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Financement de l’aide judiciaire : question réglée. Par Benoit Deltombe.
Parution : mardi 27 octobre 2015
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Lettre ouverte à Madame le Ministre.
Financement de l’aide judiciaire : question réglée. En revanche, y a-t’il en France un seul avocat capable de regarder, d’écouter, de réfléchir ? Un seul avocat n’appartenant pas à la caste des "élites déconnectées", selon l’ouvrage de Laure Belot ?

Madame le Ministre,

Lors de votre visite à Angers, le vendredi 25 octobre 2013, ce fut d’autant plus un honneur pour votre serviteur de vous accueillir au pied des marches du Palais, que c’est mon trisaïeul, secrétaire de la commission présidée par Victor Schoelcher (et dont il fut d’ailleurs le suppléant, comme député des Antilles aux élections constituantes de 1848), qui affranchit le vôtre.

Dans le cadre de votre discours, vous évoquâtes les difficultés budgétaires de votre ministère, et plus particulièrement la recherche d’une solution pérenne pour pallier les dysfonctionnements constatés de l’aide juridictionnelle.

Lors de la réception donnée dans les salons de la première présidence, j’eus l’outrecuidance d’évoquer une piste de recherche tirée de mon expérience d’ancien officier ministériel, et qui eut l’honneur d’attirer votre attention, vous-même m’invitant à vous faire tenir une note à ce sujet.

Je vous objectais alors qu’en ma qualité de simple avocat de base, il n’était pas convenable d’outrepasser les prérogatives du Conseil national des barreaux, lequel avait d’ores et déjà convoqué le ban et l’arrière ban de la profession pour des États généraux du droit, prévus un mois plus tard.

Je vous avais alors proposé de surseoir à la rédaction de cette note, jusqu’à la publication du compte rendu de ces États généraux, publication présumée intervenir avant la fin de l’année.
Cependant, huit mois après, nonobstant des courriers réitérés au CNB, je ne suis pas parvenu à obtenir communication de ce compte-rendu qui, d’évidence, est destiné à demeurer confidentiel.
J’ai eu également l’occasion de correspondre de ce sujet avec Maître Myriam Picot, présidente de la commission éponyme, désormais accaparée par ses fonctions municipales, qui a été uniquement en mesure de me communiquer un document classifié « diffusion restreinte », c’est-à-dire ne pouvant être produit en dehors de la profession.

Comme, dans le même temps, le rapport de Monsieur Alain Carre-Pierrat est toujours sous le boisseau, le seul document exploitable est le rapport n° 680, publié le 2 juin 2014 par Madame Sophie Joissains et Monsieur Jacques Mezard [1], dont la suggestion essentielle est d’augmenter la taxe sur les droits de mutation, déjà portée de 3,8 % à 4,2 % [2].

Dans le même rapport, Maitre François Zocchetto évoque en page 88 : « La commission Darrois, dont j’ai été membre, avait émis des propositions pour le financement de l’aide juridictionnelle. La taxation des actes est certes la solution la plus simple, mais à condition que son produit soit dûment fléché vers l’aide juridictionnelle. Je crois davantage en l’amélioration de l’assurance de protection juridique. J’ai travaillé, à l’époque, sur le sujet et nous avions constaté que les marges des compagnies sur ces contrats atteignaient 600 millions chaque année. Outre que la plupart des Français sont assurés plusieurs fois, sans le savoir, beaucoup renoncent à faire jouer le mécanisme, difficile à déclencher. Ils lui préfèrent l’aide juridictionnelle, qui reporte les problèmes administratifs sur l’avocat et le greffe et leur assure la gratuité, puisque c’est sur les avocats que repose l’avance des frais ».

En résumé, s’il a été écrit ici et là (par exemple, note de Maître Pascal Eydoux in La Gazette du Palais n° 171 du 20 juin 2014, page 7, 1ère colonne, § 4) que d’innombrables propositions auraient été faites, force est de constater qu’à ce jour, hormis le rapport Darrois du 8 avril 2009 [3], survolant la question sans y répondre, un document confidentiel du CNB, le rapport n° 680 susvisé, enfin le rapport, daté de septembre 2014, publié le 9 octobre 2014 par Monsieur Jean-Yves Le Bouillonnec [4], rapport sur la pertinence duquel chacun se fera son opinion, il n’y a rien, strictement rien.

Je vous propose donc d’articuler la présente note en quatre parties, à savoir successivement l’état des lieux, la suggestion précitée (dite « l’angevinière »), la méthodologie, enfin, la formation.

I. L’état des lieux.

En votre qualité de Garde des Sceaux, il vous incombe de régler à bref délai la quadrature du cercle, c’est-à-dire de faire financer l’une des trois fonctions régaliennes de l’État (les deux autres étant la diplomatie et la défense), en une période où celui-ci, débiteur de deux billions d’euros (dont 85 % d’ intérêts finançant la dette impériale, par le truchement de la loi Rothschild du 4 janvier 1973), d’engagements hors bilan du même montant (capitalisation de la retraite des fonctionnaires et inéluctable implosion de la sécurité sociale), subit de surcroît chômage (5,3 millions en catégories A, B et C), récession et, depuis peu, déflation.

Cependant, la crise de l’aide juridictionnelle parvient à son paroxysme, de façon concomitante à la montée en puissance d’une autre réforme judiciaire, à savoir la suppression des avoués, effective au 1er janvier 2012. Il est donc permis de s’interroger quant à l’existence, sinon d’une causalité, à tout le moins d’une synergie entre ces deux constatations.

De quoi s’agit-il ?

Tant le droit romain, que les coutumes carolingiennes héritées du droit germanique, ne connaissaient pas la représentation par autrui en matière judiciaire. Cependant, c’est en 1262 que Saint Louis délivra à Eudes Rigaud, Évêque de Rouen, des lettres patentes pour l’autoriser à se faire représenter à un procès, eu égard à la nécessité où il se trouvait de conserver auprès de lui son conseiller au concile de Paris : la postulation était née.

Pour ce faire, il fut recouru aux avoyers, lesquels remplissaient trois fonctions, à savoir de régisseurs des monastères (les multinationales de l’époque), de fiduciaires des croisés, et surtout, comme rompus au métier des armes et à la procédure d’ordalie (l’ancêtre de notre moderne serment décisoire), de défenseurs de la veuve et l’orphelin dans le classique "combat de Dieu".

La postulation prospéra tant et si bien qu’en 1328, Philippe VI de Valois promulguait un édit instituant la corporation des procureurs près le Parlement de Paris : la profession était née.

En 1790, le législateur révolutionnaire, en abolissant les charges vénales de l’ancien régime, s’empressa aussitôt (et pour avoir lu les directives de Robespierre, j’en atteste) d’indemniser en assignats leurs titulaires, leur ouvrant accès aux adjudications de biens nationaux, concrètement, d’être indemnisés à concurrence exacte de leur expropriation : que Jean-Louis Debré, en spoliant à 70 % les avoués [5], n’a-t’il craint de commettre une « foris factura » !

Cependant, le même législateur institua aussitôt une structure cartésienne, à savoir des tribunaux de première instance, des tribunaux d’appel et un tribunal de cassation, les justiciables étant représentés par des avoués près le tribunal de première instance, des avoués près le tribunal d’appel, et des avoués près le tribunal de cassation, ceux-ci successeur des avocats aux Conseils du roi, mais maintenus sous le nom d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation : les avoués sont donc les fils et les filles de la Révolution.

Le 21 juillet 1960, le comité présidé par Jacques Rueff et Louis Armand [6] critiquait, page 40, les dérives du tarif :
« Cette dernière garantie est cependant assez illusoire, dans la mesure où la pratique s’est établie de réclamer au plaideur, en sus des émoluments taxés, des honoraires particuliers fixés librement. Dans ces conditions, l’intervention de l’avoué est d’un coût élevé pour le justiciable, tenu en outre de verser d’autres honoraires à l’avocat qui l’a assisté. Aussi bien les avocats comme les avoués sont-ils touchés par la crise dont souffre la justice du fait des lenteurs et des frais qu’elle entraîne, crise qui se traduit par une diminution sensible du nombre des affaires portées au rôle …  »

« Il recommande toutefois qu’une étude soit immédiatement entreprise, par une commission spécialisée et indépendante, qui aurait mission de mettre au point, compte tenu des impératifs d’une bonne administration de la justice, les modalités d’une réforme permettant, devant toutes les juridictions de droit commun, la représentation et l’assistance des parties par un seul corps d’auxiliaires de la justice ».

C’est sur la base de ce rapport que la loi n° 71 - 1130 du 31 décembre 1971 [7] supprimait les avoués de première instance, les fusionnant avec les avocats :

Cependant, ce qu’on omet de préciser, c’est, d’abord, qu’Alphonse Touffait, fort de son expérience de footballeur professionnel en équipe de France, interpella René Pleven en ces termes :
« Que l’on supprime les avoués de première instance, pourquoi pas ? En revanche, je vous adjure de ne pas supprimer dans la foulée les avoués d’appel, l’on aura toujours le temps de parachever la réforme si elle réussit. A l’inverse, si elle échouait, que deviendrait la Cour de Cassation ? »

Surtout, ce qui a été omis est, d’abord, que les avoués de première instance ont entièrement réécrit le projet de loi en leur faveur, leur indemnisation étant exhaustive, ensuite, qu’en leur qualité d’avoués plaidants, il cumulaient les honoraires de plaidoirie avec les émoluments de postulation, enfin, qu’eux-mêmes ayant une clientèle personnelle, ils ont pu continuer à travailler sans rupture de charge, formant leurs successeurs aux arcanes de la procédure, et revendant une seconde fois leur clientèle, lors de leur départ à la retraite.

Peu après, entrait en vigueur la révolution copernicienne conçue par Henri Motulsky [8], à savoir la loi n°72-626 du 5 juillet 1972, conférant au procès une exceptionnelle efficacité, mais nécessitant pour son fonctionnement le concours de techniciens spécialisés, à savoir, non seulement les avoués, mais encore surtout les clercs et clérettes d’avoués ; et ceci surtout au sein des offices d’avoués d’appel, véritables « usines à procédure », aptes à instruire de A à Z n’importe quel procès dans un délai raisonnable.

Cependant, en France, les avocats étaient au 1er janvier 1970, au nombre de 7482 ; au 1er janvier 2002, de 39 454 ; au 1er janvier 2012, de 56176 ; sans doute a t’on aujourd’hui dépassé les 58000, voire tangente t’on les 60.000.

De surcroît, selon le rapport publié en novembre 2013 par Maître Kami Haeri [9] , pour la première fois, en 2012, le nombre d’étudiants en droit dans les universités françaises a dépassé 200.000, dont 80% se destinent au barreau.

Enfin, un rapport publié en 2003 par Mr Lucien Karpik, sur la base de données de l’an 2000 (page 204), souligne que les avocats d’affaires, représentant de 20 à 25 % des effectifs, établis à 90 % à Paris, réalisent 75 % du chiffre d’affaires de la profession :hormis les « Big Five », le nom de Maître Darrois (36 millions de chiffre d’affaires en 2004, 42 millions en 2006, dont 25 millions de résultat net), membre de la « Commission pour la libération de la croissance », auteur du rapport éponyme, est un classique du genre [10]

Cette expansion démographique exponentielle, exclusive, non seulement de tout numerus clausus, mais encore et surtout du cursus de formation draconien des officiers ministériels, impliquait inéluctablement la recherche de nouveaux marchés pour assurer la viabilité économique des futurs membres, quitte à phagocyter, l’une après l’autre, l’ensemble des autres professions juridiques dans la perspective de la « grande profession du droit », clone européen du lawyer américain.

C’est ainsi que, comme un éclair dans un ciel d’été, tomba, le 30 août 2007, le discours prononcé par Monsieur Nicolas Sarkozy à l’occasion de l’installation de la "Commission pour la libération de la croissance" [11]

« Deuxième piste : dynamiser le marché des biens et des services… Il faut supprimer les barrières qui existent dans différentes professions réglementées et mettre fin à des rentes de situation qui ne se justifient plus aujourd’hui. Le rapport Rueff-Armand donnait déjà l’exemple des taxis (il y en a moins aujourd’hui à Paris qu’en 1931), des pharmaciens, des notaires ou des avoués… »

Le maître d’œuvre de ce rapport n’était autre que Monsieur Jacques Attali, l’esprit le plus brillant et le plus faux de sa génération, déclenchant un cataclysme planétaire à chaque fois que lui est dévolue une responsabilité, ayant notamment contribué à faire passer, de 1951 à 2007, le coût de la finance, de 2,3 à 8,2 % dans le PIB des économies européennes [12]

Même si Maître Darrois , dans son rapport du 8 avril 2009, page 18, feignait l’indifférence : « La Chancellerie a annoncé le 9 juin 2008 leur suppression et leur fusion avec la profession d’avocat. Des discussions sur les modalités et délais de cette suppression sont en cours entre la Chancellerie et les instances représentatives de la profession…  », il se déduit de sa participation à la commission Attali, qu’il est coauteur de la « proposition 213 » :
« Supprimer totalement les avoués près les cours d’appel (444 avoués regroupés en 235 offices).
« Les avoués près les cours d’appel ont le monopole de la représentation devant la cour d’appel pour tous les actes de procédure. Leur monopole avait déjà été supprimé en 1971 pour les actes de représentation devant les tribunaux de grande instance. Les avoués avaient alors été indemnisés de la perte de leur monopole, au terme cependant d’un débat législatif qui avait remis en question l’existence d’un droit de propriété dans la mesure où la réforme ne s’accompagnait pas de la perte d’un bien. La situation actuelle ne se justifie en aucune manière. Dans l’immense majorité des cas, les avoués ne rédigent plus les conclusions devant les cours d’appel. Leurs honoraires sont liés au montant du litige et sont perçus indépendamment de l’issue de la procédure, ce qui crée un surcoût artificiel à l’accès à la justice. Dans l’ensemble, leur valeur ajoutée par rapport aux avocats est de plus en plus difficile à justifier pour les justiciables. Il convient donc de supprimer la profession d’avoué près les cours d’appel et de permettre à tous ces professionnels de devenir avocats » (page 166) [13]

Détail révélateur de l’absence d’écoute de ses interlocuteurs, la version papier du rapport du 23 janvier 2008, in fine, mentionne l’audition d’un « Conseil (sic) national des avoués près les cours d’appel », conseil n’ayant jamais existé que dans l’imagination, aussi fertile que « gothique flamboyant », de son auteur.

Initialement, Mr Attali s’était proposé d’activer son site internet, afin de suivre la mise en œuvre des mesures préconisées dans son rapport, de fustiger le retard afférent à certaines, d’applaudir à la réalisation d’autres, et surtout de se féliciter (on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même) de la réussite des réformes conduites à terme.

Or, six ans après, le site affiche laconiquement :
« Le site est actuellement en cours de reconstruction. Merci de bien vouloir patienter ».

En d’autres termes, Monsieur Attali, qui n’avait à l’époque pas de mots assez durs pour fustiger l’inutilité des avoués, est subitement devenu Alzheimer, en même temps que Maître Darrois, Monsieur Sarkozy et ses trois Gardes des sceaux successifs.

En définitive, le seul responsable n’étant pas devenu amnésique est Maître Christian Charrière-Bournazel, ancien président du CNB :
« La suppression des avoués, ne m’en parlez pas, c’est une horreur ! »

Cependant, ce n’est qu’au terme de treize mois d’antichambre, que Mme Rachida Dati recevra, en présence des membres de son Cabinet, tétanisés à six pas, pour la première et dernière fois, les avoués, exécutés en 35 minutes : François Grandsard prendra congé en ces termes : "Au siècle des Lumières, le despotisme était supportable, parce qu’éclairé ".

Le Sénat s’en inquiète : Mme Rachida Dati ne cessera l’incantation : " concertation approfondie ", en clair, « disparaissez ».

La communication médiatique étant réduite au minimum, il y eut, en tout et pour tout, en page 11 du Figaro, deux entrefilets de six lignes, le premier pour annoncer la mise en œuvre de la réforme, le second, pour signifier son adoption en 80 minutes à l’Assemblée nationale, en présence de douze députés réquisitionnés à cet effet et d’un vice-président dont la mine dégoûtée en tournant, l’un après l’autre, les divers amendements, manifestait clairement qu’il n’était là qu’en service commandé.

C’est ainsi qu’après le coup de Jarnac du Conseil constitutionnel, réduisant de 905, à 292 millions, l’indemnisation des avoués, fut promulguée la loi du 25 janvier 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012.

Pour financer cette réforme, il fallut créer deux taxes :
- a) d’abord, une première taxe perpétuelle (terme en 2018, puis en 2020, puis en 2023, puis en 2026, etc …) de 150 euros, portée à 225 euros (voire 275 euros dans le rapport Le Bouillonnec, en page 33) au 1er janvier 2015 (article 1635 bis P du CGI, institué par la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, art. 54) [14]
« Il est institué un droit d’un montant de 150 euros dû par les parties à l’instance d’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel  » ;
- b) enfin, une seconde taxe de 35 euros (article 1635 bis Q du CGI, institué par la loi n°2011-900 du 29 juillet 2011, art. 54, puis abrogé par la loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013, art. 128) :
« Une contribution pour l’aide juridique de 35 euros est perçue par instance introduite en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou par instance introduite devant une juridiction administrative ;
« La contribution pour l’aide juridique est exigible lors de l’introduction de l’instance. Elle est due par la partie qui introduit une instance
 ».

Si ces taxes sont en apparence autonomes, elles prennent néanmoins toute deux leur source dans la suppression des avoués.

En effet, la première taxe perpétuelle (quatrième terme provisoire au 31 décembre 2026), a vocation à financer la suppression des avoués et ne s’applique donc que devant les chambres civiles des cours d’appel ; en revanche, elle s’applique à toutes les parties, appelant (c’est-à-dire demandeur à l’appel) comme intimé (c’est-à-dire comme défendeur à l’appel) ; c’est-à-dire, en clair, que celui qui subit un appel doit commencer par payer pour se défendre ; la seule différence avec l’appelant est que celui-ci payait la seconde taxe de 35 € en sus, soit un coût initial de 185 euros, depuis porté à 225 euros (voire 275 euros).
Encore, si l’on avait appliqué l’article 1635 bis P à la lettre, cela signifiait que toutes les parties devaient payer chacune 150 € ; ainsi, un avocat représentant 50 copropriétaires devait commencer par acheter un timbre électronique de 7.500 € ; heureusement, en vertu d’un usage prétorien, lequel n’est formalisé par aucun document, il est aujourd’hui admis que la taxe n’est due que par avocat postulant, quel que soit le nombre de clients qu’il représente.

Quant à la seconde taxe de 35 euros, exigible du seul demandeur, mais cette fois en toutes instances, civiles, sociales et administratives, elle résulte du fait que le législateur découvrit tardivement, sinon les 7 piliers de la sagesse, du moins les 3 piliers de la profession d’avoué, à savoir :
- le statut , commun à tous les officiers ministériels , ensemble de règles draconiennes afférentes au concours du titulaire au fonctionnement de la République : ici , le monopole de postulation, c’est-à-dire l’exclusivité de l’avoué pour représenter les parties, de surcroît devant une seule et unique juridiction, en l’espèce la Cour d’appel à laquelle il est attaché ;
- le mandat impératif, c’est-à-dire l’obligation pour l’avoué, en contrepartie de ce monopole, d’accepter toutes les causes sans pouvoir les refuser, ce qui garantissait à tout justiciable d’être représenté à égalité avec son adversaire, quelle que fût sa fortune, la complexité du dossier ou le caractère désespéré de sa cause (et plus c’est désespéré, plus on a de chances de gagner sur un moyen de procédure : Cass. com , pourvoi n° 09-10.925, arrêt n°175 du 9 février 2010) ;
- le tarif, à savoir la rémunération de l’avoué, non point au taximètre, mais par un émolument, c’est-à-dire une commission proportionnelle à l’intérêt du litige, de surcroît fixée discrétionnairement par le Président de Chambre à partir de 5.400 € d’émolument, en outre donnant lieu à une « procédure de la taxe », rendant parfaitement publique la rémunération de l’avoué, à l’inverse de l’honoraire, arbitré dans le secret du cabinet du bâtonnier, du Premier Président, avant pourvoi-nullité (article 23, alinéa 1, in fine, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991).

Historiquement, il y a eu quatre tarifs, le premier en 1790, le deuxième en 1919 (après l’effondrement du franc germinal), le troisième en 1960 [15], enfin, le quatrième en 1980 [16] ; ces deux derniers, non abrogés, étant toujours en vigueur.

Le tarif, discrétionnairement fixé, diminué, augmenté ou remplacé par la Puissance publique, présentait plusieurs avantages :

- un coût prévisible du dossier, à 50 euros près ; là où l’avocat, au fil du procès, facture note d’honoraires après note d’honoraires, l’avoué demandait une provision couvrant exactement le risque encouru ; la provision était consignée (régime fiscal dit du « dossier terminé »), TVA incluse, sur un compte séquestre dénommé " compte provision " ;

- la distraction des dépens : à l’issue de la procédure, si celle-ci était perdue, s’opérait un virement du compte provision sur le compte étude, le trop-perçu étant restitué ou le complément étant demandé ; en revanche, si le procès était gagné, une fois l’état de frais payé par la partie adverse, la provision était intégralement restituée ; en d’autres termes, dans un procès instruit à titre onéreux par un professionnel de très haute qualification, vis-à-vis du client, la prestation de celui-ci était totalement gratuite : aucun avocat ne peut en dire autant ;

- sur cent dossiers, par rapport au modèle économique des avocats (200 € de l’heure dans les petites villes, 300 dans les métropoles, 500 à Paris), 60 étaient traités à perte, 30 étaient traités à prix de revient, enfin, 10 étaient bénéficiaires ; à titre d’exemple, un dossier de liquidation de prestation compensatoire, c’était 3 jeux de conclusions complexes de 25 pages intégralement rédigées par l’avoué, un bordereau de 1100 pièces, un dossier de plaidoirie de 26 kg, et c’était payé 310 € au titre de l’aide judiciaire : non seulement , aucun avocat ne peut s’aligner , mais surtout, la concurrence s’exerçant, non point par les prix ( untel prenant plus cher au prorata de sa notoriété, un autre se livrant au dumping, au risque de bâcler ses dossiers), mais par la qualité de la prestation, chaque justiciable était certain d’être défendu, rigoureusement à égalité avec les autres parties, par un professionnel ultra-spécialisé, dont la compétence était indiscutable ; quand le groupe communiste du Sénat, auditionnant la Chambre nationale des avoués, eut compris cela, il eut ce cri du cœur : « Mais vous êtes l’archétype du service public ! »

- convient-il de revenir sur la genèse du tarif de 1980, qui a donné lieu à d’interminables négociations entre la Chancellerie et la Chambre nationale, celle-là exigeant de consigner par le détail la rémunération afférente à la rédaction des conclusions, jusqu’à ce que celle-ci lui démontre son impossibilité, les avocats qui, jusqu’alors, dans certaines Cours, refusaient de se dessaisir du dossier, uniquement pour facturer des honoraires de rédaction de conclusions, risquant de perdurer, en restreignant leur avoué à un rôle de stricte postulation, c’est-à-dire exclusive de péréquation entre les gros dossiers et les petits dossiers, partant, avec le risque d’une faillite de la profession ; le risque était d’autant plus prégnant qu’en 1980, les avocats, successeurs des avoués de première instance, compensaient l’insuffisance du tarif de postulation par des honoraires de plaidoirie, tandis que les avoués d’appel, circonscrits à la postulation, ne le pouvaient pas ; de fait, cette profession était alors sinistrée, la moyenne d’âge des avoués près la Cour de Paris étant de 67 ans, tandis que, dans une Cour de province, aucun avoué n’avait de photocopieur, 3 des 5 avoués étant décédés en 5 ans de maladies consécutives au stress professionnel.

Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc pour concevoir que, si Maître Darrois est coauteur de la « Proposition 213 », était-ce dans la perspective de faire appréhender par les avocats d’affaires les 10% de dossiers bénéficiaires, pour se rembourser de la campagne présidentielle de 2007 et financer celle de 2012, de délaisser les 30 % de dossiers comptablement neutres aux avocats de province, et d’abandonner à leur sort les 60 % de dossiers déficitaires, le tout dans la perspective d’une refonte ultérieure de la procédure d’appel, le nombre de Cours judiciaires étant réduit de 30 à 9, à l’instar des Cours administratives d’appel ; il avait simplement oublié que, dès lors que « les gros paient pour les petits », il ne s’agit pas d’un marché, mais d’un service public.

Que se passa-t-il lors de l’entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 2011 ? Dès le 30 décembre 2009, il avait fallu créer une taxe de 150 euros (bientôt 225, voire 275 euros) pour financer la suppression des avoués, ce qui modéra d’autant l’enthousiasme d’investir un nouveau champ d’activité.

Comme - ici, je parle rigoureusement d’expérience - les avoués, auparavant, instruisaient la totalité des dossiers d’aide judiciaire en cause d’appel, remettant à l’avocat un dossier prêt à plaider, et lui permettant, par là-même, de percevoir sa propre indemnité, allaient disparaître, il fallut anticiper le financement de l’aide judiciaire, que ne couvrirait plus le déficit précédemment pris en charge par les avoués : c’est l’objet de la seconde taxe de 35 €, créée par la loi du 29 juillet 2011.

Le seul problème est que, si la suppression des avoués, partant, l’instauration de la taxe de 150 euros (bientôt 225, voire 275 euros) avait été conduite dans un total silence médiatique, en revanche, la mise en place de la taxe de 35 € suscita une levée de boucliers, avec la perspective d’un nouveau Besseau [17] (ticket d’entrée à 91,47 euros ; ticket de sortie à 681,12 euros, soit un coefficient multiplicateur de 7,45).
Or, le rendement de ces deux taxes fut moindre qu’escompté, environ de la moitié (rapport Gelard).
Surtout, si la perspective de devoir rembourser quelques timbres aux intrépides strasbourgeois n’inquiétait guères Bercy, tout différemment en allait-il de la taxe « avoués ».
En effet, si le contentieux de la taxe AJ, d’un montant modeste et applicable aux seuls demandeurs, faisait jurisprudence, les intimés évincés auraient beau jeu de se prévaloir de leur qualité de défendeur, contraints de payer pour se défendre, ainsi que du montant quadruple (bientôt sextuple, voire octuple) de la taxe « avoués ».

Voici les enjeux : taux de compétence en première instance : 4.000 euros (articles R 211-3 et R 221-4 COJ) ; nombre de justiciables annuellement évincés : 140.000 ; risque contentieux minimal : (4.000 X 140.000), soit 560 millions par an ; risque contentieux pour un litige d’un million d’euros, par exemple une saisie immobilière : (1.000.000 X 140.000), soit 140 milliards d’euros, toujours par an.

Encore, pour être exhaustif, faut-il se référer au rapport n° 580, publié le 4 juin 2014 par Mr Patrice Gelard, sénateur [18]

Ce rapport de 37 pages répond à la question suivante : que se passe-t-il quand on supprime une profession réglementée ?
- 235 entreprises détruites, dont 90 % du chiffre d’affaires passait en salaires, charges sociales, TVA, investissements, etc…
- 444 chefs d’entreprise expropriés au tiers de leur préjudice, et qui sont d’ailleurs en contentieux pour une décennie ;
- quant aux promesses d’intégration dans la fonction publique (380 postes budgétés initialement), un poste de greffier et quatre postes de magistrats ;
- sur 1.850 salariés, en majorité des femmes, âgées, de faible qualification universitaire , ultra-spécialisées , jusqu’alors considérées par les banques comme assimilées à la fonction publique (on les recrutait à 18 ans avec un bac pro , on les formait de façon intensive pendant 5 ans, on les gardait jusqu’à la retraite , et si elles démissionnaient , elles étaient réembauchées dans les 30 minutes) , 241 reclassements pérennes ; quant aux deux tiers , les pouvoirs publics ont perdu leur trace , Mr Gelard reprend l’expression de la Chambre nationale, de "carnage social" ;
- pour les avocats, un coût exorbitant, en raison de la fusion de deux régimes de retraites avec une soulte moindre qu’escompté, et la découverte d’une procédure dont la moitié des dossiers se termine par un sinistre professionnel ;
- pour les magistrats, au lieu de faire du "cousu main" avec 444 professionnels de très haut niveau, dans une totale transparence financière (les greffiers vérifiaient leur chiffre d’affaire, et les magistrats fixaient discrétionnairement la rémunération des gros dossiers), 60.000 avocats hétérogènes ;
- toujours pour les magistrats, dès leur installation, ils étaient formés par ces professionnels à un savoir-faire millénaire ;
- pour les justiciables, suppression du mandat impératif et de la distraction des dépens, doublement du coût et de la durée des procès ; en outre, alors que l’étude d’impact jointe au projet de loi prévoyait une augmentation de 15 %, le nombre de procès a fortement chuté, dans des proportions impossibles à connaître, les statistiques de la Chancellerie étant inconnues.

En revanche, il est une conséquence non évoquée par le rapport Gelard : naguères, toutes les compagnies d’avoués s’étaient portées volontaires pour établir un RPVA (Réseau Privé Virtuel Avoués) avec le greffe de leur Cour d’appartenance, via la société Adesium, selon un protocole parfaitement sécurisé.

Il lui a donc été substitué d’office un RPVA (Réseau Privé Virtuel Avocats), par le truchement d’un contrat passé entre une association loi 1901, Cnb.com et une SARL perpignanaise, Navista.

Or, le rapport Hattab du 9 juin 2010, notamment p 34, § 3.2, a mis en évidence la vulnérabilité de ce réseau, notamment de la part de tiers disposant de multiples « portes dérobées ».

Depuis, le 12 avril 2014, l’assemblée générale du CNB a voté le principe d’un changement de prestataire, abandonnant l’algorithme RSA de Navista, pour le RGS (Référentiel Général de Sécurité) de la SA Certeurope, filiale du Groupe Oodrive.

En clair, de la part de qui dispose d’ordinateurs quantiques (Lockheed Martin, Google, Nasa), de mémoires libellées, non plus en giga-octets (1 X 10 puissance 9), mais en yota-octets (1 X 10 puissance 24), et d’algorithmes pour indexer le web profond, se connecter à Certeurope, et de là, copier en continu les métadonnées des 60.000 avocats français, est du domaine de la routine [19] : sans doute est-ce la conséquence la plus grave et la plus méconnue de la suppression des avoués.

Vous m’objecterez, cependant, que la France a sa propre NSA, en la personne de TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins), service d’enquête administrative du Ministère des Finances, lequel, outre les fameuses « déclarations de soupçon » des organismes financiers, se fait désormais communiquer l’intégralité des transactions financières internationales, que ce soit les transferts de numéraire (par exemple, Western Union), les virements interbancaires, mais surtout les transactions par le réseau Swift.

Par conséquent, étant impossible de revenir en arrière, faut-il trouver un financement pérenne et indolore pour garantir l’accès au droit.

II. L’angevinière.

On appelle angevinière une marque de bateaux de sauvetage issue de la collaboration entre le docteur Bombard et l’entreprise éponyme, bateaux conçus pour survivre à un naufrage : et celui-ci, c’en est un !

La suggestion soumise à votre sagacité s’articule en trois propositions complémentaires, dont aucune ne peut être omise sans compromettre l’efficacité de l’ensemble :

1) La postulation obligatoire devant le tribunal de grande instance ;
2) l’application du tarif de postulation devant le tribunal de grande instance ;
3) l’adossement d’une assurance de protection juridique aux polices d’assurance habitation.

Voilà, c’est tout, et cela tient en trois lignes.

A présent, voyons le détail :

1) La postulation obligatoire devant le tribunal de grande instance :

D’abord, il s’agit bien entendu d’une postulation territoriale, c’est-à-dire qu’un avocat ne peut postuler que devant le tribunal de grande instance au barreau duquel il est inscrit (hormis bien entendu la postulation territoriale devant la Cour d’appel dont relève ce tribunal).
Cette proposition résulte du fait que le tribunal de grande instance, héritier du tribunal de première instance créé par le législateur révolutionnaire, est le tribunal de droit commun, tous les autres tribunaux n’étant que des juridictions d’exception : tribunal d’instance, tribunal paritaire des baux ruraux, tribunal de commerce, conseil de prud’hommes, etc.
D’aucuns souhaiteront bien entendu ajouter une liste à la Prévert de juridictions de toute nature, ce qui engendrera inéluctablement une « usine à gaz » pour accorder les procédures. Il est donc souhaitable, dans un premier temps, de s’en tenir strictement au TGI, tout le TGI, mais rien que le TGI : on verra ensuite, une fois que la phase d’expérimentation se sera achevée, à étendre ce qui peut être étendu sans paralyser l’ensemble.
Également, si je propose le TGI, c’est tout simplement parce que la moitié du volume de son contentieux est dévolue à une seule institution, le JAF (juge aux affaires familiales), dont une partie de ses attributions est avec postulation, et une autre sans postulation.
Je propose donc cette équation : qui dit tribunal de grande instance, dit postulation obligatoire, sans addition ni exclusion.
Bien entendu, il faudra toiletter le code de l’organisation judiciaire, afin de mettre définitivement fin au cauchemar que constituent les exceptions d’incompétence, tant ratione loci, que ratione materiae.
Par exemple, il est inconcevable de dire que le JEX (juge de l’exécution) est un juge attaché au TGI, mais détaché au TI : il faut dire clairement que le JEX est exclusivement attaché au TI, par voie de conséquence, qu’il est totalement étranger au TGI.
Par voie de corollaire, il est impératif que tous les actes de procédure (assignation, conclusions, bordereau, sommation) commencent, sur la première page, immédiatement en dessous du timbre de l’avocat (en haut et à gauche), par ce titre en caractères majuscules, barrant toute la largeur : « tribunal de grande instance de (ville) », le tout à peine de nullité.
De la sorte, l’on aura ainsi un acte de procédure à présentation normalisée, clairement identifiable, a fortiori des années après, dans une procédure complexe (par exemple, renvoi de cassation).

Deux propositions complémentaires peuvent être articulées pour améliorer la clarté de l’ensemble :
- d’abord, de toiletter le décret n°55-22 du 4 janvier 1955, article 28 - 4° - c), à savoir les assignations tendant à obtenir « la résolution, la révocation, l’annulation ou la rescision d’une convention ou d’une disposition à cause de mort » ; en réalité, très peu d’avocats savent quelles sont les assignations sujettes à publication hypothécaire, et comment y procéder ; la finalité de ce toilettage étant de généraliser la publication à toutes les actes introductifs d’instance portant création de droits réels sur des biens fonciers, par exemple une assignation en liquidation successorale comprenant des immeubles, publication aujourd’hui omise et préjudiciable, tant aux parties défenderesses à l’instance, qu’aux tiers ;
- enfin, d’unifier les règles procédurales ; sans même tenir compte des particularismes des DOM-TOM, la dualité entre, d’une part, l’Alsace Moselle, d’autre part, la « vieille France », est aberrante à l’échelle de l’Europe : n’importe quel notaire ayant réglé une succession dans les anciennes provinces sous occupation bismarckienne ne tarit pas d’éloges au regard du juge du livre foncier ; il convient par conséquent d’aligner la procédure française sur le modèle alsacien, puisqu’aussi bien, les conservateurs des hypothèques ayant été supprimés, il ne peut plus exister d’obstacle de ce côté.

2) L’application du tarif de postulation devant le tribunal de grande instance :

Contrairement à ce que l’on croit communément, le tarif de 1980, afférent aux avoués d’appel, n’a pas été abrogé, il est conservé pour la liquidation des états de frais afférents aux appels formés jusqu’au 31 décembre 2011, en ce inclus les procédures de taxes : il sera donc conservé jusqu’à extinction d’icelles.

En revanche, et toujours contrairement à ce que l’on croit communément, le tarif de 1960, afférent, tant aux avoués de première instance, qu’aux avoués d’appel (jusqu’à son remplacement pour ces derniers par le tarif de 1980) n’a pas non plus été abrogé, il est toujours en vigueur, il suffit donc simplement de le toiletter pour l’aligner sur les principes, extrêmement clairs et logiques, du tarif de 1980.

Certes, le « Journal du Dimanche » du 3 août 2014 a publié 74 pages d’un rapport de mille pages, remis le 6 mars 2013 par Mrs Michaël Fribourg, Arnaud Laurenty, Matthieu Olivier, Olivier Meslin et Jacques Le Pape, inspecteurs des Finances, à Mr Moscovici, à l’époque ministre des Finances, sur les professions réglementées.

Ce rapport, du moins pour les 74 pages divulguées, évoque, en un tableau, page 66, le coût prévisionnel de la suppression des avoués.
Mais surtout, en page 33, il survole en cinq lignes le tarif de 1960, pour le supprimer, en page 55 :
« Ce tarif combine droits fixes et proportionnels. Il a été transitoirement modifié en 1975 et est toujours applicable en l’état.
« Conclusion
« La mission n’a pu déterminer de justification à ce tarif, pour une prestation de la profession d’avocat, qui bénéficie par ailleurs d’une totale liberté tarifaire ».

Décryptage : Tirez sur tout ce qui bouge !

Ici, je n’aurai pas la cruauté de rappeler que, le tarif de 1960 étant majoré d’un tiers pour les avoués d’appel, ceci afin de compenser la perte de ressources consécutive à l’absence d’honoraires de plaidoirie, lorsque la Chancellerie a élaboré le tarif de 1980, elle a proposé aux avocats de le leur étendre (ce qui eut entraîné abrogation du tarif de 1960), non point avec une réfaction d’un tiers, mais à égalité ; ce qui, concrètement, signifiait que, abstraction faite des honoraires de plaidoirie, un avocat de première instance eut gagné exactement la même chose qu’un avoué d’appel.
Or, ainsi interpellé, le barreau de Paris formula une contre-proposition, sous la forme d’un tarif générant une rémunération triple de celle des avoués ; s’étranglant de fureur, la réponse de la Chancellerie fut lapidaire :
« C’est à prendre ou à laisser ».
Dès lors, lorsque des avocats, prétendant gagner trois fois plus que les avoués, ont osé se plaindre de la rémunération indécente de ceux-ci, jusqu’à leur suppression, les conséquences de cette cupidité suggèrent de s’abstenir de la réitérer.

Les fonctions des avocats sont de trois ordres :
- 1) le conseil, c’est-à-dire la fonction de jurisconsulte, consistant à donner des consultations, rédiger des actes, conduire des médiations, le tout hors litige ;
- 2) l’assistance, c’est-à-dire la prestation de services dans le cadre du litige, essentiellement la préparation de la plaidoirie (parfois pendant plusieurs années) et l’exécution de celle-ci ;
- 3) la postulation, c’est-à-dire la représentation dans le cadre du litige, c’est-à-dire d’effectuer tous les actes de procédure, conformément à l’éthique des avoués.

Bien évidemment, le conseil et l’assistance sont rémunérés par des honoraires, négociés librement entre le client et l’avocat : cette prérogative n’est pas remise en cause.
En revanche, et ceci depuis l’ordonnance de Colbert, il a toujours été admis que la rémunération exclusive de la postulation était l’émolument, c’est-à-dire une commission proportionnelle à l’intérêt du litige, en clair l’application d’un tarif d’ordre public.
Si celui de 1960, vidé de sa substance, faute d’actualisation économique, est aujourd’hui restreint aux actes extrajudiciaires d’huissier et à une cohorte de taxes, rien n’interdit de le remettre en vigueur.

Simplement, la conception que je me fais du tarif, est qu’il a vocation à couvrir les frais généraux de l’étude, à l’exclusion de la rémunération brute (traitement et charges sociales personnelles) de l’avocat, celle-ci étant abondée par les honoraires de conseil ou d’assistance ; si untel considère que sa notoriété est telle, ou encore que son train de vie commande un tarif horaire hors normes, il se l’assumera par l’honoraire ; l’essentiel est qu’il existe comptablement une cloison étanche entre l’entreprise, d’une part, l’entrepreneur, d’autre part.

Je propose donc que le tarif ait vocation à couvrir forfaitairement les postes suivants, à l’exclusion de tous autres :
- le loyer du local professionnel ;
- les charges locatives ;
- les charges fiscales (taxe professionnelle) ;
- les salaires bruts du personnel, inclus intérimaires et stagiaires ;
- les charges salariales (part patronale) ;
- une provision couvrant l’indemnité de départ en retraite (mutualisée au niveau de la profession) ;
- une provision couvrant les frais de licenciement (également mutualisée au niveau de la profession, eu égard à la complexité croissante du droit social, ce qui suppose l’homologation par l’Ordre des avocats du contrat de travail lors de l’embauche, ainsi que le respect scrupuleux de la convention collective, faute de quoi les frais de licenciement demeureraient à la charge de l’employeur) ;
- les TFSE (travaux, fournitures et services extérieurs), couvrant toutes les assurances professionnelles nécessaires au fonctionnement de l’étude, notamment l’assurance de bourse commune ;
- les frais de formation du personnel, tant la formation initiale que l’actualisation des connaissances (mutualisés au niveau de la profession) ;
- les frais de formation, à savoir l’actualisation des connaissances et l’acquisition de spécialité de l’avocat (mutualisés au niveau de la profession) ;
- les frais de transport, de restauration et d’hébergement à finalité professionnelle, tant pour le personnel salarié, que pour l’avocat ;
- un budget spécifique à l’informatisation, essentiellement pour élaborer des matériels ergonomiques (l’on continue aujourd’hui de taper sur un clavier modèle Napoléon III), des logiciels libres (pour supprimer les « portes dérobées », à l’instar de l’Assemblée nationale et de la Gendarmerie), enfin un « cloud » mutualisé au niveau de la profession (pour éviter que le contenu des disques durs ne soit recopié en continu par la NSA) ;
- enfin, les frais afférents à la tenue des comptes sur la base d’un plan comptable commun (aujourd’hui, il est à peu près autant de systèmes comptables, que d’avocats), à l’élaboration des comptes de synthèse, enfin à celle d’une comptabilité analytique, condition indispensable à la connaissance de prix de revient (ce pourquoi seuls les experts-comptables devenus experts judiciaires survivent).

A cet égard, il sera prescrit une révision triennale, sous la forme d’une réunion entre la profession et la Chancellerie, afin d’envisager, si nécessaire, une actualisation de l’unité de base, pivot du tarif.
Il est à cet égard inconcevable que celle-ci soit restée bloquée pendant 23 ans [20].
La préparation de cette révision triennale implique donc le dépôt des comptes de synthèse, dans le semestre suivant la clôture de l’exercice, auprès de l’Ordre des avocats, de préférence sous forme numérique. A défaut de dépôt en temps utile, un expert-comptable serait automatiquement missionné par l’Ordre pour passer les écritures, établir les comptes de synthèse et les déposer, le tout aux frais personnels du contrevenant.
C’est en effet la seule possibilité pour l’Ordre de disposer dans un délai raisonnable des comptabilités, générale et analytique, de toutes les études, afin de les agréger au niveau national, de disposer d’un document de synthèse, et d’engager efficacement la révision triennale.

3. L’adossement d’une assurance de protection juridique aux polices d’assurance habitation.

Aujourd’hui, de nombreuses compagnies d’assurance proposent, en annexe à des polices de toute nature (responsabilité civile automobile, chasse, nautisme, chef de famille, etc.), des conventions dites « d’assistance juridique », destinées à permettre à l’assuré, au cas où survient un sinistre couvert par cette convention, de bénéficier du concours de l’assureur, d’abord pour entreprendre des démarches amiables, enfin, pour ester en justice, tant en demande, qu’en défense.

Trois difficultés apparaissent cependant :
- 1) la convention d’assistance juridique se matérialise souvent par une ligne supplémentaire, à cocher ou à décocher sur l’avis d’échéance, en sorte qu’il peut y avoir autant de conventions d’assistance juridique que de polices, un assuré pouvant fort bien être assuré plusieurs fois pour le même risque, le premier assureur actionné gérant le sinistre, et les autres, en vertu de la stipulation de subsidiarité, encaissant la prime sans avoir à supporter le risque, celui-ci financé à fonds perdus ;
- 2) l’étendue de ces conventions étant disparate, elles sont optimisées afin de maximiser la prime et de minimiser le risque financier ; l’on a coutume de dire qu’il existe d’excellentes polices contre les chutes de météorites et les débarquements de martiens ;
- 3) comme l’a rappelé le sénateur Zocchetto, le bénéfice net annuel des compagnies couvrant ce risque est de 600 millions d’euros, impliquant la nécessité d’en rationaliser le marché.

Je propose donc qu’il soit institué, par loi ou décret, les règles suivantes :
- La convention de protection juridique est obligatoirement adossée à l’assurance habitation, assurance que possèdent toutes personnes ayant un domicile fixe, hormis celles ayant un logement de fonction (en ce cas, la convention de protection juridique sera adossée à une police à définir ultérieurement : responsabilité civile automobile ou chef de famille, etc…) ;
- La convention de protection juridique donnera lieu à trois documents distincts (conditions générales, conditions particulières, formulaire de souscription), même si, ultérieurement, la prime correspondante figure sur l’avis d’échéance d’assurance habitation ;
- Il sera rappelé, par une clause reproduite intégralement à l’initiative de l’assureur, tant sur la police d’assurance habitation, que sur la convention de protection juridique, que celle-ci est obligatoirement adossée à celle-là, afin que l’assuré, dans l’hypothèse où il serait amené à souscrire d’autres polices, soit avisé que toutes conventions supplémentaires, nécessairement facultatives, seraient inutiles, eu égard à la stipulation de subsidiarité ;
- La convention de protection juridique adossée à la police d’assurance habitation, sera une police dite « tous risques sauf », c’est-à-dire que l’ensemble des risques ne figurant pas sur la liste des exclusions sont nécessairement couverts par la convention en question ;
- L’objet de la convention de protection juridique est de couvrir tous les risques afférents à la postulation obligatoire devant le tribunal de grande instance, tant en demande, qu’en défense. De la sorte, chaque fois qu’un assuré assigne devant cette juridiction, ou est assigné, il est garanti d’être automatiquement pris en charge par son assureur, sans franchise d’intervention, et sauf à déterminer un plafond de garantie suffisamment élevé pour permettre un calcul actuariel n’excluant que les risques déraisonnables.

Quelques précisions complètent ce tableau :

- dans un premier temps, la convention de protection juridique ne concerne que le tribunal de grande instance, eu égard à la nécessité de procéder à une phase d’expérimentation, avant d’étendre la convention à d’autres juridictions dépourvues de tarif (tribunal d’instance, conseil de prud’hommes, Cour d’appel, Cour de Cassation, CJUE, CEDH) ;

- eu égard à la clause de liberté du choix de l’avocat, et celui-ci ayant, eu égard au monopole de postulation, un mandat impératif, d’une part, il ne pourra refuser son concours, d’autre part et surtout, il sera garanti d’être rémunéré selon le tarif, celui-ci opposable à l’assureur. Cet aspect est très important pour les avocats en début de carrière, contraints d’accepter les fourches caudines d’assureurs indélicats ;

- le monopole de postulation impliquant la distraction des dépens, cela signifie que l’assureur de la partie gagnante, ayant rémunéré son avocat selon le tarif, contre quittance subrogative, poursuit le recouvrement desdits frais contre l’assureur de la partie perdante ; en d’autres termes, pour l’assureur de la partie gagnante, le procès est comptablement neutre, hormis la couverture des frais de gestion, pris en charge par la prime d’assurance ;

- eu égard au risque d’une forte augmentation des primes d’assurance afférentes aux conventions de protection juridique, il pourrait être prévu une déductibilité fiscale de l’impôt sur le revenu, déductibilité analogue à celle en vigueur pour les associations ; en effet, le mécanisme proposé, réduisant drastiquement le budget public d’aide judiciaire, l’économie ainsi réalisée par l’Etat pourrait être compensée à due concurrence. Il importe cependant d’effectuer un calcul actuaire inédit, pour ne pas commettre d’impasse budgétaire ;

- pour l’assuré, tant en demande qu’en défense, le processus commence par une « déclaration de sinistre » (formulaire à élaborer) à l’assureur. Celui-ci lui remet une notice (s’inspirer de l’excellent vade-mecum de la CEDH) et la liste, facultative, des avocats accrédités. L’assuré en prend connaissance et fait connaître le nom de l’avocat choisi. L’assureur en avise l’avocat, puis remet à l’assuré quatre bordereaux, en l’espèce des feuilles format A3, pliées en deux, dont la page de garde est imprimée, avec quatre titres : « Pièces de procédure » ; « Pièces de fond adverses » ; « Nos pièces de fond, à l’exclusion des correspondances » ; et « Nos correspondances ».

Après le titre, la page de garde comporte jusqu’en bas une série de lignes horizontales, partagées par des traits verticaux formant, de gauche à droite, les colonnes suivantes : « numéro de la pièce » ; « date de la pièce » ; « format de la pièce » (exprimé en centimètres, si différent du format A4, par exemple photographie ou plan) ; « nombre de pages » ; enfin, « nature de la pièce » (par exemple, assignation délivrée par X à Y).

Cette description peut paraître, de prime abord, absurde ; elle procède cependant de l’expérience. Quel avocat n’a en effet jamais reçu une cliente adorable qui, aux termes de trois heures de psychothérapie, lui confie trente kilos de pièces en forme de poubelle sans les poignées ? Il faut ensuite désagrafer (certains paquets contiennent plusieurs documents disparates), ragrafer, retourner chaque document en tous sens pour en rechercher la date, indexer le document ou le mettre en attente, classer ensuite les documents par décennies, par années, par trimestres, par mois, par décades, enfin par jours.

Alors, il se révèle progressivement qu’une fois que les doubles ont été classés en fond de dossier, celui-ci se réduit des neuf dixièmes, et qu’une fois que les pièces ont été classées dans les quatre chemises susvisées, les trois premières sont quasi-vides, qu’il faut y intercaler quantité de « fantômes » (feuille blanche portant une date et la description d’une pièce dont l’existence est révélée par les documents postérieurs), enfin, que côté correspondance, la cliente bat à plate couture la marquise de Sévigné !

Dorénavant, c’est le client qui fera ce travail préparatoire, chaque bordereau contenant les pièces y collationnées et classées par ordre chronologique. Les quatre bordereaux seront déposés ou postés au secrétariat de l’étude, afin d’en vérifier le contenu et de solliciter, si nécessaire, les pièces manquantes. Il ne restera plus qu’à convenir d’un rendez-vous avec l’avocat, au cours duquel le client apportera les pièces demandées. Il sera ensuite loisible à l’avocat d’établir une consultation écrite, avec copie pour l’assurance (dont le rédacteur, disposant d’une base de données doctrinale, fera office de dominus litis).

Cette façon de procéder présente les avantages suivants :

- d’emblée, le client communique à l’avocat, de façon exploitable, l’intégralité des pièces en sa possession. Ainsi, l’avocat peut établir sa consultation en se fondant sur un bordereau présumé loyal et exhaustif, c’est-à-dire dans des conditions optimales de sécurité juridique. En effet, quel avocat n’a pas vu, un jour, un client lui dire : « C’est épouvantable, nous avons perdu, il n’a pas été tenu compte d’une pièce fondamentale, j’étais persuadé que vous l’aviez » ;
- elle permet d’envisager efficacement, soit d’établir une lettre aux fins de pourparlers, soit de prendre des sûretés conservatoires, parallèlement à une procédure contentieuse ;
- Le client assumant le pensum d’établir les quatre bordereaux, il peut d’autant plus efficacement exposer par oral la chronologie complète des événements.

Bien évidemment, la consultation, préalable obligé de la prise en charge par l’assureur, donne lieu à un honoraire établi en fonction d’une convention-cadre entre la profession et la chambre syndicale des compagnies d’assurance juridique.
Si, d’aventure une information ou pièce essentielle était volontairement dissimulée, la sanction serait la déchéance de la garantie de l’assureur, le client réglant à l’avocat ses frais en application d’une convention d’honoraires signée lors du rendez-vous.

Quatre dispositions complémentaires pourraient optimiser l’ensemble.

Tout d’abord, l’assignation comporte, à peine de nullité, le bordereau des pièces invoquées (art. 56 CPC). La première innovation proposée consisterait à diviser le bordereau en deux chapitres, le premier, « Etat civil », le second, « Pièces de fond ».
Le premier chapitre, s’il y a un demandeur et deux défendeurs, comportera, à peine de nullité, trois pièces, à savoir : (1) état-civil du demandeur ; (2) état-civil du premier défendeur ; (3) état-civil du second défendeur ;
Et le second chapitre commençant à la pièce 4.
Bien entendu, si l’avocat ne dispose pas, à la délivrance de l’assignation, des actes de naissance ou des extraits k bis, il portera « mémoire », la nullité pouvant être couverte jusqu’à la date des débats.
D’expérience, considérable en effet est le nombre de dossiers où l’incertitude des mentions du « chapeau » du jugement interdit de rédiger une déclaration d’appel fiable, voire où l’exécution est impossible, le débiteur étant parti sans laisser d’adresse, et toute recherches ultérieures étant vouées à l’échec.

De la sorte, l’assignation, à défaut les conclusions récapitulatives commençant, dans le bordereau annexé, par la production de l’état civil de l’intégralité des parties instances, toute incertitude serait écartée.
Je ne nie pas que, dans les procès comportant de nombreuses parties, la tâche ne soit insurmontable. En ce cas, peut-être faudrait-il saisir le juge de la mise en état de conclusions d’incident, sollicitant, soit le concours du Ministère public, soit l’autorisation d’interroger des fichiers publics (Insee, Répertoire sirene, Ficoba).

Une deuxième proposition afférente à l’assignation est tirée de la procédure à jour fixe. En effet, ce type d’acte se divise en trois parties, à savoir, d’abord, la signification des pièces de procédure, ensuite, la convocation en justice, enfin, la sommation interpellative, celle-ci commençant par le classique :
« Et, à même requête, élection de domicile et constitution d’avoué que dessus, j’ai, huissier susdit et soussigné, fait sommation à (la partie défenderesse) d’avoir à produire les pièces suivantes (suit la liste) ».

Ce qui est donc proposé, c’est que l’assignation se termine par une double interpellation, à savoir :

a) Je vous fais sommation d’avoir à répondre aux questions suivantes (la faculté de réserver sa réponse étant toujours rappelée par l’huissier) :
- Disposez-vous d’une assurance habitation ? Si oui, auprès de quelle compagnie, et sous quel numéro de police ?
En cas de réponse positive, l’acte rappelle les modalités pour solliciter l’assistance juridique ; en cas de réponse négative, l’acte rappelle les modalités pour solliciter l’aide judiciaire ;
- Disposez-vous de moyens de communication pour être joint par le tribunal, et ainsi, assurer votre défense (par exemple, boîte aux lettres, téléphone fixe ou mobile, télécopieur, adresse électronique) ?
- Autorisez-vous votre adversaire à faire interroger un tiers (préciser), afin d’obtenir telle information ou telle pièce (préciser) qui lui est nécessaire ?

b) Je vous fais sommation d’avoir à produire les pièces adverses (suit la liste).

Bien évidemment, cette sommation suppose préalablement que l’huissier parvienne à délivrer l’acte à la personne même du destinataire, ce qui, déjà, justifierait une révision du tarif des huissiers pour doubler le coût de l’acte.
Mais, surtout, comme, dans les grandes villes, il est exceptionnel de délivrer l’acte à personne, cela suppose de délivrer l’assignation sommairement (signification en l’étude d’huissier), quitte à enjoindre, dans l’acte, le destinataire d’avoir à le retirer en l’étude d’huissier, l’avisant qu’à défaut il sera procédé à une réassignation, cette fois si nécessaire en sollicitant du président du tribunal une ordonnance sur requête afin d’interroger les dépositaires publics (Insee, Fichier Sirene, Ficoba), en vue de délivrer l’acte, coûte que coûte, à personne.
A défaut, faudra-t’il envisager, soit une version civile du mandat d’amener, soit une ordonnance sur requête, afin de faire prononcer l’absence du destinataire (art. 1066 CPC) et de faire nommer un curateur pour le représenter, ce qui, accessoirement, ouvrirait aux avocats un nouveau marché professionnel.

Une troisième proposition est tirée du droit québecquois.
En effet, il existe, dans chaque Cour d’appel, des justiciables pathologiques, les « quérulents », le quérulent étant à la justice, ce que l’hypocondriaque est à la médecine.
Quel bureau d’aide judiciaire ne connaît pas quelques particuliers qui, disposant d’un chèque en blanc pour ester en justice, n’hésitent pas à multiplier pendant des années des procédures, qui, toutes, se terminent par un constat d’insolvabilité ?
Ce type de justiciable, non seulement ruine les finances publiques, mais surtout épuise l’énergie des huissiers, des avoués, des avocats, des magistrats, des greffiers, à telle enseigne que, par le passé, les Premier Présidents s’échangeaient leurs quérulents, celui de Rennes autorisant tel particulier à constituer un avoué angevin, tandis que le Premier Président d’Angers autorisait un autre particulier à constituer un avoué rennais, tous ceux du cru ayant été récusés.

Il s’agit d’adapter le règlement de procédure civile de la Cour supérieure du Québec, chapitre XV :
« 84. Interdiction sauf autorisation. Si une personne fait preuve d’un comportement quérulent, c’est-à-dire si elle exerce son droit d’ester en justice de manière excessive ou déraisonnable, le tribunal peut lui interdire d’introduire une demande en justice sans autorisation préalable.

« 85. L’ordonnance. L’ordonnance est générale ou limitée à un ou plusieurs districts ou en égard à une ou plusieurs personnes. Dans un cas extrême elle peut même interdire l’accès à un palais de justice.

« 86. Demande d’autorisation. La demande d’autorisation est adressée au juge en chef ou au juge désigné par lui et déposée au greffe d’où origine l’ordonnance ; la demande peut être instruite sur vue des documents sans audience.

« 87. Pièces. Doivent être produits avec la demande d’autorisation, l’ordonnance d’assujettissement et l’acte de procédure projeté.

« 88. Présentation. Le juge en chef ou le juge désigné par lui peut référer la demande au tribunal, auquel cas le demandeur doit la faire signifier aux parties visées par l’acte de procédure projeté, avec avis de présentation de 10 jours.

« 89. Nullité. L’acte de procédure non autorisé préalablement est réputé inexistant et le greffier, informé de l’ordonnance, doit refuser de le recevoir, exception faite d’une demande d’autorisation ou d’une inscription en appel.

« 90. Registre. Le greffier transmet copie de l’ordonnance d’assujettissement déposée à son greffe au juge en chef de la division, ou selon les instructions de ce dernier, pour inscription au registre public des cas de quérulence ».

Ce que je propose donc, c’est d’intercaler, dans le code de procédure civile, un chapitre décalqué du droit québécois. A la requête de tiers de confiance (par exemple, président ou vice-président de juridiction, greffier en chef, président de bureau d’aide juridictionnelle, bâtonnier de l’ordre), le Premier Président d’une Cour d’appel, après avoir sollicité les observations du justiciable mis en cause, aurait la faculté de le déclarer quérulent, soit pour toutes causes, soit uniquement pour certaines catégories de contentieux.

L’ordonnance en question, désignant un tuteur sous le nom pudique de « fiduciaire à la quérulence » (par exemple, un avocat rompu au dressage des mustangs), serait transcrite, tant au répertoire civil (d’où la mention « RC », mentionnée en marge de l’acte de naissance), que sur un registre national de la quérulence, celui-ci consultable selon les modalités instaurées pour le casier judiciaire.

Bien évidemment, si, par la suite, le quérulent fournissait, sur une longue période, des gages de retour à sagesse, il lui serait loisible de faire présenter par son tuteur une requête aux fins de mainlevée, impliquant radiation des registres susvisés.

Mais, surtout, la simple évocation de cette restriction de capacité civile serait de nature à modérer les aspirants à la quérulence, partant, à économiser les finances publiques.

Enfin, une quatrième et dernière proposition serait afférente à deux modalités complémentaires de financement.

En effet, si la notion de « provision ad litem » est connue depuis les glossateurs médiévaux du droit romain, et si celle-ci figure en toutes lettres au tableau B du tarif des avoués d’appel, celle-ci étant conçue en vue du droit de la famille, force est de constater qu’en pratique, toute saisine d’un juge de la mise en état, par voie de conclusions d’incident, aux fins de provision ad litem, se termine inéluctablement par une ordonnance de débouté, assorti de motifs cinglants, d’une indemnité de frais irrépétibles et d’une condamnation aux dépens.

Je propose donc, au moins à titre expérimental, et uniquement en contentieux du divorce, que le concours de l’assurance de protection juridique soit subsidiaire, le conjoint subissant la rupture du lien conjugal (généralement, la femme) devant, dès sa constitution, saisir le juge de la mise en état d’un incident de provision ad litem.

De la sorte, disparaîtra le réflexe de néophobie aujourd’hui constaté, le conjoint à qui revient, sinon l’initiative, du moins l’imputabilité de la rupture du lien conjugal, devant en avancer les frais.

Quant à la seconde modalité complémentaires de financement, s’inspire-t-elle de la classique « caution judicatum solvi », également connue depuis le Moyen Âge, et n’ayant été abrogée de facto que par la réforme fiscale de 1977.

Or, il n’est pas exceptionnel qu’un « penitus extranei », se domiciliant dans une boîte postale d’un paradis fiscal, ne plaide à découvert devant toutes les juridictions, Cour de Cassation incluse.

Je propose donc, sur ce point, que, lorsqu’un étranger (qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale) est partie à un procès, et qu’elle n’élit domicile qu’au cabinet de son avocat, par conséquent sans garantie d’exécution d’une éventuelle condamnation, que son adversaire, dès sa constitution, saisisse d’un incident le juge de la mise en état, afin de fixer une caution couvrant le montant prévisible selon le tarif de postulation (ce qui écartera tout abus constitutif d’une violation de l’article 6 - 1 de la Convention EDH), cette garantie prenant la forme, soit d’un engagement de caution, inconditionnel et fourni pour la durée de la procédure (par conséquent, sans autre limite que celle de la créance garantie), émanant d’une banque française, soit d’un cautionnement consigné pour la durée de la procédure à la Régie d’avances et de recettes du tribunal.
Bien entendu, la recevabilité de la constitution de l’étranger sera subordonnée à la production du cautionnement, la nullité, suivant le régime procédural des indications d’état civil, pouvant être couverte jusqu’à la clôture de l’instruction.

III. La méthodologie.

Dans la réforme proposée, les principaux intéressés sont évidemment les avocats, lesquels voudront logiquement réécrire les projets de loi et de règlement à leur convenance.

La seule difficulté réside dans la personnalité de l’avocat, éminent juriste consubstantiel à la plaidoirie, c’est-à-dire à l’art de parler, celui d’écouter étant, somme toute, superflu.

Dès lors, avec 60.000 avocats, l’on aura bientôt 120.000 opinions, 240.000 polémiques, partant, l’espoir de conduire à bien la réforme d’ici quelques siècles.

Aussi, dans un premier temps, je propose que la Chancellerie présente une réforme « prête à l’emploi », avec avant-projets de loi, de décrets, d’arrêtés, de circulaires, voire de formulaires téléchargeables.

Dans un deuxième temps, il pourrait être envisagé une opération « bac à sable », ouverte sur wikipédia, afin de permettre à chacun des 60.000 avocats « d’écraser » (en termes informatiques) le fichier du voisin et de soumettre sa propre version. Sans doute inopérant au regard de la Commission des Lois ou du Conseil constitutionnel ; en revanche, incontournable en termes de maïeutique, afin de faire émerger, au-delà du « moi », le « ça » et le « surmoi », un bon accord n’étant pas celui de ce qui est entendu, mais de ce qui est sous-entendu.

Dans un troisième temps, je propose de recourir à la méthode Bourbaki [21], à savoir :

- a) autoriser un groupe restreint de juristes de moins de 50 ans (par exemple, limité à neuf personnes) à se faire enregistrer auprès d’un tiers de confiance (par exemple, Mr Toubon, Défenseur des droits), l’identité des membres n’étant connue que de celui-ci, chaque membre se portant ducroire, et ledit groupe déclarant le délai qu’il se fixe pour publier ses travaux ;

- b) une fois celui-ci enregistré sous le nom de « Bourbaki 1 », l’enjoindre de publier une critique argumentée du projet de la Chancellerie, ainsi que son contre-projet, dans ledit délai ;

- c) une fois, soit le contre-projet publié, soit le délai expiré, autoriser un autre groupe à se faire enregistrer identiquement, sous le nom de « Bourbaki 2 », toujours sous engagement de ducroire, avec mission de publier, tant une critique argumentée du projet de « Bourbaki 1 », que son contre-projet, dans le délai imparti ;

- d) et ainsi de suite jusqu’à épuisement des candidats, dont l’amour-propre aura été épargné par l’anonymat, seuls ceux autorisant la levée du leur, étant autorisés à participer à une réunion de synthèse, le tiers de confiance faisant fonction de modérateur.

Cette méthode ayant démontré son efficacité, en quelques semaines, un projet de consensus pourrait être soumis au cursus parlementaire.

IV. La formation.

En effet, si le dysfonctionnement de l’aide judiciaire altère l’équilibre économique de la profession d’avocat, il ne porte pas, en revanche, atteinte à son existence même ; or, ici, c’est de cela qu’il s’agit.

En effet, actuellement, les 60.000 avocats français sont astreints à suivre annuellement vingt heures de formation, ceci sans aucun plan pédagogique, à l’inverse d’autres professions, notamment les experts-comptables.

Cette obligation résulte de deux textes : la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, article 14-2, et le décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, article 85.

En théorie, il existe trois façons de satisfaire à l’obligation de formation, à savoir, soit d’être enseigné, soit d’enseigner, soit de publier des travaux juridiques.

Relativement à la deuxième modalité, avez-vous déjà vu par exemple un avoué sollicité afin de former les avocats à la procédure d’appel (à l’exception ponctuelle d’un membre du conseil de l’Ordre, conjointement avec un magistrat, quand la sinistralité des caducités et irrecevabilités devient critique) ?

Relativement à la troisième modalité, il m’est déjà arrivé, comme à la plupart de mes confrères, de publier des travaux juridiques, exclusivement sur internet (qui en est très demandeur), la presse papier étant interdite de facto. Nous le faisons avec un total désintéressement, uniquement pour faire progresser la science juridique, comme d’autres chercheurs le font en physique ou en biologie : publiez une chronique sur le trou de Magendie, à savoir comment obvier le décret éponyme, en greffant un appel incident recevable sur un appel principal caduc : soit vous serez ignoré, soit vous serez contrefait, au mieux le bâtonnier qui ordonnera le retrait de la contrefaçon vous fera grief de ne pas vous être conformé à l’étiquette !

De toute façon, ceci est sans importance, les avoués, exerçant dans un univers parallèle, n’ayant aucun amour-propre d’auteur.

En résumé, la seule façon de sacrifier aux dieux Lares est de suivre un enseignement.

Or, celui-ci se fait aux frais des intéressés, pour un budget médian de 170 euros la demi-journée (quatre heures), soit 850 euros par an et par avocat, ou un budget annuel global de 510 millions.

Encore, certaines formations approfondies (une à deux semaines) font ressortir des budgets se chiffrant en dizaines de milliers d’euros.

Certes, existe-t-il une structure, le FIF-PL (Fonds interprofessionnel de formation des professions libérales), abondé par une cotisation calculée sur le chiffre d’affaires, et destiné à financer cette formation ; cependant, faut-il préalablement constituer un dossier de demande de prise en charge, attendre l’accord de prise en charge, s’inscrire précipitamment au stage et le financer en totalité, enfin, constituer un dossier de demande de remboursement, celui-ci étant, aléatoirement, soit infinitésimal, soit refusé.

Ceci explique qu’alors qu’il y avait, en 2011, 751.323 professionnels libéraux représentant 4,597 millions de salariés et non-salariés (en 2010), le FIF-PL ne traite annuellement que 117.000 dossiers.

Cette situation s’explique par le fait que de nombreux intervenants sont en concurrence sur un marché captif, que l’offre proposée est dédiée exclusivement aux matières juridiques "alimentaires", tandis que des formations indispensables, telles que droit romain, droit médiéval et de l’ancien régime, histoire du droit, latin, grec, langues vivantes, comptabilité, analyse financière, informatique, etc. sont strictement prohibées.

A ceci, s’ajoute une contrainte supplémentaire, à savoir que telle formation se passe exclusivement à telle date et en tel lieu. Quand il faut prendre de l’avance dans ses dossiers afin de préparer toutes ses conclusions avec un mois d’avance, faire une journée de route pour traverser la moitié de la France, subir un pensum d’une ou deux journées, de nouveau faire une journée de route pour rentrer, et s’atteler à une montagne de dossiers qui sont subitement apparus pendant cette absence, sans tenir compte des frais de route, d’hôtellerie et de restauration (qui ne seront jamais pris en charge par le FIF - PL), la tâche est prométhéenne.
C’est la raison pour laquelle un nombre croissant d’avocats désabusés recherchent, dans l’offre pléthorique quotidiennement proposée sur internet ou par dépliants, uniquement le prix moyen, tous frais compris, de l’heure de formation, afin de payer un minimum pour obtenir un maximum de crédits horaires, abstraction faite du contenu. Il ne reste plus, ensuite, qu’à s’inscrire, payer, émarger le registre de présence, prendre congé à la première pause et obtenir ultérieurement le certificat de présence.

Or, la profession d’avocat exerce trois fonctions, à savoir, avant procès, celle de conseil, en cours de procès, celles de postulation et d’assistance.

Relativement aux deux dernières fonctions, la profession s’est vue conférer un monopole, aux termes de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, monopole pénalement sanctionné par les articles 66-2, 72 et 74 de ladite loi.

Cela n’empêche pas la profession de devoir quotidiennement pourchasser les « braconniers du droit », à savoir des juristes de toutes origines, appâtés par une très forte demande à cet égard et offrant leurs services par le biais de leurs propres réseaux ou par démarchage.

Cf. ainsi : TGI de Paris, 30ème chambre, rôle 13248000496, Ordre des avocats de Paris c/ Jérémy Oinino, jugement du 13 mars 2014.

Ce jugement a été commenté sur « Hebdo édition professions » n°169 du 3 avril 2014/Avocats/Périmètre du droit :
« Relaxe du gérant de demanderjustice.com et de saisirlesprud’hommes.com : pas d’atteinte au périmètre du droit quand il s’agit de saisine de juridictions pour lesquelles le ministère d’avocat n’est pas obligatoire » ;

Cf. de même : Cour de Versailles, 3ème chambre, rôle 12/08574, Association Adraco c/ Pascal Potier, arrêt du 22 mai 2014.
Cet arrêt a été commenté sur « Hebdo édition professions » n°174 du 19 juin 2014/Avocats/Périmètre du droit :
« Intensification de la lutte contre les braconniers du droit et méfiance du législateur à l’égard des avocats : l’irrationnel à la manœuvre ».

Pour illustration, sur le site : www.test-pagerank.com , le site officiel du CNB : www.avocat.fr est classé PR6 (sixième page de ce classement), tandis que le site : www.avocat-gratuit.com est classé PR2 (deuxième page de ce classement) : pour le « consommateur de droit », le second site lui sera proposé dès la deuxième page ; pour le premier, il faudra chercher jusqu’à la sixième page.
A fortiori, si on lance une recherche à partir de l’expression « avocat gratuit », où la profession devient inaudible.

Quant à la première fonction, celle de conseil, elle est ouverte, aux termes de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, articles 54 à 66, à de nombreuses catégories de juristes, chacune, cependant, hormis les avocats, étant censée consulter exclusivement dans son domaine de compétence.

Pour illustration, la société civile Corpus Consultants, où des non-avocats font office de jurisconsultes au profit des avocats.

Cependant, le point d’achoppement est constitué par l’article 66-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 :
« Le présent chapitre ne fait pas obstacle à la diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire ».

En d’autres termes, la publication sur internet d’informations juridiques à caractère documentaire ne fait l’objet d’aucune restriction de droit ou de fait : étant « dans le commerce », chacun peut la pratiquer en toute légalité.

La profession d’avocat aurait donc pu continuer à diligenter les modalités de formation, en forme de Ligne Maginot, dont elle s’est dotée, si, entre-temps, n’avaient émergé d’autres intervenants : les MOOC [22].

Ce que l’on rappelait naguère le « e-learning », a connu une accélération foudroyante par le biais de la « Khan Academy », dont le fondateur est Salman Khan [23] Aujourd’hui, la Khan Academy, association fondée en 2006, « pèse » 1,623 million de dollars de bilan,1,826 million de dollars de chiffre d’affaires, 200 pays, 10 millions d’utilisateurs par mois, 30.000 classes, 5500 leçons vidéo, visionnées plus de 380 millions de fois, 4 millions d’exercices quotidiens, etc …

Encore, les 1500 cours sont-ils circonscrits au domaine scientifique (mathématiques, physique, chimie, biologie, astronomie, informatique, économie, finance, histoire, musique, peinture).

Il n’est donc pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que, le jour où la Khan Academy souhaitera investir le domaine juridique, depuis la capacité jusqu’à l’agrégation, elle dispose d’ores et déjà de l’infrastructure idoine.

Cependant, s’inscrire à un MOOC, c’est bien ; décrocher le « certificat avancé », c’est aussi difficile que de terminer le onzième épisode de Tomb Raider.

C’est la raison pour laquelle un éditeur juridique, Lexbase, proposant un enseignement payant (150 euros le module de 4 heures, prévoir de 4 à 16 modules par discipline), a conçu un algorithme incluant quelques 32 paramètres analysant en temps réel le comportement de l’élève, le certificat final (sésame pour obtenir le remboursement du FIF - PL) n’étant délivré qu’à celui ayant satisfait à l’ensemble des paramètres : paranoïaques s’abstenir.

Plusieurs pays offrent déjà un spectre de MOOC couvrant le programme des Facultés de Droit :
- 27 cours juridiques ;
- un cours juridique ;
- un cours de sciences politiques
- un cours de latin ;
- un cours de grec.

De surcroît, existe un annuaire des MOOC francophones
Certes, voici un semestre, a été créé « France Université numérique », fort de 25 cours et de 100.000 préinscrits, qui annonce, pour la rentrée universitaire 2014-2015, avec le concours de neuf professeurs du CNAM et de Paris 1 Panthéon, quatre initiations juridiques :
- le droit des contrats de travail en France ;
- aux origines de notre système juridique : histoire du droit et des institutions ;
- comprendre l’exercice de la Justice : panorama des institutions juridictionnelles ;
- dans le secret des rouages de l’Etat occidental : décryptage du droit constitutionnel.

Quant au financement public, il n’y faut pas compter : 15 millions, pourtant budgétés pour promouvoir à l’international les startups, sont défaillants.

Il faut donc trouver autre chose, financé avec le tarif sus-analysé.

A mon sens, les MOOC juridiques pourraient avoir deux finalités.

En premier lieu, l’inventaire conduit dans les 17 pays du Corpus Vitrearum Medii Aevi a mis en exergue une particularité française, en l’espèce l’iconoclastie intellectuelle de la Révolution française, à savoir la loi Le Chapelier qui, en dissolvant la corporation des Compagnons du Tour de France, les a contraints à l’exil jusqu’à l’Empire.
Or, constructeurs des cathédrales, ils se transmettaient oralement un savoir-faire millénaire qui s’est entretemps définitivement perdu.

Or, symétriquement, avec la réforme de 2012, le savoir millénaire des avoués, s’il achève de s’exercer, n’est plus enseigné, et aura définitivement disparu dans une décennie : ne serait-il donc pas grand temps de consacrer un MOOC à la procédure d’appel ?

En second lieu, à partir du moment où le travail éditorial de documentation juridique est de libre exercice, que les MOOC offrent la perspective d’un enseignement gratuit, illimité et universel, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que, le jour où la Khan Academy entreprendra d’ajouter 65 millions de clients francophones à ses actuels 82 millions de visiteurs, et ceci, même en ignorant les « braconniers du droit », la nature ayant horreur du vide, il arrivera un moment où le nom même de ce prestataire sera synonyme d’enseignement du droit.

Or, comme ce prestataire est américain, ce qui sera enseigné, avant d’être plaidé, puis postulé, ne sera plus le Droit Romain Germanique, mais exclusivement la Common Law : au lieu de la « Grande Profession du Droit », l’on aura la branche européenne de l’ « American Bar » : Cicéron ne sera plus qu’un fossile.

Quelle serait, au regard de l’Histoire, la responsabilité du Garde des Sceaux qui laisserait perpétrer pareil changement de civilisation ?

Veuillez agréer, Madame le Ministre, l’assurance de mon respectueux dévouement.

Benoit DELTOMBE

[1Rapport de Mme Joissains et M. Mezard : http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-680-notice.html.

[2Jean-Jacques HYEST page 87.

[8« Prolégomènes pour un futur code de procédure civile ».

[15Décret n° 60-323 du 2 avril, revalorisé de 25 % en 1974.

[16Décret n° 80-608 du 30 juillet, spécifique aux avoués d’appel, tarif réduit de 10 % par le décret n° 84-815 du 31 août 1984.

[20Décret du 30 juillet 1980 : 1,52 € ; décret du 12 mai 2003 : 2,70 €.

[21Méthode Bourbaki : De quoi s’agit-il ? A l’issue de la première guerre mondiale, les professeurs de mathématiques de l’École normale supérieure étant tous tombés au champ d’honneur, hormis Gaston Julia, un groupe de neuf élèves, Claude Chevalley, Jean Dieudonné, René de Possel, Henri Cartan, Szolem Mandelbrojt, Jean Delsarte, André Weil, Jean Coulomb, Charles Ehresmann, s’aperçut que les ouvrages à leur disposition, notamment dans une branche des mathématiques, l’analyse, étaient exécrables. Ils entreprirent donc, à l’occasion d’une blague de potaches, de réécrire les manuels, d’abord dans un café du quartier latin .
Cependant, le congrès fondateur se tint en juillet 1935 à Besse-en-Chandesse, aujourd’hui Besse-et-Saint-Anastaise (Puy-de-Dôme).
C’est ainsi que fut publié, en 1939, le premier volume des « Éléments de mathématique » (l’emploi du singulier signifiant la volonté d’unifier en un corpus cohérent l’enseignement des sciences).
Au fil des années, s’agrégèrent treize mathématiciens français, tous médaillés Field : Laurent Schwartz (1950), Jean-Pierre Serre (1954), René Thom (1958), Alexandre Grothendieck (1966), Alain Connes (1982), Pierre-Louis Lions et Jean-Christophe Yoccoz (1994), Maxime Kontsevitch (1998), Laurent Lafforgue (2002), Wendelin Werner (2006), Ngô Bảo Châu et Cédric Villani (2010), Artur Avila (2014), soit l’équivalent de cinquante-deux prix Nobel, ce prix n’étant décerné, tous les quatre ans, qu’à un mathématicien de moins de quarante ans.
Laurent Schwartz, dans son autobiographie, a décrit le déroulement d’un séminaire Bourbaki, partant, la méthode utilisée pour élaborer des ouvrages pédagogiques.
Tout d’abord, ne pouvaient appartenir au groupe Bourbaki que des mathématiciens de moins de 50 ans, automatiquement réputés démissionnaires à cet âge.
Ensuite, seuls les membres de ce groupe connaissaient leurs identités respectives, les tiers ignorant la composition du groupe en fonction, ceci afin d’éviter toute pression qui aurait pu altérer le travail pédagogique.
Enfin, lors des séminaires, les membres du groupe définissaient un sujet d’étude, par exemple le chapitre d’un manuel ou une partie de chapitre. Ce sujet d’étude était confié à un groupe restreint, qui soumettait à l’ensemble une première mouture du texte envisagé. Ce texte était ensuite confié, en cas de désaccord, à un autre groupe restreint, ayant pour mission de le réécrire intégralement. La deuxième version était ensuite soumise en séance plénière, puis, en cas de désaccord, soumise à un autre groupe restreint, avec mission de le réécrire à nouveau. Et ainsi de suite, jour et nuit, jusqu’à ce que l’ensemble du groupe se mette d’accord sur la version définitive du chapitre en discussion.
C’est ainsi, chapitre après chapitre, que fut élaboré, publié puis enseigné l’ensemble du corpus des « Eléments de mathématique », l’influence de l’école française étant considérable, tant dans le domaine des sciences exactes (mathématiques financières, calcul fractal), que dans celui des sciences humaines (Lacan, Lévi-Strauss).

[22Que sont les MOOC ? Cet acronyme anglo-saxon, pour « Massive Open Online Course », désigne une formation ouverte et à distance en télé-enseignement, ce terme ayant été laborieusement francisé en FLOT (« Formation en Ligne Ouverte à Tous »), ou en CLOM (« Cours en Ligne Ouvert et Massif »).

[23Celui-ci, né en Louisiane, d’un père originaire du Bangladesh, et d’une mère originaire d’Inde, est diplômé en mathématiques, en génie électrique et en informatique.
Fin 2004, Khan a commencé à servir de tuteur en mathématiques à sa cousine Nadia, grâce au bloc-notes Doodle de Yahoo. Lorsque d’autres parents et amis ont souhaité accéder également à ses petits cours, il a décidé qu’il serait plus pratique de distribuer les tutoriels sur YouTube. Leur popularité et les témoignages d’étudiants les ayant appréciés ont amené Khan à quitter son emploi dans la finance en 2009 et à se concentrer à l’Académie à temps plein : dès décembre 2009, les tutoriels de Khan hébergés par YouTube recevaient en moyenne 35 000 visites par jour, chaque vidéo durant dix minutes.