ce mandat ;
- Que le paiement effectué soit la conséquence de ces diligences.

Ainsi, dans deux arrêts du 19 novembre 1970 (pourvoi n°69-10100 et 69-10860) confirmé par un arrêt du 8 décembre 1971 (Affaire BARRERA c/ZEKRI), la Cour de Cassation a jugé que :

« (…) l’huissier de justice, qui a reçu mandat d’encaisser ou de recouvrer des sommes dues et qui a effectué auprès du débiteur les diligences que comportait l’exécution de ce mandat, est fondé, dès lors que les sommes réclamées ont été versées par le débiteur à la suite desdites diligences, à prétendre à l’intégralité du droit proportionnel fixé à l’article 10 (…) ».

Dans deux autres arrêts du même jour (Cass. Civ. 2ème, 19 novembre 1970 et Cass. Civ. 2ème 19 novembre 1970) la Cour de cassation a censuré les décisions des juges du fond qui s’étaient abstenu de constater si le paiement était intervenu en conséquence des actions de recouvrement engagées par l’huissier :

« Attendu qu’en se déterminant par un tel motif sans rechercher si le paiement effectué avait été provoqué par l’intervention de l’huissier, le Tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision »

Le paiement se doit donc d’être la conséquence d’une diligence de l’huissier. De surplus, celle-ci doit consister dans un acte d’exécution et non simplement dans la signification de la décision.

Par un nouvel arrêt VIOCHE c/ PELOUX du 17 février 1977, la Cour de Cassation a confirmé que « la simple signification d’un jugement ne permet pas à l’huissier de prétendre à l’application d’un droit proportionnel, dès lors que le règlement du débiteur était intervenu avant que ne soit pratiquée une saisie-arrêt ».

En 2001 la Cour de Cassation a jugé que « (…) la signification d’actes simplement destinés à rendre indisponible le bien saisi n’a pas pour objet le recouvrement de la créance et ne permet pas la perception d’un droit proportionnel » (Cass. Civ. 2ème, 18/10/2001).

Dans un cas plus récent, et qui démontre que les décisions de la Cour de cassation ne sont pas suivies par tous les huissiers, un officier ministériel estimait qu’un droit proportionnel lui était dû sur une somme à recouvrer de l’ordre de 45.000 euros. À ce titre, il avait cru bon de facturer un droit proportionnel à son client.

Ce dernier a contesté l’application des dispositions de l’article 10 au motif que le paiement du débiteur était intervenu avant la signification du commandement de payer. Celui-ci ne pouvait donc matériellement avoir provoqué le paiement.

Pour l’huissier, le « droit » lui était dû au motif unique qu’un mandat d’encaissement lui avait été confié.

Le Tribunal a fait droit à la contestation du client en relevant, par, que « la seule signification de la décision ne permet pas à l’huissier de prétendre à l’application d’un droit proportionnel et que le règlement intervenu ne peut être la conséquence du commandement de payer, puisqu’il lui est antérieur ». (T. Com. Grasse, 20 septembre 2010).

D’où, tout l’intérêt de vérifier les factures d’huissiers qui comportent systématiquement l’article 10 et alors même que les sommes réclamées ne sont pas toujours dues.

Cet article n’a pas pour ambition de traiter de « valeur équivalente » mais simplement de faire prendre conscience qu’il est possible d’économiser des frais indûment perçus par certains huissiers.

Gildas Neger Docteur en Droit Public
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