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Le Contract Management : nouveau creuset de la médiation interentreprises ?
Parution : jeudi 10 septembre 2015
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Rappel des faits : le Contract Management est, a minima, une activité dont la visée première est de prévenir les cycles contractuels complexes des risques négatifs (les menaces, quelle que soit leur typologie : risque contractuel/juridique, financier, commercial, opérationnel/technique, réputationnel et relationnel) tout en optimisant la convention au cœur du mécanisme.

L’optimisation considérée par cette définition synthétique se translate, bien évidemment, dans la stratégie de maximisation financière (protection de la marge, identification de nouvelles sources de revenus, réduction des coûts, etc.) à laquelle le professionnel de la gestion de contrat apportera un soin particulier. C’est du célèbre nerf de la guerre dont on parle ici, celui qui facilite la démonstration de la valeur ajoutée de la fonction et qui autorise le calcul d’un retour sur investissement, excluant ainsi le Contract Management de la logique déprimante du centre de coût associée à toute fonction de support.

Quoi d’autre ? Le développement relationnel.

L’optimisation du cycle de vie d’un contrat passe en priorité par le développement relationnel entre les parties partenaires : client - fournisseur/prestataire, prestataire – sous-traitants.

Imaginer que la dialectique pécuniaire est en première ligne revient à nier que les cycles contractuels et les projets associés sont la résultante d’interactions quotidiennes entre des femmes et des hommes. C’est justement par l’optimisation de la qualité relationnelle que la maximisation financière s’envisage ; sauf à considérer qu’enterrer son partenaire est une stratégie payante. Elle l’est, sans doute, à court terme, mais ne sied pas à la complexité des cycles contractuels nécessitant la présence de Contract Managers, tant le besoin de contrat collaboratif est prégnant.

Et de contrat collaboratif il n’y a point si les spécialistes en charge de les gérer n’ont pas acquis une expertise idoine en résolution de conflit. Plus que le savoir-faire, le savoir-être est ici l’apanage attendu du Contract Manager. Son approche comportementale, grandement dépendante du niveau d’investissement régulier dans la pratique des techniques de facilitation, fera la différence face à une crise majeure susceptible d’ébranler les fondations de l’ensemble du cycle et de son projet.

Pourquoi la facilitation plutôt que la médiation ? Les techniques sont similaires, mais la différence terminologique compte dans notre domaine. Dans les deux cas, le Contract Manager formé au processus de résolution de conflit agira en qualité de pacificateur de la relation dégradée ou rompue. En revanche, le médiateur se doit d’être neutre (vis-à-vis de la solution que les parties choisiront pour elles-mêmes en sortie de conflit), indépendant (à l’égard de tout tiers étranger à la sphère de la médiation) et impartial (dans sa relation avec les parties).

On comprend que le Contract Manager ne profite d’aucune de ces trois qualités. Il mentirait s’il se disait neutre puisque la solution intéressera directement l’organisation qu’il représente et serait même susceptible de le servir personnellement. Quant au lien de subordination qui le lie à son employeur, il interdit de facto toute indépendance et toute impartialité.

Il n’en demeure pas moins que le Contract Manager est un facilitateur. Et pour pleinement assumer ce rôle délicat, il appuie sa pratique sur les techniques de médiation. Ainsi, confronté à une crise relationnelle aigüe entre au moins deux acteurs des entités parties à la convention objet du cycle (au hasard, un acheteur côté client et un chef de projet côté prestataire) il s’évertuera à dérouler un processus structuré d’une précision quasi-chirurgicale (nous ne sommes pas loin du protocole) en ayant intégré préalablement le changement de paradigme suivant : on n’attaque pas un conflit par l’angle juridique ou technique, on le déconstruit en dépolluant d’abord l’émotionnel.

Laissons la problématique juridique pour la fin. Ne bondissons pas non plus sur un point technique sous prétexte que l’on est convaincu d’avoir identifié la solution unique (la nôtre). Prenons plutôt le temps de mesurer l’ampleur des émotions qui vitrifient jour après jour la relation au point d’aliéner notre liberté de choisir ensemble un accord par la voie amiable. Pourquoi laisser entre les mains du juge le dernier mot d’une relation meurtrie ? La seule raison qui puisse justifier l’incapacité des parties à conserver leur libre arbitre et de s’en dessaisir est la contamination émotionnelle, source de l’aveuglement.

Au cœur de cette spirale infernale, le Contract Manager qui considère la pérennité de la qualité relationnelle comme la source première du succès du cycle contractuel entre en jeu et, sans jamais retirer sa casquette d’agent de sécurité du risque (préparation d’un éventuel précontentieux en arrière-plan, mise en place de la méthodologie de claim management, etc.), il s’évertuera à pacifier le torrent émotionnel dans le but de rétablir le dialogue et ouvrir la voie à une négociation collaborative.

La maîtrise de la maïeutique et des enseignements de la communication non violente seront un support de choix pour assumer ce rôle légèrement décalé de ce que l’on estime être sa fonction première. Le Contract Manager facilitateur saura mener à bien des entretiens préparatoires individuels en invitant séparément les parties au conflit, avec pour objectif de diminuer l’intensité de la colère ou de la frustration d’autrui. Puis, il fixera avec chacun de ses interlocuteurs les règles de communication qui gouverneront les sessions collectives qu’il animera dans un second temps, jusqu’à l’aboutissement du processus : un accord entre les protagonistes.

Le sujet mériterait un livre tant il est riche et propice à l’ouverture du management de contrat vers davantage de collaboration et moins d’adversité. Dans l’attente, la formation du Contract Manager se doit d’être complétée par les techniques susmentionnées en vue de démultiplier l’intérêt de ce rôle hybride au carrefour de disciplines plurielles qui délivrent leur plein potentiel lorsqu’on les imbrique. La proposition est plus que justifiée puisqu’au final, c’est sur les deux principaux fronts de sa mission que le Contract Manager a vocation à malaxer la matière relationnelle : par la sécurisation de cette typologie de risque et l’optimisation du cycle précitée.

A l’heure où la médiation interentreprises est sur toutes les lèvres (gain de temps, gain financier, conservation de la maîtrise de ses choix) et que la loi envisage, timidement mais sûrement, un renforcement du rôle des méthodes alternatives de règlement des différends (décret du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile exigeant que l’assignation, la requête ou la déclaration qui saisit une juridiction civile de première instance, doivent préciser “les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige”), on se réjouira de trouver chez les professionnels du Contract Management un vivier de médiateurs.

Car, si l’on ne peut pas être médiateur des conflits de son propre cycle contractuel, intervenir en cette qualité sur ceux des autres est gage d’expertise et d’expérience dans la pratique de la médiation. Le Contract Manager, cette fois pleinement médiateur, dispose d’une triple légitimité : il connaît le droit et les impacts juridiques des conventions, il comprend la technicité associée aux problématiques opérationnelles des projets, il sait gérer les contextes émotionnels forts ; ces trois points constituants les trois composantes de toute relation d’affaires.

Rédaction du village
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