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Sortie scolaire et voile islamique. Par Chloé Ricard, Avocat.
Parution : vendredi 30 octobre 2015
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Le débat sur la question de savoir si une mère portant un foulard islamique est autorisée à accompagner des enfants en sortie scolaire est relancé par le jugement du Tribunal administratif de NICE en date du 9 juin 2015.

Un parent accompagnant bénévolement son enfant lors d’une sortie scolaire est-il soumis indirectement aux lois du service public ? Et surtout, la décision refusant à une mère d’accompagner son enfant à une sortie scolaire est-elle susceptible de recours en annulation ?

Par un jugement en date du 9 juin 2015, le Tribunal administratif de Nice s’est prononcé sur la légalité d’une décision refusant d’accepter qu’une mère, portant le voile islamique, accompagne une sortie scolaire.

En l’espèce, l’enfant de Madame D. est scolarisé dans une école élémentaire à Nice. Dans le cadre d’une future sortie scolaire, Madame D. avait été sollicitée le 16 décembre 2013, par le biais d’un message laissé sur le carnet de liaison de sa fille, pour accompagner les élèves.

Elle avait répondu positivement, en précisant cependant qu’elle porterait le voile. Il lui a alors été répondu par message sur le carnet de liaison : « nous n’avons malheureusement plus le droit d’être accompagnés par les mamans voilées ; vous ne pourrez nous accompagner que si vous l’enlevez  ».

C’est dans ce contexte que Madame D. a sollicité la suspension puis l’annulation de la décision lui refusant d’être accompagnatrice à la sortie scolaire, en soutenant que cette décision était insuffisamment motivée, qu’elle méconnaissait le principe d’égalité et qu’aucun texte n’interdisait aux parents accompagnant une sortie scolaire d’exprimer de façon passive leurs croyances religieuses.

Le Tribunal de Nice va reconnaître le droit de la requérante à participer à cette sortie scolaire en conservant son voile et donc censurer la décision pour erreur de droit en relevant que ce refus ne trouve sa source dans aucune disposition légale ou réglementaire. De plus, le recteur ne pouvait pas non plus se prévaloir de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service :
« Les parents d’élèves autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du services public de l’éducation. Par suite, les restrictions à la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service.
Il ressort de l’énoncé même de la réponse apportée à la proposition de Mme D d’accompagner la sortie scolaire organisée le 6 janvier 2014 que l’administration a refusé d’y donner suite en ne se prévalant ni d’une disposition légale ou règlementaire précise, ni de considérations liées à l’ordre public ou bon fonctionnement du service. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision procède d’une erreur de droit est fondé.

Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, Mme D est fondée à soutenir que la décision par laquelle elle n’a pas été autorisée à accompagner une sortie scolaire organisée le 6 janvier 2014 par l’école élémentaire Jules Ferry de Nice est illégale et doit, par suite, être annulée  ».

Ce jugement appelle plusieurs observations :

1- La décision refusant à un parent d’accompagner des élèves lors d’une sortie scolaire est une décision faisant grief, et donc susceptible d’un recours en annulation.

La nature juridique de la décision querellée à toute son importance puisqu’elle aurait pu être qualifiée de mesure d’ordre intérieur, cette dernière étant définie comme une mesure jugée peu importante, sans effet sur la situation juridique de ceux qui la subissent, purement discrétionnaire et exclusivement interne à l’administration. De telles mesures ne sont pas susceptibles de recours en annulation puisqu’elles sont destinées à régir la « vie intérieure » d’un service.

Eu égard au fait qu’elles ne peuvent faire l’objet d’un examen juridictionnel, depuis une vingtaine d’années le juge administratif a réduit drastique le champ des mesures d’ordre intérieur, essentiellement dans les milieux militaire et pénitentiaire [1].

S’agissant des établissements scolaires, une décision prise sur le fondement d’un règlement intérieur régissant les tenues vestimentaires est également susceptible de recours [2].

Pour qualifier une décision de MOI ou de décision susceptible de recours contentieux, le juge prend en considération :
- > La nature et la gravité de la mesure ;
- > Et l’éventuelle atteinte à des libertés ou des droits fondamentaux.

En l’espèce, si la mesure – a priori de simple gestion interne portant sur le fonctionnement du service - ne semble pas affectée la situation de Madame D., il n’en demeure pas moins que cette mesure porte atteinte à l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme qui dispose que :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2 La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui  ».

En l’espèce, aucun texte n’interdisant le port du voile par les parents accompagnant les enfants lors d’une sortie scolaire, et selon le rapporteur public LASO, la décision refusant à Madame D. d’accompagner sa fille « porte une atteinte excessive à sa situation par rapport à sa liberté de conscience et de religion ».

Dès lors, la décision n’est pas une mesure d’ordre intérieur mais une décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.

2- Le parent accompagnateur n’est pas un collaborateur occasionnel du service public, mais un simple usager du service public de l’éducation

La nuance est importante. En effet, le collaborateur occasionnel du service public intervient ponctuellement pour un service public et n’est pas rémunéré. La notion était apparue depuis la jurisprudence Saint Priest-la-Plaine de 1946. S’agissant des parents accompagnateurs, dès 2011, le juge administratif avait semble t-il écarté la qualification de collaborateurs occasionnels pour celle de participants au service public.

En l’espèce, le juge administratif qualifie les parents accompagnateurs d’usagers du service public.

La dissociation entre collaborateur occasionnel et usager/participant est fondamentale.

En effet : le collaborateur occasionnel est soumis aux lois du service public, et notamment au principe de neutralité du service, principe corolaire du principe d’égalité ;

L’usager n’est pas soumis au principe de neutralité : il a toute la liberté pour exprimer ses convictions religieuses mais uniquement :

- Dans les limites de la loi et du règlement ;
- Dans la limite du respect de l’ordre public et/ou du bon fonctionnement du service.

En l’espèce, après avoir qualifié les parents accompagnateurs d’usagers de service public, le juge administratif relève :

1. Qu’aucune disposition spéciale n’interdit le port du voile par les parents accompagnateurs ;
2. Qu’aucune considération liée à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service ne peut être valablement retenue.

Ce faisant, il annule la décision litigieuse pour erreur de droit.

Tout d’abord, la décision du 9 juin 2015, diffère grandement de celle élaborée par le Tribunal administratif de Montreuil en 2011 qui soumettait automatiquement les parents accompagnateurs au respect, dans leur tenue comme dans leur propos, du principe de laïcité et de neutralité du service public.

Ensuite, cette nouvelle grille d’analyse proposée par le juge administratif débouche sur une question délicate : en quoi le port du voile islamique, ou d’ailleurs un quelconque signe religion, peut affecter l’ordre public ou le bon fonctionnement du service ?

Il est évident que les solutions jurisprudentielles différeront en fonction du contexte de chaque espèce.

Chloé RICARD, Avocat au barreau de LYON

[1CE, Ass, 17 février 1995, Hardouin et Marie ; CE, 14 décembre 2007, Planchenault.

[2CE, 2 novembre 1992, Kherrouaa.

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