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L’interruption du délai pour conclure dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire : quelques réflexions sur la nature du délai. Par Vincent Mosquet.
Parution : mercredi 14 octobre 2015
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Lorsque la procédure suivie devant la Cour d’appel est soumise à la représentation obligatoire des articles 901 et suivants du Code de procédure civile, la Cour de cassation juge que l’appel incident ne peut pas prospérer lorsque l’appel principal est caduc faute par l’appelant d’avoir déposé des conclusions dans le délai de trois mois de l’article 908 CPC.

Cette solution laissait entendre que les règles du décret dit MAGENDIE l’emportait sur les dispositions générales du code de procédure civile (voir L’appel incident : nouveau casse-tête dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire), les dispositions de l’article 550 du Code de procédure civile, qui autorisent l’appel incident en tout état de cause, étant annihilées en cas de non-respect par l’appelant de ses obligations procédurales.

Cette interprétation de la Cour de cassation auraient pu conduire à considérer que le livre 1 du code de procédure civile « Dispositions communes à toutes les juridictions » du quel est issu le titre XXVI « Les voies de recours » avec son sous-titre II « les voies ordinaires de recours », son chapitre I « L’appel » et sa section 1 « Le droit d’appel » dans laquelle est placée l’article 550, étaient primées par les dispositions du livre II « Dispositions particulières à chaque juridiction » dans lequel sont placées les dispositions des articles 900 et suivants dans la section 1 « la procédure avec représentation obligatoire » du chapitre 1 « la procédure en matière contentieuse » du sous-titre titre 1 « la procédure devant la formation collégiale » du titre VI « Dispositions particulières » à la Cour d’appel .

On aurait pu penser que la procédure d’appel dite Magendie devenait ainsi une procédure totalement autonome dont le mécanisme pouvait mettre obstacle à tout autre principe ou droit processuel.

Dès lors que les délais s’imposent aux parties et prévalent sur leurs droits, comment pourrait-on imaginer que ces délais puissent être affectés par une circonstance particulière et notamment par un « incident d’instance » tel que défini au titre XI du livre Premier ?

L’autonomie de la procédure d’appel lorsque la représentation est obligatoire aurait du conduire à décider que les délais de cette procédure ne sont susceptibles ni d’interruption ni de suspension.

En effet, dans la droite ligne de ce décret, la Cour de cassation s’est montrée extrêmement rigoureuse dans son interprétation notamment en refusant d’assimiler les règles de procédure en résultant à des causes de nullités, s’évitant ainsi d’avoir à rechercher si la violation de la règle de forme avait pu causer un grief [1]. A cet égard les dispositions applicables à toutes les juridictions, et tout au moins celles qui concernaient les nullités de forme des articles 112 et suivants n’avaient plus à être appliquées par la Cour d’appel pour ce qui concerne la procédure applicable devant elle !
Ainsi, même si l’erreur de pure forme, ne cause aucun grief à l’autre partie, celle-ci peut s’en prévaloir pour éviter un débat de fond, même si elle est parfaitement informée de la procédure et de l’argumentation de son adversaire et est parfaitement mis en mesure d’y répondre en temps utile.

Le juge d’appel lui-même peut relever d’office et tirer les conséquences d’une simple erreur matérielle qui n’aurait eu aucune conséquence sur les droits de la défense.
Pourtant la Cour de cassation apporte une brèche à cette autonomie qu’elle s’était pourtant efforcée de consolider.

Par un arrêt du 4 juin 2015 [2], elle a en effet jugé, au visa des articles 369, 374, 908 et 914 CPC, que l’interruption de l’instance emporte celle du délai imparti pour conclure et fait courir un nouveau délai à compter de la reprise d’instance.
Au-delà d’une formulation qui paraît claire, cette décision fait surgir diverses interrogations.

1) Le délai de l’article 908 est interrompu par les causes d’interruption de l’instance

Alors que rien ne semblait pouvoir affecter le délai de l’article 908, il se trouve à présent soumis aux principes généraux de la procédure civile, tout au moins pour certains de ses aspects.

Dans l’espèce visée ci-dessus, l’instance avait été interrompue par la cessation des fonctions de l’avoué de l’appelant. Par application de l’article 369 CPC, l’instance est interrompue par la cessation de fonction de l’avocat ou de l’avoué lorsque la représentation est obligatoire.

Les termes de l’arrêt de la Cour de cassation étant très généraux, toutes les causes d’interruption de l’instance emportent celle du délai imparti pour conclure.
Il ne faut pas oublier cependant que certaines causes d’interruption sont automatiques, c’est-à-dire que l’instance est interrompue dès que l’évènement interruptif survient. Il s’agit des causes d’interruption de l’article 369 CPC : la majorité d’une partie, la cessation de fonctions de l’avocat (et autrefois de l’avoué), et l’effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur.

Aucune démarche n’est nécessaire pour interrompre l’instance dans ces trois cas.
D’autres causes d’interruption nécessitent une notification : le décès d’une partie dans les cas où l’action est transmissible ; la cessation de fonctions du représentant légal d’un incapable, le recouvrement ou la perte par une partie de la capacité d’ester en justice. Les délais des articles 901 et suivants CPC ne seront interrompus qu’à compter de la notification de la cause d’interruption.

Dans ces hypothèses ou l’interruption de l’instance n’intervient qu’au jour de la notification de la cause de l’interruption, la règle que la Cour de cassation vient de définir pose un véritable problème. L’avocat qui n’est pas informé du décès de son client ne peut pas notifier le décès pour interrompre l’instance. Par hypothèse, n’étant que mandataire de son client, il ne devrait pas déposer des conclusions sans l’accord de son mandant. Éventuellement, il dégagera sa responsabilité en adressant une lettre recommandée qui ne pourra pas joindre son client décédé. Il laissera ainsi passer le délai de l’article 908 ou celui de l’article 909. Les héritiers de la personne qu’il représentait auront ainsi perdu la possibilité de faire valoir devant la Cour l’argumentation de leur auteur. Ils auront perdu la possibilité de se défendre et ne pourront pas exercer le droit d’appel ou le droit d’appel incident de leur auteur. L’instance n’étant pas interrompue par le seul décès, les délais pour conclure ne sont pas interrompus et des personnes, ignorant totalement l’existence d’un procès pendant devant la Cour d’appel, se trouveront privées de la possibilité de faire valeur leurs droits, moyens ou actions sans qu’aucune information, mise en demeure ou invitation à intervenir, ne leur ait jamais été adressée.

2) Un nouveau délai commence à courir au jour de la reprise de l’instance

La Cour d’appel de Lyon s’était livrée à un calcul complexe duquel il ressortait que l’avoué de l’appelant avait cessé ses fonctions un mois et 27 jours après la déclaration d’appel, de telle sorte qu’elle considérait qu’à compter de la reprise de l’instance, le nouvel avocat de l’appelant aurait du déposer ses conclusions dans un délai un mois et quatre jours à compter de la date de la reprise d’instance.

La Cour de cassation juge que l’interruption de l’instance fait courir un nouveau délai entier, soit trois mois pour l’appelant, deux mois pour l’intimé.
La Cour de cassation a visé l’article 374 aux termes duquel l’instance reprend son court en l’état où elle se trouvait au moment où elle a été interrompue.

Ce texte aurait pourtant pu conduire à approuver la Cour d’appel puisqu’au jour de l’interruption de l’instance, il restait à courir un mois et 4 jours jusqu’à la date d’expiration du délai de l’article 908, l’appelant aurait pu bénéficier de ce seul délai au jour où il accomplissait les actes nécessaires à la reprise de l’instance. Cette solution était d’autant plus concevable que la reprise de l’instance résultait de la seule volonté de l’appelant à savoir la constitution par lui d’un nouvel avocat et qu’il n’aurait donc dû rencontrer aucune difficulté pour effectuer cette constitution au jour opportun pour lui permettre de respecter le délai de dépôt des conclusions.

3) En l’absence de reprise volontaire de l’instance, une des parties peut prendre l’initiative de faire citer celle qui bénéficie de l’interruption en reprise d’instance en application de l’article 375 CPC.

Mais cette citation suffira-t-elle à faire courir le nouveau délai pour conclure ? Aucun texte ne le prévoit.
Il sera sans doute prudent dans la citation en reprise d’instance d’indiquer à la personne citée les délais qui lui sont impartis pour conclure ou tout au moins les délais qui paraissent être impartis par les articles 908 à 910.

4) La date de la reprise d’instance ne dépend pas d’un événement extérieur aux parties.

Alors que les délais des articles 901 et suivants tombent tels des couperets auxquels les parties ne peuvent échapper, puisque ces délais sont subordonnés à la déclaration d’appel ou à la date de la signification des conclusions de l’appelant, et éventuellement affectés par une demande d’aide juridictionnelle, les parties ont la possibilité de fixer à leur guise la date de reprise d’instance.

Le délai pour conclure recommençant à courir au jour de la reprise d’instance, la partie qui doit conclure peut parfaitement se donner le temps de régulariser la procédure. Elle pourra ainsi attendre d’avoir mis au point ses conclusions pour reprendre l’instance.

Le point de départ du délai pour conclure n’est plus prévisible et échappe en tout cas au juge d’appel. La reprise de l’instance ne dépend pas du juge et celui-ci n’a aucun pouvoir d’intervenir dans cette reprise.
L’interruption de l’instance peut ainsi devenir un avantage pour les parties lorsqu’elles auront la possibilité, et l’intérêt, de différer la reprise de l’instance et se donner ainsi le temps d’affiner leur argumentation ou la recherche de pièces.

5) Les délais de procédure, et spécialement les délais des articles 901 et suivants CPC peuvent-ils être assimilés à des délais de prescription ou de forclusion ?

La Cour de cassation soumet le délai d’appel aux causes d’interruption de prescription : au visa de l’article 2241 du Code civil aux termes duquel le délai de prescription ou de forclusion est interrompu lorsque la demande est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure, la Cour de cassation a jugé que déclaration d’appel est l’acte de saisine de la Cour d’appel et que le délai d’appel est un délai de forclusion, de sorte que la nullité d’une première déclaration d’appel pour vice de procédure sur le fondement des articles 117, alinéa 3, et 120 du code de procédure civile, a eu un effet interruptif du nouveau délai d’appel qui avait recommencé à courir ; l’annulation de la déclaration d’appel pour vice de forme fait donc courir un nouveau délai d’appel.

De même que le délai d’appel est interrompu par une cause d’interruption de la prescription, de même le délai pour conclure est interrompu par une cause d’interruption de l’instance.

L’interruption de l’instance fait courir à nouveau le délai de l’article 908.
La Cour d’appel de Lyon avait donc considéré que l’interruption de l’instance suspendait le délai de l’article 908.

Par application de l’article 374, l’instance reprend son cours en l’état ou elle se trouvait au moment où elle a été interrompue. Appliquer ce principe à un délai revenait à faire de l’interruption de l’instance une cause de suspension du délai de l’article 908 et renvoyait implicitement aux dispositions de l’article 2230 du Code civil selon lequel la suspension de la prescription arrête temporairement son cours sans effacer le délai déjà couru.

La Cour de cassation applique à l’interruption de l’instance les conséquences de l’interruption de la prescription de l’article 2231 du code civil selon lequel l’interruption efface le délai de prescription acquis.
Ainsi, il serait possible de faire le lien entre l’interruption de l’instance et l’interruption de la prescription en considérant cependant que l’article 374 CPC ne concerne que la situation de procédure et non les délais.

Il reste toutefois une différence entre l’interruption de l’instance et l’interruption de la prescription : la première fait courir le nouveau délai à compter de la reprise d’instance alors que la seconde fait courir le nouveau délai à compter de l’interruption elle-même. Le délai de l’article 908 ne recommence pas à courir au jour de l’interruption de l’instance, mais seulement au jour de sa reprise.
Les délais du décret Magendie ne peuvent donc pas être totalement assimilés aux délais de prescription.

6) Le rappel des livres, titres, sections, chapitres fait ci-dessus, montre combien, avec les réformes qui se succèdent et l’évolution des pratiques, le sens et l’esprit du Code de procédure civile, tel qu’il avait été conçu par ses auteurs, sont volontairement abandonnés et contournés au nom d’une certaine conception de l’efficacité qui peut paraître parfois aller à l’encontre de l’intérêt d’une bonne justice.

Ainsi, les auteurs du Code n’auraient pas imaginé que la formation de la Cour d’appel aurait pu être autre que collégiale. Pourtant, il est plutôt rare aujourd’hui de plaider en appel devant une formation collégiale. A l’occasion des multiples réformes l’intitulé du titre 1 « la procédure devant la formation collégiale » aurait pu être changé.

De même le droit d’appel qui comprend le droit d’appel incident, qui constitue un droit indépendant de celui du droit d’appel principal et qui, comme tel, ne devrait pas être subordonné à la qualité de la procédure poursuivie par l’appelant principal, se trouve ainsi limité au nom des raisons d’efficacité qui paraissent si essentielles aux auteurs du décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009 qu’ils ont décidé qu’elles devaient primer toutes autres considérations.

Ces réformes qui s’empilent, sans harmonie et sans s’assembler, ne sont jamais précédées d’une véritable confrontation, dans un véritable débat ouvert, avec les praticiens qu’ils soient magistrats en fonction dans une cour d’appel, avocat, avoué dont la profession n’était pas encore supprimée ou professeur de droit.

La conséquence en est que chaque réforme crée plus de difficulté qu’elle n’en résout et que les interprétations de la Cour de cassation ne simplifient pas nécessairement la réflexion ! La principale qualité du praticien de la procédure ne doit pas être la connaissance de la procédure mais la prudence…

Vincent Mosquet LEXAVOUE NORMANDIE www.lexavoue.com

[1par exemple Civ 2ème 28 mai 2015 n° de pourvoi 14-28233

[2n° de pourvoi 13-27218 publié au bulletin