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Les pactes d’actionnaires et la répartition des pouvoirs dans les sociétés en droit français et en droit italien. Par Serge Diena.
Parution : lundi 26 octobre 2015
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Cette étude, sur les pactes d’actionnaires entre la loi et la pratique des affaires, selon la culture juridique française et italienne, a été envisagée en considérant prioritairement les contrats passés entre les actionnaires. Le contenu de ces pactes n’est généralement pas incorporé dans les statuts, bien qu’il puisse être rendu public par des procédures spécifiques de communication ayant pour objet de déterminer : les modalités et conditions d’acquisition et de perte de la qualité d’actionnaire ; les droits et obligations attachées à cette qualité ; les règles d’organisation et de fonctionnement de la société et les modalités de participation des actionnaires à la gestion de celle-ci.

Selon cette idée première, l’étude a cherché à mettre en évidence les deux éléments essentiels sous jacents aux dynamiques organisationnelles, en dissociant les pactes qui par leur nature et leur fonction ont normalement plus d’influence dans le domaine du capital social et ceux qui influencent prioritairement la distribution et l’organisation du pouvoir sociétaire.

Il est certain, que dans la pratique des affaires, il est possible d’envisager une modulation spécifique de ces deux éléments et d’intervenir de manière particulière dans la rédaction de ces accords pour affiner l’un et l’autre, selon les priorités et les besoins de l’entreprise. Bien qu’il existe des paramètres standards qui constituent des voies obligatoires à parcourir pour leur formalisation, normalement déterminées par un système législatif structuré et très complexe, les parties ont la liberté d’envisager des aménagements particuliers à leur situation.

La loi reste la référence fondamentale pour limiter les dérives de la pratique et essayer d’intervenir efficacement dans la réglementation de certaines des conventions qui, selon le cas seront soumises à des contraintes de communication ou de formalisation prédéterminées par le cadre normatif spécifique. En effet, les sociétés cotées sur les marchés réglementés, se doivent de respecter des protocoles préétablis par la commission des opérations de Bourses et de valeurs française ou par la Co.N.Sob italienne.

De même, pour certains pactes bien qu’insérés dans le cadre de sociétés non-cotées, au vu de leurs conventions et du niveau d’ingérence que celles-ci présentent par rapport aux clauses statutaires, la loi leur impose des formes de communication ou de formalisation prédéterminées.

L’étude a relevé que les obligations imposées aux premières peuvent avoir des conséquences directes sur la validité du pacte, tant est ce qu’on ne parle pas d’efficacité relative, mais plutôt de nullité de l’acte-même. Pour les deuxièmes l’efficacité de l’accord reste variable entre les parties et ressent d’une nullité relative face aux tiers au pacte, à moins que celui-ci ne soit contraire aux normes impératives et à l’ordre public sociétaire.

Il a été relevé en outre, que malgré les différences d’approche tant économique, politiques, historiques que législatives entre les deux pays pris en référence, à l’heure actuelle, les deux ordres juridiques reconnaissent ces accords extra-statutaires. En effet, si en France la loi a permis, par son évolution constante, une correspondance plus importante entre la pratique des affaires et les références juridiques, en Italie en dépit du retard sur cet aspect, la jurisprudence et la doctrine ont essayé de combler les manques.

Aujourd’hui surtout à cause de l’harmonisation communautaire du droit sociétaire, bien que les juges Italiens se montrent moins disponibles face à une reconnaissance de ces conventions par rapport à la jurisprudence française, des avancées importantes ont étés effectuées. En effet, la position plus en retrait de la jurisprudence italienne relève, de nos jours, plus du poids de la tradition, de la culture doctrinale et de la difficulté d’effectuer un choix législatif systématique et structurel, homogène et cohérent aux implications politiques, sociales et économiques, fondamentales pour la restructuration globale du système sociétaire.

Malgré les règles très rigides imposées aux sociétés cotées, surtout pour ce qui concerne les pactes aménageant les statuts par rapport à l’organisation et à la gestion effective du pouvoir à l’intérieur des organes sociétaires, dans tous les autres cas les normes et les jurisprudences actuelles françaises et italiennes acceptent d’envisager a priori positivement la validité des accords extra-statutaires. Cela veut dire, que les conventions intervenant prioritairement sur les dynamiques spécifiques concernant la gestion du capital social paraissent moins inquiéter les législateurs et les juges.

Il paraît acquis que des clauses afférentes aux conditions de retrait et de sortie des actionnaires ou à la dilution du capital, ainsi que celles concernant les droits de l’associé le plus favorisé et la clause de préemption peuvent se définir normalement de manière à ne pas perturber structurellement et fondamentalement les équilibres déterminés par les statuts, surtout pour ce qui concerne la répartition du pouvoir et l’administration de celui-ci. Ce fait, permet à ces clauses d’être moins soumises à l’a priori négatif de la jurisprudence, comme si les aménagements touchant prioritairement la gestion économique de la société, ne pouvaient pas emporter les mêmes conséquences que celles intervenant dans l’organisation du pouvoir.

On se rend compte que tous les accord afférents prioritairement et plus directement l’exercice du pouvoir, tels que les conventions de vote et les syndicats de vote ou de bloc relatifs, créent plus de problèmes et soulèvent plus d’inquiétude. La philosophie juridique des deux pays paraît, de ce point de vue, homogène et uniforme et uniforme et ce, indépendamment de certains décalages en terme concernant les diverses formulations normatives françaises et italiennes.

Les deux droits en présence se préoccupent plus d’envisager un cadre normatif strict et réglementé, face à certains pactes extra-statutaires, qui a priori sont considérés intervenir de manière parfois trop invasive, par rapport aux normes impératives établies dans les statuts et au principe de protection des catégories retenues les plus faibles dans le cadre sociétaire, dans la gestion du pouvoir. Cet élément prioritaire pourrait, par lui même, avoir des répercutions importantes sur les équilibres sociétaires allant jusqu’à conditionner activement la gestion du capital social.

Cette façon d’envisager la problématique est ressentie de manière forte dans le régime spécifique des sociétés cotées, dans lesquelles la dématérialisation du capital des actions a effectivement accentué le rôle fondamental du pouvoir sur la gestion du capital. Prenant en compte les dynamiques présentes dans le monde des affaires, il serait possible d’en convenir ainsi, si effectivement la puissance financière de l’actionnariat qui détient le pouvoir pouvait être complètement détachée de la manipulation de celui-ci. C’est-à-dire, s’il était possible d’envisager un pouvoir majoritaire même avec une possession minoritaire du capital social.

Il n’est normalement pas pensable d’influencer de manière déterminante la politique et la gestion du pouvoir sociétaire, en détenant uniquement une cote-part minoritaire du capital social. Cela signifie, que selon la quantité effective d’actions détenues et selon la catégorie spécifique de celles-ci, on peut imaginer réellement quelle sera la proportion disponible à l’actionnaire pour intervenir dans le cadre décisionnaire de la structure sociale. Finalement, dans la pratique des affaires le rôle et l’importance de ces deux éléments se retrouvent inversés, par rapport à ce que l’on retrouve comme priorités « législatives ».

Une conséquence évidente de cette inversion structurelle est le fait, que les normes en la matière, dans les deux ordres juridiques étudiés, se concentrent essentiellement sur la définition du régime des pactes extra-statutaires gérant le pouvoir des sociétés cotées sur les marchés réglementées par voie déductive, en application du cadre législatif principal. A la pratique jurisprudentielle et à l’analyse doctrinale, le rôle d’en relever les éléments communs et divergents. De plus, le cadre normatif ne sera fixé, par des lois spécifiques, que pour ce qui concerne les sociétés de capitaux.

En dehors de ces sociétés de capitaux, les lois n’interviennent pas de manière directe sur le régime de ces conventions, en touchant presque exclusivement les aspects rattachés principalement à la gestion du pouvoir à l’intérieur des organes sociétaires. On dirait presque que les législateurs français et italiens n’ont pas voulu se confronter directement à la question de la gestion des équilibres financiers, en préférant intervenir sur un autre front.

Cette ligne directrice des normes régissant la matière, trace une frontière qui d’un côté laisse entrevoir un domaine très étroit et de l’autre offre d’amples marges de manœuvre pour toutes les autres réalités hétérogènes qui composent le monde des affaires. Mais cela signifie aussi, que beaucoup de choses sont laissées dans l’incertitude et que les actionnaires d’une SA non cotée ne trouveront pas de réconfort dans les lois mais peut-être et plutôt dans les évolutions doctrinales et jurisprudentielles.

Il en reste pas moins, que dans la pratique, sans capital on ne peut détenir le pouvoir et que la typologie du capital détenu est essentielle pour qualifier la proportion et l’influence de pouvoir qu’un actionnaire a à l’intérieur du domaine sociétaire.

La position législative est tout à fait compréhensible, car dans les sociétés de capitaux les dynamiques rattachées à la gestion et l’organisation du pouvoir sont essentielles pour arriver à déterminer qui effectivement assume « les responsabilités » de la gestions sociale, laquelle aura des répercussions évidentes sur le capital et sur les choix stratégiques de la société, par rapport à ses investisseurs.

De là, toute la question afférente au principe de la démocratie qui devrait régir les rapports sociétaires, en respectant la pleine liberté d’expression du vote en assemblée. Principe qui ne peut pas se concrétiser dans la réalité des dynamiques sociales, car considérer le système majoritaire de prise de décisions en assemblée, comme un mécanisme démocratique, ne peut être qu’une illusion. Sur le même paradigme d’interprétation, s’insère aussi toute la problématique concernant la protection de l’actionnaire plus faible, normalement correspondant au minoritaire et la nécessité d’envisager le respect fort, de l’ordre public sociétaire et des normes impératives généralement contenues dans l’acte social statutaire.

Par conséquent, si le droit se préoccupe plus d’encadrer la matière selon ces priorités, effectivement déterminées par la forma mentis juridique, qui requière la détermination et l’identification des sujets, dans leur rôle sociétaire ; la pratique opère selon des phrases chronologiques nécessaires et correspondantes à la logique sociétaire. Le législateur a une fonction institutionnelle qui lui impose de se concentrer sur les aspects afférents les dynamiques purement juridiques de la matière, qui demandent, entre autre, la définition des sujets « responsables », de leurs capacités d’intervention et surtout de déterminer les limites des accords inter partes, par rapport au respect des principes d’ordre public sociétaire. N’y-a-t-il pas une possibilité de rencontre entre ces deux positions qui, bien que fondamentales dans leur cadre de référence, paraissent parallèles et par conséquent, difficilement joignables ? Il est important de rappeler que l’évolution législative communautaire concernant les SE, réitère cette forma mentis, car il est possible pour les minoritaires de faire entendre leur voix si une SA décide de créer une SE holding, au cas où l’État membre veuille en assurer une protection majeure par rapport à celle déjà en vigueur ou encore si une SA désire se transformer en SE, le respect de liens nés avant le transfert doit être en quelque sorte assuré par la société concernée. Dans ce cadre encore le législateur se préoccupe avant tout de la manière dont le pouvoir sera effectivement gérer et valide ultérieurement le fait que le droit en la matière doit se soucier avant tout de préserver les plus faibles d’un « abus de pouvoir » de la part de ceux qui le détiennent. Aucune mention n’est faite même indirectement de l’évaluation éventuelle des répercussions importantes que ces modifications peuvent générer dans le domaine des équilibres financiers sociétaires. Peut-on alors imaginer, que si l’on assure la protection des minoritaires en ciblant comme objet de l’action le pouvoir, indirectement, des répercussions sur les éléments financiers correspondant sont inévitables ?

En définitive, il s’agit de deux préoccupations différentes. Les actionnaires et surtout les minoritaires, bien que conscients de l’importance de la qualité de l’exercice du pouvoir, savent que la rentabilité de leurs investissements ne peut être assurée que par un groupe compétant, dirigeant stratégiquement la société de façon efficace et ce, indépendamment du niveau de protection des lois. L’aspect législatif a pour eux son importance, car la loi prévient les actions abusives du pouvoir, ce qui représente une sécurité indéniable. Les actionnaires minoritaires savent aussi que leur position les empêche de facto d’intervenir au-delà de certaines limites.

Il s’agit donc de choisir, si l’on veut être minoritaire tant dans les droits et les obligations que dans les risques et enjeux financiers correspondants ou si l’on préfère rentrer dans la « cour des grands » et en assumer les responsabilités. Les principes légaux impératifs jouent un rôle de support et d’aide face aux inquiétudes des minoritaires appelés à jouer les seconds rôles dans l’actionnariat.

Il n’y a donc aucune opposition, mais des priorités différentes, tout à fait légitimes d’un côté comme de l’autre et qui ne peuvent être dissociées. On pourrait conclure alors, que le droit et la pratique des affaires voyagent sur une même ligne, se préoccupant l’une et l’autre d’aspects différents, mais complémentaire et selon les circonstances hiérarchiquement différents, en assumant des valeurs et des rôles inversés.

Ce qui reste regrettable est le fait, que s’agissant du régime juridique des pactes d’actionnaires, la jurisprudence, tant en droit français qu’en droit italien, soit souvent myope, et se limite souvent aux aspects plus formels que substantiels du rapport contractuel. Ce qui donne l’impression que la loi est parfois très éloignée des vrais problèmes de cette pratique des affaires, en se cantonnant à réglementer le jeu du pouvoir, sans approcher de plus prêt les vraies questions stratégiques. Les minoritaires désirent être préservés des manipulations frauduleuses du pouvoir et augmenter ainsi leur protection face aux majoritaires, mais en tenant compte du fait que celle-ci engendre des effets bien plus génants que de limiter leur capacité à intervenir sur la gestion sociétaire, qui est en elle même déjà réduite par leur position naturelle de minoritaires.

S’il est certain que celui qui détient majoritairement des parts de capital social puisse intervenir plus directement et aisément dans les choix stratégiques de la gestion du pouvoir, il ne l’est pas, que celui qui est minoritaire dans le partage de l’actionnariat puisse récupérer une partie de son désavantage uniquement grâce à des dispositions législatives, sans trop se soucier des effets réels que celles-ci auront sur sa possibilité effective d’intervenir dans l’organisation et la gestion du capital social.

Les pactes d’actionnaires peuvent être envisagés comme des moyens supplétifs qui, dûment aménagés et correctement établis, peuvent concrétiser le désir légitime des minoritaires, tout en respectant leur position et finalement sans dénaturer le rôle spécifique de la majorité. Est-il souhaitable que les lois aillent plus loin ? Est-ce nécessaire que le droit s’immisce dans des domaines qui, selon une vision réaliste, devraient être laissés à la définition des règles libérales du marché et de son organisation structurelle, telle que nous la concevons dans nos régimes économiques occidentaux ?

Il est certain que trop de lois, trop de réglementation peuvent amener à l’étouffement de la liberté de choix et du désir à l’autodétermination des parties. En revanche, il serait probablement souhaitable que les législateurs français, italiens, mais aussi communautaire fassent un effort de concrétisation du droit. Il est possible d’envisager une évolution législative plus conforme aux souhaits réels des actionnaires et pas uniquement des minoritaires, en recadrant le système législatif de manière à prendre en compte de façon plus tangible et directe les dynamiques présentes dans la gestion et l’organisation du capital social. Cela passe probablement par une définition nouvelle des modalités et des principes afférents la gestion du pouvoir sociétaire.

En attendant, les pactes d’actionnaires ont encore un avenir prometteur devant eux, car leur intervention permet effectivement de mitiger ces contrastes et de faire en sorte, que ces deux positions, apparemment inconciliables, puissent se conjuguer et devenir complémentaires.

Serge Diena